-
contenu (bibo:content)
-
THÈS E
POUR
LE DOCTORAT
MANIOC.org
Université Toulouse 1 Capitole
Service Commun de la Documentation
MANIOC.org
Réseau des bibliothèques
Ville de Pointe-à-Pitre
FACULTÉ DE DROIT DE TOULOUSE.
MM. DUFOUR
DOYEN,
professeur de Droit Commercial.
BONFILS, professeur de Procédure civile, doyen nommé
au mois d’octobre.
MOLINIER
professeur de Droit Criminel.
BRESSOLLES *, professeur de Code Civil.
MASSOL*, professeur de Droit Romain.
GINOULHIAC , professeur de Droit Français, étudié dans
ses origines féodales et coutumières.
HUC, professeur de Code Civil.
POUBELLE , professeur de Code Civil, en congé.
ROZY, professeur de Droit Administratif.
ARNAULT, professeur d’Économie politique.
DELOUME, professeur de Droit Romain.
HUMBERT
professeur honoraire.
LAURENS, agrégé, chargé du cours de Droit des gens.
PAGET, agrégé, chargé d’un cours de Droit Romain.
CAMPISTRON, agrégé, chargé d’un cours de Code Civil.
BRESSOLLES (Joseph), agrégé.
VIDAL, agrégé.
WALLON, agrégé.
M. MOUSSU, Secrétaire, Agent comptable.
PRÉSIDENT DE LA THÈSE
: M. G. BRESSOLLES.
SUFFRAGANTS :
MM. MASSOL, professeur.
HUC, professeur.
ARNAULT, professeur.
CAMPISTRON, agrégé.
VIDAL, agrégé.
La Faculté n’entend approuver ni désapprouver les opinions
particulières du candidat.
MANIOC.org
Université Toulouse 1 Capitole
Service Commun de la Documentation
MANIOC.org
Réseau des bibliothèques
Ville de Pointe-à-Pitre
FACULTÉ DE DROIT DE TOULOUSE
DE LA CONDITION JURIDIQUE
DES ESCLAVES A ROME
DE LA CONDITION DES SERFS
DANS L’ANCIEN DROIT FRANÇAIS
DES
INCAPACITÉS ABSOLUES DE DISPOSER
PAR DONATION OU PAR TESTAMENT
D’APRÈS LE CODE CIVIL
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PRÉSENTÉE
Par M. Marcel PIET
TOULOUSE
PAUL PRIVAT, IMPRIMEUR DE LA FACULTÉ DE DROIT
RUE TRIPIÈRE, 9
1879
MANIOC.org
Université Toulouse 1 Capitole
Service Commun de la Documentation
MANIOC.org
Réseau des bibliothèques
Ville de Pointe-à-Pitre
MANIOC.org
Université Toulouse 1 Capitole
Service Commun de la Documentation
MANIOC.org
Réseau des bibliothèques
Ville de Pointe-à-Pitre
A MON PÈRE, A MA MÈRE
A MON GRAND-PÈRE
A MES PARENTS
A MES AMIS
MANIOC.org
Université Toulouse 1 Capitole
Service Commun de la Documentation
MANIOC.org
Réseau des bibliothèques
Ville de Pointe-à-Pitre
DROIT ROMAIN
INTRODUCTION
Parmi les institutions antiques, celle qui mérite
entre toutes de fixer notre attention est sans contredit
l’esclavage. Son étude est intéressante à plus d’un titre.
Que ce soit, en effet, au point de vue de l’économie
politique ou de la philosophie, de l’histoire ou du
Droit lui-même qu’on envisage celte institution, on se
retrouve toujours eu présence de problèmes de la plus
grande importance qu’il s’agit de résoudre pour le bien
commun de l’humanité.
Si de nos jours ces questions s’agitent encore chez
quelques peuples, ce n’est guère qu'avec les dernières
hésitations d’une solution prochaine et définitive, qui
nous montrent combien le présent diffère du passé et
combien l’avenir renferme d’heureuses espérances si
l’égalité devant Dieu comme devant la loi vient à être
comprise comme elle doit l’être.
Au point de vue économique, nous aurions à exa-
miner dans ses nombreux détails l’exploitation de l’es-
clavage dans les services privés et publics. En ce qui
concerne les services privés, quelle étude de mœurs à
—
8
—
faire, que de choses à dire sur ces légions d’esclaves,
divisés en catégories de toutes sortes, ayant mille
emplois suivant les mille caprices du maître !
Relativement aux services publics, les horizons
s'agrandissent : dans ces masses gigantesques, dans ces
monuments remarquables, qu'on les appelle le Colisée
à Rome, ou les Arènes à Nimes, nous sentons revivre
tout un passé. Nous y retrouvons le produit d’un tra-
vail opiniâtre, difficile, aussi prodigieusement conçu que
prodigieusement exécuté ; l’exécution, c’est là que nous
rencontrons l’esclave suant le sang pour satisfaire le
brutal orgueil des maîtres de la terre. Aussi ne peut-on
s’empêcher d’être saisi d’un sentiment de tristesse pro-
fonde quand on songe à ces milliers d’esclaves dont
la vie a été sacrifiée pour élever ces édifices qui font
encore aujourd’hui notre étonnement et notre admira-
tion. C’est un des côtés par lequel nous pourrions envi-
sager l’esclavage ; mais tel ne saurait être notre but.
Au point de vue philosophique nous aurions à parler
de la liberté, de son fondement, des lois de son exis-
tence, de l’application et des effets de ces mêmes lois
et par opposition de la négation de cette même liberté,
de ce prétendu droit qui fait d’un homme un être dé-
gradé et soumis pleinement, absolument, à un autre
homme libre, celui-là, et dans lequel il vient en quel-
que sorte s’absorber. Telle est l’œuvre du philosophe
et non la nôtre.
Au point de vue historique, l’intérêt est peut-être
plus grand encore : nous faire assister à la naissance
de l’esclavage, à la marche de cette barbare institu-
tion avec les modifications que les événements inté-
— 9 —
rieurs ou extérieurs ont pu lui faire subir ; nous retracer
la vie des esclaves ; nous exposer les misères sans nom
comme sans nombre, nous entretenir de la transfor-
mation de leur personnalité par le christianisme, cette
religion des faibles et des persécutés ; nous couduire
aux dernières lueurs de l'empire romain s’effondrant,
à travers les persécutions, jusqu’à la formation de
notre ancienne France ; nous montrer enfin le change-
ment d’état de l’esclave qui devient d’abord serf, puis
enfin homme libre, telle est la mission de l’historien,
tâche difficile à coup sûr, mais belle, féconde, et qui
nous permettrait de suivre pas à pas les progrès de la
civilisation et du Droit lui-même depuis les premières
origines de Rome jusqu’à nos jours.
Nous arrivons enfin au point de vue juridique. Et
d’abord peut-il être question de droit pour l’esclave ?
Il n’a rien pour lui, ni droits de famille, ni droits ci-
vils, ni droits politiques à plus forte raison. Il est une
chose, ou tout au moins un être sui generis, dont on
ne paraît guère plus se soucier que de quelque objet
sans importance. Et, cependant, c’est cet être sans
individualité propre, cet être énigmatique qui, malgré
tout, « conduit et dirige souvent à sa guise la famille
dont il dépend, et tient entre ses mains les ressorts
cachés grâce auxquels se meut la société (1). »
Il y a là une anomalie étrange, qui pourtant s’ex-
plique si l’on considère que si l’esclave par lui-même
n’est rien, il est tout en empruntant la capacité de son
maître. Il en est l’instrument animé, le porte-voix
(1) M. Dejust, l'Esclavage à Rome, partie II
e
, chap. I.
—
10
—
fidèle; et comme en somme il a une parole, une intel-
ligence, tous les effets juridiques qui se seraient pro-
duits, si le maître eût agi directement, se produiront
tout aussi bien par son intermédiaire.
Ainsi donc l'esclave joue, en réalité, un grand rôle
dans la société antique ; aussi, sous peine d’être arrêté
à chaque pas dans l'étude qu’on en peut faire, faut-il
étudier avec soin les lois qui président à son existence,
à sa condition juridique et à son affranchissement.
Comment on naît ou on devient esclave ? ce qu’il est?
comment on cesse de l’être? Telles sont, en effet, les
trois importantes questions que l’on peut se poser sur
la matière.
Mais forcément borné dans les proportions de notre
thèse, nous nous contenterons d’aborder l’élude de la
seconde des questions précitées.
Nous parlerons de l’esclave considéré en lui-même,
et dans ses rapports avec le maître et les tiers ; nous
examinerons les effets de ces rapports, et par là il
nous sera facile de bien apprécier la situation juridique
de la classe servile à Rome. Poursuivant encore notre
étude, nous dirons comment la servitude personnelle
s’est changée en servitude réelle dans notre ancien
Droit et, dans un court aperçu, comment au servage a
succédé l’état d’homme libre.
Cette étude, comme on peut l’envisager, est loin
d’être stérile, « car, ainsi que le fait fort bien observer
M. Dejust (1) dans son introduction sur l’esclavage, non-
seulement elle est la source d’un précieux encourage-
(1) M. Dejust, l'Esclavage à Rome. Introduction.
— 11-
ment, en ce qu’elle nous fait voir l'humanité perfectible
et non stationnaire ; mais encore elle contient un grand
enseignement : elle nous prouve que la violence n’a
jamais rien pu fonder de solide et de durable, et que
les institutions qui reposent sur l’iniquité et l’injustice
renferment le germe de la dégradation et de la déca-
dence » ; tandis qu’au contraire celles qui reposent sur
un principe vrai, auquel ni les passions des hommes ni
leurs extravagances ne peuvent rien changer, portent
en elles-mêmes les éléments de force et de vitalité qui
les rendront grandes et prospères.
TITRE PREMIER
CONDITION DE L’ESCLAVE AU POINT DE VUE DES MŒURS
ET DE LA FAMILLE
Avant de parler de la condition légale de l’esclave,
il nous a paru indispensable de nous expliquer som-
mairement, tout au moins, sur son véritable caractère.
Quelques considérations sur le rôle qu’il a joué dans
la société romaine, au point de vue des mœurs et de
la famille, nous fourniront les premiers éléments d’ap-
préciation et nous aideront à mieux saisir tout ce qu’il
y a de particulièrement étrange dans sa nature.
CHAPITRE PREMIER
CONDITION DE L'ESCLAVAGE AU POINT DE VUE DES MOEURS
§ 1.
Wallon, dans le tome II, chapitre
III,
de l’Esclavage,
s'exprime ainsi : « Deux influences dominaient toute
la vie de l’esclave : 1° l’influence générale de son étal;
— 13 —
l’esclave n’est rien, rien qu'une chose sous la main
qui le possède; 2° l’influence particulière de son
maître ; le maître est tout pour lui, sa parole est la loi
et ses ordres le devoir. » Il ressort de là que la loi de
l’intérêt est le fondement de sa condition.
Puisqu’il est sans aucune valeur, qu’il est à vrai dire
une chose, le maître s’en servira suivant ses caprices
et surtout suivant ses intérêts. C’est dans le but de les
satisfaire, qu’il exigera de lui les qualités physiques,
force, vigueur, beauté, et les qualités morales, intelli-
gence, talent, aptitudes artistiques, car alors la vente
lui procurera des bénéfices énormes.
§
2
.
S’il sert les intérêts pécuniaires du maître, il sert
aussi les intérêts de ses plaisirs. « Point de principe de
morale en dehors du maître. (Wallon, loc. cit.) » Un
dévouement absolu, une obéissance aveugle, un zèle em-
pressé, voilà ce que le maître exige de l’esclave. Seule-
ment il faisait servir ces qualités à perpétrer des crimes,
à commettre toutes sortes de méfaits, violant ainsi, sans
honte, comme sans remords, les préceptes les plus
sacrés de la justice et de la morale ; on comprend, dès
lors, qu’une pareille influence dût nécessairement
altérer la constitution intime de son être et corrompre
son naturel. Les simples notions d’équité, d’humilité
et de vertu disparaissaient dans ces saturnales sans
nom, dont l’histoire nous renvoie le triste écho :
l’esclave finissait toujours par exploiter le plaisir pour
lui-même tout en l’exploitant pour son maître. Il alla
— 14 —
beaucoup plus loin qu’on ne l’eût voulu dans cette
morale de l’intérêt ; aussi le voyons-nous chercher son
bien partout où il lui était donné de le trouver « dans
la débauche, les orgies, par la fraude, les mensonges,
le vol, le meurtre lui-même. (Wallon, loc. cit.) » Vint
un jour où le maître, qui était tout, dut compter avec
l’esclave qui n'était rien, et user envers lui dans une
multitude d'occasions, de la plus grande prudence :
l’esclave servait, en effet, l’intérêt du fils contre le
père, du père contre le fils, de l'époux contre l’épouse,
se mêlant à toutes les intrigues, versant avec autant de
cynisme, le poison dans la coupe, qu’il plongeait un
poignard dans le sein innocent. Il arriva à un degré de
scélératesse inouï, et si nous consultons l’histoire, elle
nous renvoie aussitôt la physionomie hideuse de ce
monstre affranchi, Narcisse, qui est le type achevé de
la perversion morale. Comment s’étonner de tant de
turpitudes? L’esclave avait contre lui, conjurées pour
le perdre, toutes les puissances de la terre ; une fois
entré dans la pente du mal, il marcha vite dans
l’œuvre de sa propre dégradation ; rien ne put l’ar-
rêter, il perdit le sens de sa dignité et devint un être
sans raison capable de tous les forfaits; aussi pouvons-
nous dire, sans exagération aucune, avec Valérius,
que si l’impudicité était un crime dans l’ingénu, elle
devenait un devoir dans l’affranchi, une nécessité dans
l’esclave.
— 15 —
§ 3.
Le châtiment, tel est le dernier mot de cette morale
étrange, qui pourtant n’est que politique et calcul ; les
plus sages d’entre eux la suivent en tout, et, pourtant,
d’autres ne pouvant échapper aux vexations de toutes
sortes, dont ils étaient l’objet, devenaient comme insen-
sibles; et alors, comme le dit M. Wallon (1), « c’est
aux supplices qu’ils allaient demander leurs titres de
noblesse. ». Il faut pourtant ici se garer de l’exagéra-
tion du poëte et de l’historien, car, pour nous servir
d’un mot technique dans son expression, quel que soit
le degré d’abrutissement auquel on soit arrivé, cepen-
dant on ne va pas jusqu’à demander à grands cris les
tourments de la mort. Nous devons toutefois ajouter
que ce spectacle n’était pas rare ; nous voyons par là
que l’esclave, par la seule influence générale de son
état, avait été jeté hors de la nature, hors des lois
ordinaires de la vie, et que ses actes devaient, par une
fatale conséquence, être entachés de tout ce qui peut
révolter l’esprit et le cœur.
Mais si, comme le dit fort bien M. Wallon, les mau-
vais traitements eurent pour effet d’endurcir l’esclave,
ils pouvaient, loin d’amortir en lui le sentiment, le
surexciter jusqu’à l’impatience du joug et parmi tant
de passions mauvaises provoquer la plus terrible, celle
de la haine et de la vengeance.
(1) De l’Esclavage, partie II
e
, chap.
VII.
—
16
—
CHAPITRE II
CONDITION DE L’ESCLAVAGE AU POINT DE VUE
DE LA FAMILLE
Examinons maintenant ce qu’il est en ce qui con-
cerne la famille. Les Romains regardaient l’esclave
plutôt comme une chose que comme une personne.
Aussi, le maître devait-il le ménager comme on le fait
de tout ce dont on a la propriété.
§ 1.
La nourriture, les vêtements, le logement leur
étaient donnés, mais nous nous hâtons de dire que la
parcimonie la plus grande guidait le maître dans tout
ce qu’il leur attribuait. Le principe était celui-ci :
« Exiger le travail jusqu’aux limites du possible, et
donner des soins dans les limites du nécessaire. »
Tout était calculé d’après cette donnée rigoureuse et
inhumaine.
§ 2.
Le mariage, sans portée juridique, était accordé
comme une faveur, et les jurisconsultes de l’ancien
Droit le recommandaient : les uns, pour en tirer un profit
pécuniaire qu'on exigeait
de
l’esclave sous forme de
tarif ; les autres, pour en avoir le plus de produits pos-
—
17
—
sibles et augmenter ainsi le nombre des esclaves, qu’ils
faisaient vendre, s’ils ne les utilisaient pas. Le contu-
bernium par lui-même, était impuissant à créer un lien
de parenté; cependant, dit Paul, le lien purement
naturel qui dérive de l’union des sexes est un empê-
chement au mariage, ainsi que celui qui découle d’une
parenté légitime, comme le confirme Modestin : Dans
le fait du mariage, il ne faut pas considérer seule-
ment ce qui est, mais encore ce qui est honnête.
(L. 197. D L. XVII.)
§ 3.
Le maître affectait à l’usage spécial de l'esclave une
part de son patrimoine, dont il lui laissait, avec
l’usage, l’administration directe ; cette part ainsi con-
cédée avait reçu le nom de pécule, dont nous reparle-
rons plus lard avec détail. C’était là un moyen de
stimuler son dévouement et d’exploiter son habileté et
sestalents particuliers.
Mais le pécule était aussi et souvent le fruit des
épargnes du malheureux esclave « sur la seule chose
qui parût être à lui, la nourriture. » L’esclave espérait
ainsi pouvoir se constituer un bien à lui propre, il n’en
était rien, le maître absorbait tout, il pouvait en
disposer d’une manière absolue; mais en pratique, et
pour ménager ses propres intérêts, il lui en laissait
l’usufruit. En empruntant les propres termes de
M. Wallon, nous pouvons dire « qu'il y avait là une
sorte d’assurance sur la vie au milieu des hasards de
tous les jours ; mais on ne pouvait y voir les éléments
a
2
—
18
—
d’un contrat, car le maître ne peut valablement
s’obliger envers un esclave. Ce fut d’abord une obliga-
tion de convention ; plus lard, mais longtemps après,
la loi en tint compte en justice.
§ 4.
Ainsi donc, l’esclave trouve dans la famille une
apparence de mariage et de propriété ; mais ce n’est là
qu’une apparence, et la triste réalité revenait, impi-
toyable, pour lui apprendre à se souvenir, s’il le pou-
vait encore.
I. — Parmi les causes qui aggravent la situation
des esclaves dans la famille, nous devons signaler en
premier lieu l’extension de la propriété, qui avait en-
traîné l’augmentation du nombre de ces malheureux sur
le même domaine ; pour prévenir la fuite ou la révolte,
on les chargeait de chaînes. Certains historiens, Pline
entre autres, déploraient, dans l’intérêt de l’agricul-
ture, l’emploi d’une mesure si rigoureuse.
II. — Une seconde cause fut l’établissement d’un
intermédiaire, villicus, entre le maître et ses esclaves :
ceux-ci furent, dès lors, plus torturés que jamais ; car
les villici, tout en faisant l’affaire du maître, cher-
chaient surtout à faire la leur par toutes sortes de
vexations.
III. — En certaines occasions, certaines fêtes, aux
fêles de Saturne par exemple, l’esclave devenait roi
d’un jour ; on oubliait son état et on tolérait toutes
ses libertés : il se coiffait du bonnet de l’affranchi,
—
19
—
et prenait tous les dehors de l’homme libre, étrange
ironie des mœurs de ces temps-là, qui ne servait qu’à
leur faire sentir plus vivement l’état d’abjection où ils
étaient réduits.
IV. — Somme toute, les esclaves ôtaient incapables
de contracter un mariage valable; la conséquence est
qu’ils ne pouvaient point acquérir des droits de famille
qui en découlent. Les enfants étaient soumis à l’ab-
solutisme du maître. Ils n’avaient pas non plus de
nom propre légitime.
Tel est, au point de vue des mœurs et de la fa-
mille, le véritable caractère de l’esclave. Disons un
mot, maintenant, de sa véritable nature au point de
vue juridique.
TITRE II
CONDITION JURIDIQUE DE L'ESCLAVE
GÉNÉRALITÉS
§ 1. — Nature de l’esclave.
Une difficulté peut s’élever en ce qui concerne la
nature de l’esclave. Justinien le range parmi les choses
corporelles; il résulte également de plusieurs textes du
Digeste qu’il peut être l’objet de toutes sortes de tran-
—
20
—
sactions : ainsi, il peut être donné en vente, en gage,
en usufruit, en hypothèque. Mais, par ailleurs, Justi-
nien lui-même lui reconnaît formellement des droits;
il semble tout au moins en convenir en laissant insérer
au Digeste un passage de Paul, dans lequel le juris-
consulte regarde explicitement l’esclave comme une
personne. (L. 38, § 8 ; D. , XLV, I.) Évidemment, il y
a là une contradiction réelle qui choque la raison.
Comment l’expliquer? A notre sens, il faut ne pas
confondre la législation romaine et la législation
française. Chez nous, les choses seules peuvent être
vendues, données ; chez les Romains, il n’en était pas
ainsi : le père avait bien le droit de vendre son enfant,
mais nul n’eût osé refuser au fils de famille la qualité
de personne. Ce qui est vrai de l’un est vrai de l’autre.
Ainsi donc, croyons-nous pouvoir affirmer qu’en logi-
que rigoureuse, l’esclave est une personne. Ne peut-il,
en effet, s’obliger par ses délits, naturellement par ses
contrats? N’a-t-il pas le droit de poursuivre son maître
en justice dans certains cas déterminés (L. 53 ; D., VI),
le droit de stipuler (L. 38, § 7 ; D., XLV, I), de figurer
comme sujet dans une vente ou dans un achat, etc.?
Il résulte de ces textes que l’esclave est évidemment
une personne ; nul ne peut le nier. La contradiction
de Justinien que nous venons de signaler s’explique si
l’on considère que cet empereur n’avait pas une idée
bien arrêtée sur la question qui nous préoccupe. Du
reste, de pareilles contradictions ne sont pas rares dans
les textes qui traitent de l’esclavage.
—
21
—
§ 2. — Division de la matière.
Nous venons de voir quel est le vrai caractère de
l’esclave, quelle est sa vraie nature ; s’il peut être l’ob-
jet de toutes transactions, avons-nous dit, il peut être
aussi sujet actif, et, comme tel, il acquerra à son
maître, soit la propriété et autres droits réels, soit la
possession, soit une hérédité ou un legs, soit des droits
de créance. il peut être, en outre, le sujet actif et
passif d’un délit, et, par là, obliger les tiers envers le
maître, et, dans une certaine mesure, le maître à
l’égard de ces derniers, en le soumettant aux actions
noxales, s’il n’aime mieux abandonner le sujet du délit.
Cette division de la matière établie, comment le
maître peut-il acquérir ? Il peut acquérir non-seulement
par lui-même, par des actes auxquels il figure person-
nellement, mais encore par des tiers, dans des actes
dans lesquels il est représenté. (Gaïus, II, § 86 ; Inst.,
Per quas pers., II, IX.)
Parmi les personnes dont on peut se servir pour
l’acquisition des droits réels et de créance, nous trou-
vons avec le tuteur, curateur, mandataire et les fils de
famille, les esclaves, lorsqu’ils agissent conformément
à la volonté du maître. Cette volonté peut être donnée
d’une manière expresse ou bien tacitement, par exem-
ple en concédant un pécule avec la faculté de l’admi-
nistrer librement (L. 41, § 1 ; D., de Rei vind., VI, I) ;
mais, d’après un texte du Digeste (L. 28, § 2 ;
D., II, XIV), « les aliénations gratuites leur sont inter-
dites. » En fait, il pourrait s’élever une controverse sur
—
22
—
le point de savoir si la faculté d’aliéner accordée par le
maître à l’esclave peut comprendre toutes dispositions
à titre onéreux. (L. I, § 1 ; D., Quæ res, XX, III.)
Nous nous contentons d’en donner l’indication.
Quant aux obligations résultant des délits ou quasi-
délits commis par ou contre l’esclave, nous verrons que,
sur plusieurs points, le Droit prétorien a innové sur le
Droit civil, notamment en ce qui concerne la respon-
sabilité du maître à l’égard des tiers.
CHAPITRE PREMIER
EFFET DE LA PUISSANCE DOMINICALE RELATIVEMENT
AUX BIENS
(Acquisition de la propriété et autres droits réels. — De la possession.
De l’hérédité ou d’un legs. — Des droits de créance.)
SECTION PREMIÈRE
Acquisition de la propriété et autres droits réels.
§ 1. — Comment l’esclave acquiert-il les droits
de propriété et autres droits réels ?
L’esclave peut acquérir la propriété et autres droits
par tous les modes ordinaires d’acquisition (occupation,
usucapion, mancipation, stipulation, le legs, etc.),
excepté par l'in jure cessio (Gaïus, II, § 87) et l'adju-
dicatio (Gaïus II, § 91) : l'in jure cessio, car il ne
peut défendre à aucune action, en principe du moins
—
23
—
(nous verrons, dans certains cas, une dérogation à cette
règle) ; l’adjudication, car il n’a pas le droit de reven-
diquer une chose comme sienne devant le magistrat.
§ 2. — A qui profite l'acquisition faite par l'esclave ?
I. — Évidemment pas à lui, car il est incapable
d’être propriétaire, mais au maître. Gaïus, dans son
Commentaire (I, § 52), formule cette règle, « que tout
ce que l’esclave acquiert est acquis au maître. » Dès
lors, le servus pœnœ, qui est un servus sinè domino,
ne pourra point acquérir : il ne peut, en effet, em-
prunter la capacité de personne. (L. 25, § 1 ; D., de
Acquir. vel amitt., XLI
, II.)
L’esclave est donc, dans
tous les actes civils, l’intermédiaire du maître et, pour
ainsi dire, son porte-voix ; aussi, dans la mancipation,
lorsqu’il joue le rôle d’acquéreur, c’est au nom du
maître qu’il prononcera la formule d’acquisition.
II. — Nous devons toutefois apporter une restric-
tion en ce qui concerne les esclaves publics, dont le
maître est l’État. Par une faveur tout à fait exception-
nelle, on leur accorde une part des bénéfices.
III. — L’esclave peut appartenir à un ou plusieurs
maîtres. Dans la première hypothèse, point de diffi-
culté, la propriété de la chose acquise revient à celui
en la puissance duquel il se trouve. Dans la seconde,
il acquiert à ses maîtres en proportion des droits de
chacun, sauf pourtant le cas où l’acquisition a lieu par
le fait de l’un d’eux et celui où l’esclave a déclaré
vouloir acquérir pour tel et non pour tel autre. Toute-
fois, d’après un texte de Gaïus (1. 43, D., XLI, I), nous
—
24
—
devrions décider que la chose reste commune aux divers
maîtres, alors même que l’acquisition aura été faite à
l’un d’entre eux, mais alors celui qui n’a rien formulé
sera dans l’obligation de tenir compte de la somme
dans l’action communi dividundo.
IV. — Supposons maintenant un esclave sur lequel
est constitué un droit d’usufruit : Toutes les acquisi-
tions qui proviennent ex re suâ ou ex operis servi
appartiennent à l’usufruitier. Ces expressions deman-
dent d’être expliquées.
En acquérant ex re meâ je ne fais qu’user du jus
utendi ; l’esclave en payant avec mon argent acquiert
une chose quelconque pour mon propre compte.
(Gaïus, II. § 91.) D’ailleurs, l’acquisition ex re fruc-
tuarii porte non-seulement sur les actes à titre oné-
reux, mais aussi sur les libéralités entre-vifs ou à cause
de mort qu’un tiers fait à l’usufruitier en considéra-
tion de sa personne. Sur ce point nous devons citer
un texte de Justinien qui paraît contradictoire. (Inst.,
§ 4. II,
IX
.) Justinien concède non à l’usufruitier mais
au nu-propriétaire toutes les donations, institutions
d’héritier, ou legs faits à l’esclave. Cette solution paraît
juste, car, d’après les principes, il est certain que l’es-
clave institué par un tiers n’acquiert pas ex re meâ,
mais ex re testatoris ; de là c’est le nu-propriétaire
qui recueille la succession après que sur son ordre
l’esclave aura fait adition. (Gaïus, II, § 92.) L'appa-
rente contradiction que nous venons de signaler s’expli-
que encore si l’on considère que la présomption n’est
jamais en faveur de l’usufruitier ; le droit de celui-ci
est un démembrement de la propriété, et la loi favorise
—
25
—
toujours le retour au droit commun. Il en résulte que
c’est à l’usufruitier à prouver que l’intention du dona-
teur ou du testateur était de le gratifier par l’intermé-
diaire de son esclave.
Certains auteurs font entrer dans les acquisitions
ex re fructuarii les dons qu’il reçoit de l’usufruitier
lui-même. Mais ici nous devons faire remarquer que la
donation faite par l’usufruitier constitue un véritable
pécule dont il conserve la propriété, et on ne peut assu-
rément pas dire qu’il y ait là une acquisition véritable.
J’acquiers ex operis servi, comme usufruitier, en ce
sens que l’esclave fournissant son travail à une tierce
personne, celle-ci lui paye un salaire qui me revient en
vertu du jus fruendi. — De même l’usufruitier qui
fait travailler directement l’esclave pour son propre
compte acquiert également ex operis servi ; mais ici
on ne peut pas dire qu’il y ait une acquisition propre-
ment dite; c’est là plutôt une transformation de matière.
(Ulp., 1. 14. D., VII,
VIII
.)
Cependant, avant d’entrer dans d’autres explica-
tions, nous devons nous hâter de faire observer que si
l’esclave déclarait expressément (nomina tim) son inten-
tion d’acquérir pour le nu-propriétaire, celui-ci bénéfi-
cierait de l’acquisition et non l’usufruitier ; mais le
fructuarius pourrait réclamer une indemnité qu’il
obtiendrait par la condictio. (L. 39. D., de Stip. serv.
XLV,
III
.)
Si nous supposons qu’un esclave dont j’ai l’usufruit
et l’usage a fait une acquisition, mais qu’il n’a pas
encore payé le prix au vendeur, ou bien qu’il ait
simplement donné satisfaction sans payer le prix, que
—
26
—
devient l’acquisition ? à qui appartient la chose ac-
quise ? est-ce au nu-propriétaire ? On ne saurait le
dire tout d'abord, car la question est in pendenti. En
effet, si le prix est payé par le nu-propriétaire, de ses
deniers, c’est à lui que l’acquisition profite ; si c’est au
contraire l’usufruitier qui a fourni la valeur, c’est pour
lui que l’acquisition se réalisera. Il faut donc attendre
que le prix soit payé pour juger la question ; il suffira,
dès lors, d’examiner lequel des deux l’a fourni.
SECTION II
Acquisition de la possession.
Comment et pour qui l’esclave acquiert-il la
possession ?
I. — Voici le principe qui règle celte matière : Pour
qu’un esclave puisse acquérir à son maître la posses-
sion, il faut qu’il soit lui-même en la possession du
maître. (D., de Acquir. vel amitt. poss., I,
I
, § 14.) Il
s’ensuit que le débiteur, par exemple, qui a donné cor-
poraliter son esclave en gage, ne pourra plus acquérir
la possession par cet esclave ; car il ne le possède plus.
Paul dit qu’il le possède, mais seulement ad usuca-
pionem.
Dans l’ancien Droit, le maître ne pouvait non plus
acquérir la possession par un esclave fugitif; mais cette
question ayant partagé l’opinion des auteurs, on en
vint à admettre un terme moyen, et on décida que
—
27
—
l’esclave fugitif pouvait acquérir la possession tant qu' il
n’était pas lui-même possédé par personne.
II. — Indépendamment donc de la propriété que le
maître peut acquérir par les personnes soumises à sa
puissance, nous devons parler de la possession qu’il
peut acquérir par les mêmes personnes. — Deux
éléments constituent la possession : 1° l’élément
intentionnel, animus ; 2° l'élément matériel, corpus.
L'animus, la volonté de posséder, doit de toute néces-
sité se réaliser dans la personne de celui qui a la
puissance ; en ce qui concerne l’élément corporel, au
contraire, le fait en d’autres termes, la détention
matérielle de la chose, le maître peut la réaliser par
l’intermédiaire d’une autre personne, corpore nostro
vel alieno.
Pour plus de clarté nous croyons devoir rappeler
quels sont les différents genres de possession admis
par les jurisconsultes : 1° la possession purement ma-
térielle, nuda detentio ; 2° la possession qu’on nomme
le plus souvent ad interdicta, et que l’on pourrait
appeller « intentionnelle » ; 3° la possessio civilis...
La détention corporelle avec l'animus, même pro-
tégée par les interdits, ne conduit pas à l’usucapion.
— La détention avec l' animus et la justa causa con-
duit à l’usucapion ; relativement à la possession ad in-
terdicta, l'animus n’est pas requis chez l’esclave ; il
suffit qu’il se trouve chez le maître (Paul, Sent.
, V, 2, § 1) : Possessionem adquirimus et animo et
corpore ; animo utique nostro corpore vel nostro
vel alieno. Telle était la règle en Droit romain pur, à
laquelle on a fait une dérogation tellement considé-
—
28
—
rable qu’aisément on a pu lui substituer l’exception :
il a été admis, en effet, que l’esclave peut acquérir au
maître, même à son insu. Le motif d’une pareille
dérogation se trouve dans cette considération que le
maître est censé avoir eu une fois pour toutes la
volonté de posséder lorsqu’il a concédé le pécule. Cette
fiction, comme le fait observer Papinien , a été
admise « afin que le maître ne soit pas obligé de se
livrer à une inquisition perpétuelle sur la consistance
du pécule. »
L’esclave peut acquérir la possession ad interdicta
par la seule détention de la chose possédée, à laquelle
doit être joint l'intellectus possidendi dans le cas où
l’acquisition ne procède pas ex peculiari causâ.
Il en est de la possessio civilis comme de la posses-
sion dont nous venons de parler.
D’après un texte du Digeste (§§ 10 et 11, D., XLI,
IV
),
la bonne foi doit exister chez le maître et chez l’esclave
pour que la possession puisse conduire à l’usucapion.
Il n’y a pas lieu de distinguer ici si la possession est
acquise ex re peculari ou aliundè ; il faut, de plus,
que la possession soit exempte d’erreur ou de violence
et qu'elle procède, en outre, ex justâ causâ, c’est-à-
dire qu’il ait reçu la chose possédée en vertu d’un titre
qui serait translatif de propriété, s’il émanait du véri-
table propriétaire.
III. —Peut-on acquérir la possession comme on
acquiert la propriété par l’esclave sur lequel est
constitué un droit d’usufruit et d’usage ?
Au temps de Gaïus, le doute existait sur le point
que nous traitons. Nous retrouvons dans un texte de
— 29 —
cet auteur (C. 11, § 94), les hésitations de la doctrine
à cette époque. Voici comment on raisonnait : Je suis
propriétaire d’un esclave, j’acquiers la possession par
son intermédiaire, point de difficulté ; mais je ne suis
qu’usufruitier, je ne le possède pas, donc je ne puis
acquérir la possession. L’opinion contraire prévalut :
un texte de Papinien en fait foi : Possessio quoque
per servum cujus ususfructus est ex re meâ, vel ex
operis servi, adquiritur mihi
Le motif de cette
solution est tiré de l’assimilation qu’on peut établir
entre la situation de l’esclave soumis à un usufruit et
la situation du fils de famille dans ses rapports avec le
père; celui-ci, en effet, acquiert très-régulièrement la
possession à son père, bien qu’il ne soit jamais possédé
par lui ; c’est ce qui résulte d’un texte du Digeste.
(C. 1, § 8, de Acq. vil amitt. poss., XLI
, II.)
Mais d’après cette donnée, et pour être logique,
nous sommes conduits à décider que le propriétaire
lui-même peut acquérir la possession par un esclave
qu’il ne possède plus. Dans les textes de Justinien, on
ne retrouve plus les traces de cette controverse, et on
admettait que l’on pouvait acquérir la possession par
l’esclave.
Les principes que nous appliquons à l’esclave sou-
mis à un droit d’usufruit, sont les mêmes en ce qui
concerne l’esclave soumis à un droit d’usage ; toutefois,
nous devons faire une réserve relativement aux operœ
qui ne sont pas accordées à l’usager; car, il ne peut
donner à bail. L’usager d’un esclave peut seulement
user de ses services et de son travail ; mais il ne peut
—
30
—
transférer son droit à un tiers, car ce droit est per-
sonnel.
IV. — Esclave d’autrui possédé de bonne foi par
un tiers. — Le possesseur de bonne foi de l’esclave
d’autrui acquiert ex re possessoris et ex operis servi ;
ex re possessoris, par le seul motif d’équité ; ex
operis servi, en vertu de son droit général aux fruits de
la chose. Il semble, dès lors, que sa situation soit en
tout point analogue à celle de l’usufruitier, il n’en est
rien. D’après un texte de Gaïus (L. 20, de rei vindie,
VI,
1
), une distinction doit être établie : la condition de
possesseur est préférable en ce sens qu’il peut usucaper
et, en conséquence, devenir propriétaire de l’esclave
d’autrui lorsqu’il l’aura possédé pendant le temps
voulu; moins avantageuse en ce sens qu’il perd les
operœ, du moment où il devient de mauvaise foi.
Relativement aux acquisitions ex re possessoris
qui lui sont attribuées, même après qu’il a perdu sa
bonne foi, nous devons faire observer que ces acqui-
sitions ne sont pas à vrai dire définitives et, d’un autre
côté, le propriétaire ne peut pas s’autoriser de sa
mauvaise foi pour s’enrichir aux dépens du possesseur.
L’usufruitier, de son côté, a une position inférieure,
en ce sens qu’il ne peut pas usucaper et, par consé-
quent, acquérir la propriété de l’esclave par la raison
qu’il ne possède pas et que, par ailleurs, il sait que
l’esclave n’est pas sien, qu’il appartient à autrui.
Les distinctions établies par Gaïus et reproduites
par Justinien n’étaient pas acceptées par Julien et
Ulpien ; le premier laisse au possesseur de mauvaise
foi le droit absolu aux operœ de l’esclave jusqu’à ce
— 31 —
qu’il soit évincé. (C. 25, § 2, XXII,
I
.) Le second, com-
plètement défavorable au possesseur, ne lui accorde
même pas les acquisitions
ex re suâ.
(C. 23, § 1,
D., XLI, I.) Une telle solution ne s’expliquerait guère,
si nous n’admettions qu’Ulpien devait accorder au pos-
sesseur de bonne foi un
condictio
pour se faire rem-
bourser la valeur par lui fournie ; c’était un moyen
d’arriver au même résultat que celui recherché par
Gaïus, mais par des voies beaucoup plus longues et
moins sûres.
V. —
Homme libre possédé à juste titre et de
bonne foi comme esclave.
Les principes que nous venons d’exposer sont à peu
près les mêmes en cette matière : il existe cependant
des différences assez notables entre le possesseur de
de bonne foi de l’esclave d’autrui et le possesseur de
l’homme libre possédé comme esclave : 1° le premier
peut usucaper l’esclave, ainsi que nous l’avons dit; il
n’en est rien pour le second; 2° Accarias rapporte une
seconde différence qui aurait été proposée ancienne-
ment : l’homme libre institué héritier,
contempla-
tione possidentis,
aurait néanmoins acquis l’hérédité
pour lui-même ; seulement le possesseur aurait pu en
exiger la restitution à titre de fidéicommissaire. Mais
cette opinion ne prévalut pas, ainsi que l’attesterait le
texte suivant (L. 45, § 4 ; XXIX,
II
) ; 3° une troisième
différence résulte du caractère de la personne objet de
la possession : si la personne est libre, toutes les acqui-
sitions se réalisent pour son propre compte et ne pro-
fitent pas au possesseur; si la personne est esclave,
— 32 —
dans cette hypothèse, les acquisitions reviennent né-
cessairement au maître.
Enfin, et pour terminer ce qui est relatif à l’acqui-
sition de la possession par l’esclave, on peut acquérir
par ce dernier
ex omni causâ
avant môme d’avoir
accompli l’usucapion ; le cas se présente quand une
personne a un esclave
in bonis
et que le
dominium
ex jure Quiritium
appartient à un autre. Cependant,
à l’époque de Gaïus, quelques auteurs prétendaient
que cette personne ne saurait acquérir ce que l’esclave
s’est fait manciper
nomine ejus.
(C., II, § 88.)
SECTION III
Acquisition d’une hérédité, d’un legs.
§ 1. —
Acquisition d’une hérédité
Servos alienos instituere possumus sine libertate,
dit Ulpien. (
Regul
. 22.) On peut donc instituer un
esclave dans un testament. Mais quelles sont les con-
ditions, les formes, les cas d'application, les effets
enfin de cette institution ? Les développements que né-
cessite une pareille question nous entraîneraient bien
au delà des bornes de notre sujet ; qu’il nous suffise
de savoir que le propriétaire a seul droit à l’hérédité ou
au legs que son esclave acquiert, à moins que l’insti-
tution et le legs n’aient été faits
contemplatione pos-
sessionis vel usufructuarii.
La seule condition pour
que l’institution se réalise, c’est qu’on ait la
factio tes-
— 33 —
tamenti
avec le maître. — Gaïus nous apprend que
lorsqu’un esclave est institué, c’est comme si le maître
l’était lui-même. Mais voici quel tempérament les
jurisconsultes romains ont apporté à cette règle :
C’est uniquement par rapport à la
factio testamenti,
et uniquement pour donner à l’esclave la capacité dont
il était privé, qu’il faut considérer la personne du
maître en cette matière. D’où la conséquence que l’es-
clave pourra recevoir en legs une chose appartenant
à ce dernier. C’est là une faculté qu’il ne posséderait pas
si le legs était fait véritablement au maître lui-même.
Certains jurisconsultes sont allés plus loin dans cette
voie et décident, en raison des solutions précédentes,
que la liberté étant bien du maître, il peut léguer à
l’esclave sa propre liberté ; un texte, du reste, déclare
que c’est inutilement qu’un pareil legs est fait à l’es-
clave d’autrui. (L. 49,
in fine ;
D.,
de Hered., inst.
XXVIII,
IV
.)
L’esclave qui n’a par lui-même aucune capacité juri-
dique ne peut faire adition que sur le
jussus domini ;
il pourra arriver qu’il soit affranchi avant l’adition ;
dans ce cas il bénéficiera seul de la succession ; si, au
contraire, il est encore esclave au moment de l’adition,
il acquerra l’hérédité pour le maître qu’il aura à cette
époque.
Toutefois, relativement à l’hérédité jacente, il peut
se présenter une difficulté : Les biens laissés par le
défunt sont, croyons-nous, jusqu a l’adition de vérita-
bles
res nullius.
De là on pourrait conclure : l° que
les esclaves de l’hérédité jacente ne pourront ni acqué-
rir, ni stipuler, ni même figurer dans un testament à
a
3
— 34 —
titre d’institué ou de légataire; 2° que le meurtre de
l’esclave et d’une manière générale « le dommage causé
à la chose héréditaire n’aurait pas pu donner lieu à
l’action
legis Aquiliœ,
qui n’appartient jamais qu’au
propriétaire. »
C’est par une fiction que les jurisconsultes cherchè-
rent à remédier à ces inconvénients :
Hereditas per-
sonam sustinet,
telle est la règle qui leva toutes les
difficultés.
Mais il existe une autre doctrine d’après laquelle
ceux qui la soutiennent prétendent que l’hérédité re-
présentait non le défunt, mais l’héritier futur; ceux-là
admettent à coup sûr la rétroactivité de l’adition, de
telle sorte que l’héritier futur était censé avoir immé-
diatement succédé à son auteur.
On ne saurait admettre une pareille opinion ; Gaïus
lui-même, partisan de la rétroactivité de l’adition,
semble admettre la règle fictive :
Hereditas per sonam
sustinet.
Du principe que l’adition implique absolument la
volonté de l’héritier lui-même, nous devons faire décou-
ler plusieurs conséquences :
1° En droit strict, les personnes qui ne peuvent pas
avoir de volonté, l’esclave par exemple, ne sauraient
faire valablement adition, et nul ne peut le repré-
senter.
2° L’institué
alieni juris
ne peut faire valablement
adition sans ordre préalable et spécial. L’autorisation
du maître est tellement nécessaire que le vice résultant
du défaut d’autorisation ne peut être couvert par un
consentement donné après coup ; mais la volonté du
— 35 —
maître ne peut qu’autoriser et valider la sienne ; elle
ne saurait s’y substituer ni la contraindre. (L. 33 ;
D., XLVI,
I
.) C’est probablement ce résultat qu’on
veut expliquer en disant que l’hérédité passe directe-
ment au maître; pourtant nous devons ajouter que les
Romains n’ont pas suivi cette idée dans toutes ses con-
séquences.
§ 2. —
Acquisition d’un legs.
Nous avons vu que l’esclave peut être non-seulement
institué héritier, mais aussi légataire, et acquérir
comme tel la propriété à son maître. La condition
exigée était que le testateur eût la
factio testamenti
avec le maître de l’esclave ; peu importe, au reste, que
le legs soit
per vindicationem, per prœceptionem,
per damnationem
ou
sinendi modo :
si, avant
Justinien, les deux premiers étaient seuls translatifs
de propriété, sous cet empereur il n’en est plus ainsi :
l'effet translatif de la propriété se réalise indépendam-
ment de la forme du legs.
L’esclave au moyen du legs peut encore acquérir à
son maître l’usufruit, les servitudes prédiales
Mais
il pouvait naître des difficultés en ce qui concerne les
modes d’acquérir entre-vifs..... « Les servitudes rurales,
seules susceptibles de mancipation , étaient des
res
mancipi.
» On ne pouvait acquérir les autres droits
réels que par
l’in jure cessio
et l’adjudication. Or,
nous avons déjà vu que ces modes étaient refusés à
l’esclave. Que faire? Le paragraphe 51 des
Fragmenta
vaticana,
nous dit :
Per mancipationem ita potest
— 36 —
ut nos proprietatem quœ illis mancipio data sit,
deducto usufructû, remancipemus.
Ainsi donc, l’es-
clave par la mancipation acquérait la pleine propriété
à son maître; celui-ci remancipait la nu-propriété à
l’aliénateur, et se réservait l’usufruit. Voilà comment
on tournait la difficulté.
Le préteur y mit fin en permettant de constituer les
servitudes prédiales ou personnelles par une quasi-
tradition.
Nous aurions maintenant à nous demander si un
esclave peut, sous Justinien, établir par pactes et stipu-
lations, une servitude au profit du fonds de son maître;
mais cette discussion nous entraînerait trop loin ;
nous dirons seulement que, d’après un texte classi-
que de Gaïus et d’Africain (1), « les pactes et stipula-
tions s’employaient pour suppléer un droit réel, qui ne
pouvait être établi pour un motif quelconque. » On ne
retrouve pas même les traces de cette question, soit
dans le Digeste, soit dans les Constitutions de Justi-
nien ; mais ce dernier reproduit fort maladroitement
un texte de Gaïus relatif à la matière, et c'est ce
qui a précisément fait naître la difficulté d’interpréta-
tion (2).
(1) § 31. Gaïus, Comm. II ; 1. 33, D. VIII, tu,
(2) § 4. Inst. II, liv. III,
de Servit.
— 37 —
SECTION IV
Acquisition des droits de créance.
Comment les esclaves peuvent-ils obliger les tiers
envers eux ?
§
1
.
L’esclave, dit Ulpien, ne peut être, à proprement
parler, ni créancier ni débiteur; en employant ces
expressions, à tort selon nous, ce jurisconsulte consi-
dère le fait plutôt que le droit, car ce qui est dû à
l’esclave peut être réclamé pour le maître.
On voit par là toute la similitude qu’il faut établir
entre l’acquisition des droits de créance et de pro-
priété. L’esclave les acquiert sans pouvoir prendre ni
la qualité de créancier, ni la qualité de propriétaire ;
cela tient à ce que l’esclave n’était que l’instrument,
le porte-voix du maître dans tous les actes juridiques
auxquels il prenait part. Tous les modes d’acquisition
lui sont ouverts; car il acquiert les droits de créance
absolument comme un homme libre.
§ 2.
Nous aurions toute une théorie à établir au sujet des
stipulations des esclaves, mais le cadre de notre thèse
ne nous le permettant pas, nous nous contenterons de
donner le motif pour lequel ce mode d’acquérir était
— 38 —
permis aux esclaves, et de résoudre les deux questions
suivantes : Quel esclave peut stipuler? et pour qui
acquiert-il les droits de créance?
I. — L'esclave, à Rome, occupait une immense place,
tant au point de vue social qu’au point de vue écono-
mique. S’il a été réduit à cet état d’abjection que nous
savons, c’est à la guerre qu’il faut en rejeter toute la
honte, mais comme homme il est l’égal des citoyens
eux-mêmes ; du reste, s’il est un instrument entre
les mains du maître, il en est cependant l’instrument
animé, actif, capable d’opposer à la volonté du maître
sa volonté propre; par leur travail, leur intelligence,
les esclaves forment dans la société une classe qui, bien
que dégradée, n’en est pas moins en cela supérieure à
celle des
cives romani.
Le propriétaire lui-même, dans un but d’intérêt
personnel, fait donner de l’instruction à l’esclave,
lui fait enseigner un art qu’il cultive ensuite pour le
compte de celui qui le commande. Les conquêtes de la
Grèce et la prise de Corinthe augmentèrent considé-
rablement le nombre des esclaves, qui apportèrent à
Rome l’éclat des sciences et des lettres.
C’est aussi pour cela qu’ils étaient les instruments
de la stipulation, en raison de celte facilité qu’avait
le maître de figurer dans tous les actes juridiques par
leur intermédiaire ; c était au fond une véritable repré-
sentation par autrui.
II.
Quel esclave peut stipuler ?
— Tout esclave
d’un maître ayant capacité, ainsi qu’il résulte d’un
— 39 —
texte des Institutes :
servus ex personâ domini jus
stipulandi habet.
III. —
Pour qui l’esclave acquiert-il des droits
de créance ?
Il ne faut pas croire, malgré les affirma-
tions d’Ulpien, que l’esclave acquière toujours pour son
véritable maître. Nous avons, ailleurs, établi une
distinction qu’il est ici nécessaire de faire revivre :
L’esclave peut être possédé par le véritable propriétaire
ou par un tiers ; dans le premier cas, point de diffi-
cultés, tous les droits de créance qu’il acquiert pro-
fitent au propriétaire ; dans le second, il n’en est plus
ainsi : d’après les principes que nous avons précédem-
ment développés sur la question d’usufruit et d’usage
constitués sur l’esclave, nous avons décidé qu’il acquiert
toutes les créances provenant
ex opere suâ et ex re
possessoris à
un tiers possesseur ; la créance prove-
nant d’une autre cause revient au véritable propriétaire,
que celui-ci ait ou non connaissance de l’acquisition,
d’après cette règle, établie par Justinien lui-même :
Sive autem domino, sive impersonaliter vernus sti-
pulatur
,
omnia adquirit.
Il n’y a d’exception que
pour le cas où le
factum ex stipulatû continetur,
ainsi qu’il arrive quand un esclave stipule ex
nomine
ejus,
un droit de passage : lui seul et non le maître
aura le droit d’en user.
Gaius nous apprend qu’avant Justinien l’esclave
n’acquérait pas pour celui qui a le
nudum jus Quiri-
tium
sauf le cas où il stipulait nominativement pour
lui ; à qui donc les acquisitions de créances profi-
taient-elles ? On distinguait dans la propriété pleine et
entière: d’abord le
nudum jus,
ensuite une propriété
— 40 —
particulière qu’on qualifiait d
'in bonis.
Assurément,
le nu-propriétaire était toujours celui qui avait pour
lui les droits fondamentaux, mais c'était celui qui
avait l’esclave
in bonis
qui bénéficiait de toutes les
créances qu’il avait acquises.
IV. — Il pouvait se produire une difficulté dont la
solution a son importance et qui est relative aux con-
testations qui pouvaient s’élever au sujet de l’exécution
des obligations contractées vis-à-vis de l’esclave. Celui-
ci tout d’abord ne saurait être mis en cause, car
cum servo,
dit Gaius,
nulla actio est.
—
Servus
in judiciis interesse non potest.
« C’est la personne
libre (propriétaire ou possesseur) à laquelle les droits
acquis par l’esclave appartiennent définitivement, qui
a seule la faculté de poursuivre en justice la revendica-
tion de ces mêmes droits. »
§ III
Nous n’insisterons pas d’avantage sur cette matière
qui cependant est des plus intéressantes, et nous four-
nirait l’occasion de traiter certaines questions juridi-
ques dont l’importance nous est révélée par un grand
nombre de textes du Digeste ; mais, comme nous
venons de le dire, cette étude des stipulations qui, à
elles seules, présentent les éléments de plus d’un
volume, nous entraînerait au-delà des limites que nous
nous sommes tracées dans celte thèse.
— 41 —
SECTION
V
Obligations naturelles des esclaves.
Du pécule.
—
Actions indirectes.
Nous avons vu que si l’esclave est rangé au rang
des choses, « il est en réalité une personnalité que
la loi est impuissante à étouffer sous la fiction. »
(Considérations sur l’esclavage,
partie II, chap. II.)
L’institution du pécule et surtout la loi naturelle pro-
clament hautement cette personnalité. Nous allons
dans un premier paragraphe nous occuper
des obli-
gations naturelles,
dans le second nous traiterons du
pécule,
dans un troisième et dernier
des actions
indirectes.
§ 1. —
Des obligations naturelles de l’esclave.
I. — Quelle est tout d’abord la raison pour laquelle
l’esclave ne peut par lui-même contracter une obliga-
tion civile ? L’esclave est entre les mains du maître un
instrument doué de parole, d’intelligence et aussi de
volonté qui lui permet de vouloir intérieurement au
moins ce que ne veut pas le maître.
Quand donc le
dominus
se sert de lui comme d’un
instrument pour contracter, il peut se faire que celte
volonté reste libre et ne se soumette pas à la volonté
étrangère à laquelle on prétend la subordonner. « Dès
lors comment prétendre, dit M. Wallon, que l’accord
sera parfaitement établi, parfaitement assuré et que
— 42 —
deviendra la fiction légale s’il se rompt? Elle tournera
contre le but qu'on se propose, et loin d’assujettir l’es-
clave au service de son maître elle liera le maître à
cette volonté servile. Aussi ne peut-on prétendre que
l’acte de l’esclave entraîne par lui-même une véritable
obligation. » C’est un pur fait sans aucun caractère
juridique, d’après cette donnée du jurisconsulte lui-
même : « Rien n’est dû par l’esclave, ni à l’esclave. »
(L. 41. Ulp. D. XV,
I
.) Comment enfin pourrait-il être
obligé par ces contrats faits
in servitute
au profit du
maître? Comment, à plus forte raison, le regarder
comme un débiteur civil, puisqu’il n’a pas de patri-
moine véritable ?
Toutefois, il y a dans le fait d’un contrat passé
par lui « un commencement d’obligation, une sorte
d’engagement particulier, ainsi qu’il résulte de ce texte
d’Ulpien :
Ex contractibus autem civiliter quidem
non obligantur sed naturaliter obligantur et obli-
gant.
L’esclave peut donc par ses actes s’obliger
naturellement, et on conçoit aisément que sa capacité
reste entière au point de vue du droit naturel, soit
qu’on l’envisage dans ses rapports avec un étranger
soit qu’on le considère dans ses relations avec le maî-
tre. Il faut observer à cet égard que même après
l’affranchissement les dettes de l’esclave qui constituent
des obligations naturelles, conservent les mêmes carac-
tères et ne peuvent être l'origine d’une action. (Paul.
Sent.,
11, 13. § 9.) Il est donc hors de doute que
l’esclave peut contracter une obligation naturelle : cette
obligation prend naissance à côté, ou plutôt parallè-
lement à l’obligation dont l’exécution peut être pour-
— 43 —
suivie civilement contre le maître à raison du même
fait juridique, mais sans que l’une puisse influer sur
l’existence de l’autre. Du reste, si nous nous reportons
à la loi (50, 2, D.,
de Peculio,
XV, I), nous trouvons :
« Qu’un fidèjusseur peut venir cautionner la dette
naturelle de l’esclave, même après l’exercice de l’action
de Peculio.
»
II. — Ces notions fondamentales établies, exami-
nons si l’autorisation du maître ou un événement
quelconque peut par le temps transformer l’obliga-
tion naturelle de l’action en une obligation civile. Cette
transformation n’est point possible; car il est un prin-
cipe universellement admis en cette matière que « pour
apprécier la portée d'une obligation il faut toujours se
reporter à l’époque de sa formation. » Or, à celte épo-
que l’acte fait par l’esclave n’était qu’un pur fait sans
caractère légal, et les tiers qui ont contracté envers lui
sont tenus de savoir que le contrat ne peut produire,
en ce qui le concerne, qu’une obligation naturelle tout
au plus. Ce qui prouve que cet acte reste bien avec
son caractère primordial, quels que soient du reste les
événements, c’est que le pupille, alors même qu’il
devient maître de sa chose, s’oblige naturellement et
non civilement.
Cependant, dans un intérêt général et celui du
maître en particulier, il était utile de pouvoir faire
produire aux actes de l’esclave un effet juridique effi-
cace; on y arriva en admettant cette distinction toute
en faveur du maître : que l’esclave contracte, stipule ou
acquiert à son maître, même à son insu, si ces stipula-
tions et ces acquisitions doivent lui profiter; sinon
— 44 —
point d'effet produit, à moins toutefois que le maître
ne lui ait donné une autorisation expresse de l’obliger
à ses dépens.
« Ainsi, comme le fait observer
M. Wallon, pleins pouvoirs pour acquérir, nul pouvoir,
sauf disposition contraire, pour aliéner, et dans le cas
mixte, l’esclave n’engagera au profit du maître que
jusqu’à concurrence de son pécule ou de l’avantage
qu’il lui a procuré. »
III. — L’esclave peut-il accepter lui-même des
créances? Il n’acquerra lui-même des créances qui ne
créent que des liens naturels que dans des cas tout à
fait exceptionnels. Nous devons toutefois en excepter
celui où l’esclave n’a point de maître, car alors il est
admis que l’esclave peut stipuler comme bon lui sem-
ble ; l’effet de ces stipulations ne saurait être contrarié
par la propriété du maître, puisqu’il n’en a pas. Il peut
se faire que, d’après la nature de la convention, l’es-
clave seul soit appelé à en profiter ; nous en voyons
une preuve dans l’espèce prévue (§ 2,
de Stip. serv
.) :
L’esclave stipule qu’il lui sera permis de se promener
sur le champ de Titius ; en fait, il ne procure aucun
avantage à son maître. Donc, il n’y a pas d’action;
d’ailleurs, cette convention ne pourra même pas ser-
vir d’appui à une obligation naturelle. D’après la loi 64,
D., XII,
VII,
nous sommes fondé à établir d’une ma-
nière certaine que l’esclave peut acquérir une créance
naturelle lorsqu’il contracte avec le maître, par la
raison que le maître, qui absorbe la personnalité de
l’esclave, « peut apporter des restrictions à ses pou-
voirs; » mais, si nous consultons l’esprit d’une loi im-
portante (L. 14,
de Oblig.
, D, XLIV, VII), nous devons
— 45 —
décider que l’esclave devient créancier naturel quand
des promesses lui sont faites, mais seulement dans
certaines hypothèses prévues dans la loi 53
(de Pecul.,
D., XV, I.) Ce n’est qu’après coup que l’esclave, ôtant
affranchi, obtient par la volonté du maître une créance
naturelle. C’est le maître qui confère cette créance;
dès le principe elle ne résidait que sur sa tête, parce
que la promesse faite à l’esclave profite à celui sous la
puissance duquel il se trouve.
IV. — Nous venons de voir que l’esclave peut s’obli-
ger
naturaliter
et non
civiliter.
C’est là un principe
fondamental, duquel découlent des conséquences im-
portantes.
1° L’esclave ne peut être poursuivi en justice par les
créanciers : on ne peut, dès lors, le forcer d’exécuter
son obligation.
2° L’obligation naturelle de l’esclave peut servir de
base à une novation, car l’obligation naturelle peut
être novée comme une obligation civile.
3° L’esclave devenu libre acquitte son obligation; il
n’est pas admis à répéter ce qu’il a payé (L. 64, D.,
de Cond. ind.,
XII, VI) :
...Ita debiti vel non debiti
ratio in condictione naturaliter intelligenda est.
4° L’obligation naturelle peut être garantie par une
hypothèque (L. 13 ; D.,
de Cond. ind.,
XII, VI) :
...et si serons, qui peculii administrationem habet
rem pignori in id, quod debeat, dederit utilis,
pigneratitia reddenda est.
5° L’obligation naturelle peut être garantie par un
fidéjusseur
(id.).
V. — Des données précédemment établies il résulte
—
46
—
que l’esclave a la faculté presque absolue d’acquitter
ou non l’obligation qu’il a pu contracter.
Celte irresponsabilité créait dans la société un état
de choses nuisibles surtout à l’industrie et au commerce,
en jetant le discrédit le plus complet dans les relations
d’affaires, et, de plus, elle permettait au maître de se
mettre à l’abri de toute poursuite pour les dettes con-
tractées par l’esclave, tandis que, par ailleurs, il pro-
fitait de toutes les acquisitions, de telle sorte que la
condition des créanciers était des plus précaires.
Le prêteur, toujours vigilant, répara cette injustice
en instituant une catégorie d’actions, appelées
actions
indirectes,
et qui ont pour but d’assurer aux créan-
ciers des esclaves un recours contre le maître dans les
limites déterminées par le Droit civil. Yoici comment
Justinien s’explique à cet égard : « Quoique, d’après
le Droit civil, les maîtres ne soient pas tenus des obli-
gations contractées par leurs esclaves, l’équité veut
cependant qu’ils soient condamnés jusqu'à concur-
rence du pécule, qui forme pour l’esclave une sorte de
patrimoine. » Tel est le but de l’action
de Peculio.
Pour la môme raison, dit-il ailleurs, le préteur donne
deux autres actions (
exercitoire
et
institoire),
aux-
quelles il faut ajouter les actions
quod jussu
et
de
in rem verso.
Mais, avant d’entrer dans l’étude de ces
actions, nous croyons nécessaire de parler tout d’abord
du
pécule.
—
47
—
§ 2. —
Du pécule.
Il est impossible à l’esclave d’avoir un patrimoine.
I. — Toutes les fois donc qu’il fait un acte entraî-
nant par sa nature acquisition d’un droit de propriété
ou de créance, l’acquisition doit profiter ou nuire au
maître; dans le premier cas, elle se réalise à son profit;
dans le second, elle ne se réalise pas. Mais s’il est
vrai que le maître acquiert un droit à l’occasion de
l’esclave, comme il acquiert un fruit à l'occasion de
l’arbre dont il est propriétaire, il peut, cependant,
suivant sa volonté, laisser une part des biens à l'es-
clave; c’est cette part détachée du patrimoine du maître
qu’on appelle pécule.
IL — Bien qu’en Droit romain le pécule désignât
spécialement cette partie des biens dont le maître
abandonne la gestion à l’esclave, il y avait cependant
plusieurs autres sens attachés à ce mot; ainsi il s’en-
tendait encore :
1° Du patrimoine de l’homme libre
(ad scnalus-
cons. Trebell.,
C. 1).
2° De cette partie du patrimoine qu’on mettait en
sûreté, pour le soustraire au danger résultant des
guerres civiles, des excursions des brigands, etc. (C. 79,
§ 1, D. XXIII).
5° Des biens paraphernaux de la femme. (L. 9, § 5,
D. XXIII, III, § 5.) D’après Ulpien, le mot
peculum
était employé avec cette signification par les Gaulois
plutôt que par les Romains.
4° Des biens qui appartenaient en propre au fils de
— 48 —
famille
peculum cas trente, quasi castrense profec-
lice, adventice
(Just
per quas pers..
Inst,, § 1, II, IX);
5° Du salaire attribué aux employés, tels que les
appariteurs des juges.
Tels sont les sens divers qu’a le mot pécule.
III. —
Voyons maintenant comment il naît et
comment il se forme : Peculum nascitur, crescit
decrescit, moritur ideo eleganter Papirius Punto
dicebat peculum simul esse homini.
(L. 40, Marcien,
D. XV, I.) C’est ainsi que les Prudents, qui voyaient
dans l’esclave une chose, étaient tentés de voir comme
une image de l’homme dans ce pécule qui naît, croît
et meurt.
L’esclave ne saurait avoir un pécule à l’insu du
maître et sans son consentement.
De plus, la tradition des objets qui composent le
pécule est nécessaire.
Quid
si l’esclave est déjà en pos-
session? Par une fiction de droit on supposait que la
tradition a été faite. Du reste, la volonté du maître
suffit à vrai dire à constituer le pécule. Il faut dans
ce cas que la volonté soit manifestée d’une manière
expresse. Ulpien pense que non. D'autres juriscon-
sultes soutiennent une opinion opposée. A notre avis,
la solution d’Ulpien nous paraît devoir être admise;
car non-seulement elle est conforme au principe, mais
encore elle a le mérite de satisfaire pleinement les lois
de l’équité.
Qu’importe la manière avec laquelle cette volonté se
manifeste! il n’y a plus qu’une question de preuve;
les jurisconsultes admettent que l’on peut par tous les
moyens possibles prouver que le maître a donné son
— 49 —
consentement. Cette doctrine est donc conforme aux
principes.
D’ailleurs, supposons un moment que le pécule
ne puisse être constitué sans une manifestation claire,
certaine, expresse, en un mot, de la volonté du maître.
Quelle sera la véritable conséquence? Un maître confie
à un ou plusieurs esclaves l’administration de ses biens,
ceux-ci font tous les actes juridiques, vendent, achè-
tent, etc. : le maître bénéficie évidemment des opéra-
tions faites par les esclaves, tant que ces opérations
rapportent profil, mais du jour où des dettes, par
exemple, seraient contractées à l’occasion de ces
mêmes biens, et où les créanciers voudraient exercer
leurs poursuites, le maître répondra que cela ne le
regarde point, de s’adresser à l’esclave. Or, celui-ci est
incapable de contracter une obligation civile; voilà
donc les tiers impunément lésés dans tous leurs inté-
rêts; ils ont cru que le pécule sur lequel spéculait
l'esclave était pour eux une garantie; vain espoir, tout
est perdu pour eux. On ne sauraitadmettre une pa-
reille iniquité; c’est pour cette raison que l’opinion
contraire soutenue par Ulpien (1), nous paraît obvier
à ces inconvénients, et satisfait la loi et les principes
primordiaux de toute justice.
Nous pourrions à la rigueur exposer encore des
arguments en faveur de notre solution, des arguments
d’analogie par exemple; mais ce que nous avons dit
précédemment suffit, pensons-nous, à établir d’une
manière irréfutable la doctrine d’Ulpien, qui n’exige
(I) L. 7, § 1, D., de Pecul., XV, I.
a
4
—
50
—
point dans la concession d’un pécule que la volonté du
maître soit expressément manifestée.
IV. — Mais immédiatement se présente à l’esprit
cette question :
Tous les maîtres sont-ils capables
de concéder un pécule à l’esclave ?
Nous devons
appliquer ici les principes généraux d’incapacité , et
décider que ni les fous, ni les pupilles n’auront ce
droit. (L. 7, § 1, D., XV, I.) Quant à la femme, il est
nécessaire de faire une distinction : si elle n’est pas
mariée, on admet qu’en principe elle jouit de cette
faculté; si elle est mariée, elle en jouit aussi suivant
que le pécule concédé se compose d’esclaves ou de
biens paraphernaux, d’une part, ou de biens do-
taux, de l’autre. Dans le premier cas, sa capacité est
certaine; dans le second, elle lui fait défaut, car
la dot apportée par la femme au mari ne saurait être
diminuée pendant le mariage,
cum rei marito quœ-
sitæ dominium auferre nolenti minime potuerit.
(C.,
de Jure dot,
I, 25.)
V.
Quant aux esclaves, pouvaient-ils être conces-
sionnaires du pécule ?
— Avant de répondre à cette
question, nous croyons devoir établir comment les
esclaves se distinguaient entre eux.
In servorum conditione,
dit Justinien,
nulla est
differentia;
cela est vrai, mais en tant que l’on con-
sidère les rapports du maître et de l’esclave; les droits
du maître sur ce dernier sont, en effet, toujours les
mêmes. Mais en pratique et même en droit, celte
donnée n’est pas absolument vraie.
En fait,
ils se distinguaient par leurs travaux : les
ordinarii, peculiares,
intendants ou qui peuvent pos-
—
51
—
séder un pécule; les
vicarii,
qui peuvent être compris
dans ce pécule; ces derniers obéissent au
x ordinarii.
Il
faut aussi distinguer d’une manière générale ceux qui
sont employés aux travaux de l’agriculture ou qui se
livrent aux professions manuelles, à l'étude et aux arts
libéraux.
En droit,
par leur capacité : les
servi sinè do-
mino,
les
ordinarii,
les
publici,
les
statu liberi.
Les
servi sinè domino
sont les
servi pœnœ,
es-
claves de la peine. Il faut y ajouter les esclaves qui
étant l’objet d’un usufruit sont affranchis par le nu-
propriétaire. Ces esclaves peuvent rentrer, en effet,
dans la catégorie des
derelicti ;
les
servi pœnœ,
sont
ceux qui ont été condamnés à mort, aux bêtes, aux
mines.
Nous avons déjà parlé des
ordinarii.
Les
publici
étaient les esclaves du peuple romain ;
c’était presque toujours des prisonniers de guerre, que
le peuple avait gardés au lieu de les vendre ou de
les mettre à mort, ou bien ceux qui, d’affranchis déditi-
ces, étaient tombés dans l’esclavage pour avoir séjourné
dans les cent milles autour de Rome. Ils étaient quel-
quefois, assez souvent même, au service des magistrats
et des prêtres, et connus alors sous la dénomination de
« officia » ou de « ministeria. »
Les
statu liberi
étaient les,esclaves affranchis sous
condition; c’était ceux qui, par exemple, étaient
affranchis par testament, sous cette condition d'élever
un tombeau au testateur décédé : à la mort de ce der-
nier, l’esclave passait bien à l’héritier, mais dès qu'il
avait terminé le tombeau, il devenait libre; jusqu’à
—
52
—
ce moment, l’attente de la liberté constituait une sorte
de droit.
Nous indiquerons en passant une certaine catégorie
d’individus dont la condition est mixte, c’est-à-dire
qu'elle touche par certains points à celle des esclaves
et par d’autres à celle de l’homme libre ; nous voulons
parler des colons, des
servi terrœ,
sur lesquels nous
aurons à revenir plus tard.
Parmi les esclaves dont nous venons de parler, il
n’y avait à proprement parler que les esclaves
ordinarii
et les
servi publiai
qui pouvaient être concessionnaires
d’un pécule ; ces derniers pouvaient en disposer pour
la moitié. En dehors de là, toutes les distinctions
établies par le maître pouvaient être aussi anéanties
par lui; et en fait, le pécule naît,
croit
et meurt
à son gré ; il peut dès lors accorder
un
pécule à
un esclave quelle que soit d’ailleurs la catégorie à
laquelle il appartienne, car c’est sa
volonté
seule qui
fait que l’esclave est ou n’est pas de
telle
ou telle
catégorie.
VI.
Quel sera l’effet de celle
concession
entre le
maître et l’esclave ?
— Celte concession est-elle défi-
nitive? Le maître se dépouille-t-il de tout droit? Nous
répondrons négativement; si le maître,
par
sa seule
volonté, peut créer un pécule au profit
de
l’esclave,
par sa seule volonté encore, il peut le
retirer.
Tout est
donc subordonné à son bon plaisir ; nous devons tou-
tefois faire une restriction en ce qui
concerne
les pou-
voirs du maître lorsque l’esclave a des créanciers, car,
dans ce cas, le pécule devient tout naturellement leur
gage, la garantie de leur créance. C’est
donc,
comme
—
53
—
le dit fort bien M. Dejust (1), à cette hypothèse
d’étrangers intervenant entre le maître et l’esclave
qu’il faut toujours se reporter lorsqu’on recherche s’il
y a eu concession de pécule, et en quoi il consiste.
VH. — Telles sont les règles qui président à la for-
mation du pécule. Voyons maintenant comment il
s’accroît ; et d’abord, en deux mots, que peut-il com-
prendre? Toutes choses qui sont
in commercio :
les
meubles, les immeubles, les titres de créance, les
vi-
carii,
dont nous avons précédemment parlé (D.,
de
Pecul.,
1, § 4) ; il faut donc en excepter les
res sacrœ,
sanctœ, religiosœ
et l’homme libre. Quand le maître
concède un pécule, il suffit, d’après Ulpien, qu’il
en connaisse d'une manière générale la composi-
tion.
Le pécule s’accroît de tout ce que l’esclave a
acquis, à quel titre que ce soit ; le maître est pré-
sumé consentir par cela seul qu’il n’enlève point à
l’esclave les choses que celui-ci a administrées comme
chose de pécule.
Si le maître ignore l’acquisition faite par l’esclave,
il suffit pour qu'elle soit comprise
in peculio
de pré-
sumer la volonté du maître de ne pas s’y opposer.
Relativement aux choses données par le
dominus
à
son esclave après la concession, il faut encore consulter
sa volonté pour savoir si oui ou non ces choses devien-
nent
peculiares.
Il s’accroît encore des sommes dues par les étran-
gers et aussi de celles dues par le maître, lui-même,
(1) L'esclavage à Rome, part. II
e
, chap. I.
—
54
—
avec cette condition :
Si dominus ei debitor manere
voluit.
(L. 7, § 4, D., XV, I.)
Le pécule peut donc être créancier du maître. Ce-
pendant, si l’on reprend la réciproque du texte que
nous venons de citer, il suffirait au maître de ne plus
vouloir être débiteur pour ne plus être tenu de sa
dette. Une pareille solution doit-elle être admise? Nous
pensons qu’il y a lieu d’établir de nouveau ici la dis-
tinction que nous avons précédemment établie : Si le
pécule n’a pas de créancier et que l’esclave n’ait, en ce
qui concerne le pécule, que des rapports de maître à
esclave, le maître évidemment pourra par sa seule
volonté s’affranchir de toute obligation ; mais si le
pécule a des créanciers, les tiers ne sauraient être liés
par sa mauvaise foi. En conséquence, il devra payer
intégralement au pécule le montant des sommes qu’il
doit.
Telle est la solution que la raison semble indiquer ;
elle se confirme encore si nous nous reportons à cette
règle qui fait considérer comme un dol le fait par le
maître d’enlever le pécule à son esclave au détriment
du créancier, bien qu’il n’y ait pas eu de sa part inten-
tion frauduleuse ; il faut en conclure que s’il ne peut
enlever le pécule entier, il ne saurait pouvoir en
enlever une partie ; car de cette façon il serait par
trop aisé d’éluder la loi.
Il semble résulter de quelques textes que si le
maître peut être constitué débiteur par suite d’un
contrat, il ne pouvait être constitué tel par suite d'un
délit ou d’un quasi-délit. Il y a là, semble-t-il, une
étrange anomalie qui pourtant s’explique par la consi-
—
55
—
dération suivante : Lorsque le maître a reçu une
somme des mains de l’esclave, rien ne fait connaître
qu’il ait l'intention d’amoindrir le pécule, comme tel
est son droit. On suppose, au contraire, et avec raison,
qu'il se reconnaît par son silence débiteur d’une
pareille somme; tandis que dans le cas où il a dété-
rioré une chose faisant partie du pécule ou qu’il l’a
volée, le doute ne saurait se produire ; son intention
formelle a été de l’amoindrir. Or, c’est son droit;
l’esclave n’a donc rien à réclamer.
Nous croyons encore, contrairement à l’opinion
d’Ulpien, que s’il l’amoindrit par son délit, il sera
tenu pour le tout si le pécule a des créanciers,
suivant la distinction que nous avons précédemment
établie.
Le pécule peut également être amoindri par son
conservus
ou un étranger ; dans le premier cas, le
maître est entièrement responsable; il ne l’est point
dans le second, pourvu, toutefois, qu’il n’ait point
profité du vol.
VIII.
Comment le pécule peut-il être anéanti?
—Il
peut l’être par les causes ordinaires et extraordinaires
qui font disparaître d’un patrimoine un meuble, un
immeuble, un titre de créance, et sur le développement
desquelles nous n’avons pas à entrer ; mais si le pécule
n’a point de créanciers, il pourra être anéanti par la
volonté du maître qui l’a créé.
Toutefois, au point de vue des droits de ce dernier,
il fallait distinguer entre le pécule proprement dit et le
pécule
liberœ administrationis.
En ce qui concerne le premier, la règle est que
—
56
—
l’esclave ne peut rien faire sans le consentement du
maître. — Relativement au second, au contraire,
l’esclave jouit
à
peu près de tous les droits d’un véri-
table propriétaire.
§
3. —
Actions indirectes.
En principe, avons-nous dit, l’esclave ne peut avoir
de patrimoine; cependant, il peut lui être concédé un
pécule, « que le maître détache de ses biens pour lui
donner la faculté de l’administrer séparément et à son
propre compte.» (Ulp., f. 5, §§ 3 et 4,
de Pecul., XV,
I.)
De telle sorte qu’il peut, à raison de ce pécule, se
trouver débiteur ou créancier de son maître, suivant
les données précédemment indiquées.
I.—Cette concession avait totalement changé la
situation de l’esclave; désormais, il constituait une
personnalité avec laquelle il fallait compter au point
de vue pécuniaire, comme avec un individu pleinement
capable. En cela le préteur fut obligé de suivre le pro-
grès réalisé par les mœurs; aussi, bien qu’en principe
l’esclave fut incapable d’obliger son maître, accorda-t-il
contre ce dernier aux créanciers une action jusqu'à
concurrence
de
la valeur du pécule; ce fut l’action
de
peculio.
En
ce
qui concerne cette action, il faut tou-
jours supposer que le maître a ignoré les obligations
contractées
par
l’esclave, ou bien que, les connaissant,
il n’a rien ordonné à cet égard. Cependant, nous
devons faire remarquer que le maître ne peut être
obligé
de peculio
, si par exemple l’esclave s’est
porté fidéjusseur ou mandataire, à l’occasion d’affaires
—
57
—
qui ne concernent pas le pécule; il faut, pour qu'il
soit tenu, qu’il s’agisse d’une créance née d’un contrat
passé par l’esclave à l’occasion de ce pécule.
Le maître a un droit de préférence pour ce qu’il lui
est dû (19, §2, D., XV, I), et les créanciers sont payés
définitivement et intégralement dans l’ordre où ils se
présentent.
La raison du privilége du
dominus
se tire de cette
considération : que le maître est censé avoir agi contre
l’esclave, du moment où la créance a pris naissance,
et avoir distrait à ce même moment du pécule une
valeur égale à celle qui lui était due. A proprement
parler, ce n’est pas là un privilége.
Un texte du Digeste (1) nous fournit une appli-
cation remarquable du droit qu’a le maître d’opérer
la
deductio;
c’est le cas où l’esclave s’est engagé vis-
à-vis de lui à lui payer ce qu’un tiers lui devait. L’es-
clave, en se portant
expromissor,
est tenu naturelle-
ment, et le tiers reste tenu civilement, par cette raison
que l’obligation naturelle ne saurait opérer novation
de la dette de ce tiers. —Mais qu’arrivera-t-il si ce tiers
est insolvable? le maître pourra-t-il déduire sur le pé-
cule de l’esclave? Il faut décider que oui, car l’esclave
est obligé naturellement envers son maître. Il s’ensuit
que ce serait les créanciers du pécule qui auraient à
souffrir de cette déduction.
Mais comment le maître exercera-t-il son droit de
préférence? en un mot, comment fera-t-il la déduction
de ce qui lui est dû ? De deux manières :
verbis tantùm
(1) L. 11, § 4, D., XV, I.
— 58 —
ou
re et verbis;
dans le premier cas, ce qu’il aura le
droit de reprendre restera dans le pécule, et sur ce
point que faut-il décider s’il vient à être poursuivi de
nouveau
de peculio?
Son droit est-il définitivement
éteint ou peut-il opposer au nouveau créancier la
créance ainsi déduite ?
Nous trouvons la réponse dans un texte (1), duquel
il résulte que non-seulement il a le droit de déduire
une seconde fois ce qu’il a déduit,
verbis tantum,
mais encore que le risque de la chose déduite ainsi
est à la charge du pécule. Le maître est censé ne pas
reprendre la propriété intégrale des choses qu’il déduit,
et il leur laisse en entier le caractère de
res peculiares.
En sorte que, dit Pomponius, s’il fait ensuite remise
de ce qu’il lui est dû, les choses qu’il avait déduites,
verbis tantum,
feront partie du pécule, sans qu’il y
ait besoin d’une nouvelle concession. (L. 4, § 5,
D.,
de Pecul).
Voilà pour la déduction du maître : ce qui reste du
pécule est le gage exclusif du créancier ; s’il ne peut
être satisfait, il aura un droit sur les accroissements
qu’il pourra prendre dans l’avenir.
Nous dirons ici quelques mots de la vente des
esclaves en ce qui concerne le pécule; cette matière si
importante, mais qu’il nous est impossible d’étudier
sous ses divers points de vue, avait été réglementée
d’une façon toute spèciale en Droit romain par un édit
des Édiles.
Un esclave est l’objet d’une vente ; il possède un
(I) L. 56, de Pecul., XV, I.
—
59
—
pécule, mais le maître lui en retire une partie et lui
laisse l'autre. Si le pécule avait des créanciers, contre
qui ces derniers exerceront-ils l’action
de peculio?
Ils
pourront poursuivre l’acheteur ou le vendeur, mais
non les deux ensemble; s’ils poursuivent le vendeur,
par exemple, il reste tenu jusqu’à concurrence de la
partie du pécule qu’il avait gardée ; mais celte partie n’a
pas suffi à désintéresser les créanciers, ils pourront
alors se retourner contre l’acheteur pour lui faire par-
faire la somme due.
L’action
de peculio
est une action qui peut être
intentée par le créancier tant qu’il possède l’esclave ;
mais cette action s’éteint du jour où il acquiert sa
liberté par l’affranchissement, ou bien du jour où il
vient à mourir.
La conclusion à tirer de l’action
de peculio,
c’est
que si elle sauvegarde souvent les intérêts des créan-
ciers, il n’en est pas toujours ainsi; celte action ne leur
servira que lorsque la créance proviendra
ex causâ
peculari ;
d’ailleurs, le droit de préférence du maître
est un droit dangereux pour les créanciers. Le préteur
comprit qu’il y avait là une injustice à prévenir ou à
réparer ; aussi, tant pour obvier à ces divers inconvé-
nients qu'elle présentait que pour préserver les créan-
ciers, créa-t-il d’autres voies de recours : les actions
de
in rem verso
,
quod jussu, exécutoire
et
institutoire.
IL
Action
de in rem verso. — Cette action est don-
née au créancier qui prouve que le maître a profité de
l’obligation contractée sans sa volonté. Le préteur
l’accorde dans un but d’équité jusqu’à concurrence de
l'enrichissement du maître.
—
60
—
Voici la règle de cette action : Toutes les fois qu'à la
suite d’un contrat passé par un esclave, le maître l’aura
affranchi, il sera tenu
de in rem verso
sans qu’il y ait à
distinguer si le contrat avait une cause commerciale ou
non et si l’esclave avait ou n’avait pas de pécule; l’ac-
tion
de in rem verso
pourra donc compéter aux tiers en
même temps que les actions
de peculio, institoire,
tributaire,
et elle leur sera éminemment utile lorsque
le pécule sera insuffisant pour satisfaire les créanciers.
Pour savoir si le maître est tenu de cette action, il
suffit de rechercher si le contrat a ou non une cause
raisonnable; supposons, par exemple, que l’esclave
emprunte pour faire des dépenses folles, le maître ne
sera point responsable.
Voici donc comment on apprécie le
quantum
dont
est tenu le maître. L’esclave a-t-il acheté une chose
indispensable? le maître sera tenu
in solidum
s'il a
acheté ou a fait l’acquisition d’une chose dont le maître
n’avait pas un besoin pressant, il n’est obligé que jus-
qu’à concurrence de la valeur véritable.
Nous venons de dire que l’action
in rem verso
peut
être intentée en même temps que les actions
de
peculio, tributaire
et
institoire.
Toutefois, certains
commentateurs, comparant les actions
de in rem
verso
et
de peculio,
prétendent quelles sont parfaite-
ment distinctes et que leur champ d’application est
complètement séparé ; d’autres, parmi lesquels M. Du-
caurroy, soutiennent que ces deux actions n'en for-
ment qu'une, quelles n’ont qu’une seule formule, mais
deux condamnations :
Duos habet condemnationes,
dit Gaïus. Ils sont d’autant plus fondés à le croire
—
61
—
qu'il semble clairement ressortir de plusieurs textes
que les jurisconsultes romains n’entendent pas distin-
guer ou caractériser plusieurs actions ni même une
action spéciale ayant une existence distincte de toute
autre, et qu’ils indiquent seulement l’objet ou la valeur
que détermine le montant de la condamnation subie par
un chef de famille lorsqu’on agit contre lui en vertu
des engagements pris par une personne soumise à sa
puissance et par l’action qu’ils produisent ordinai-
rement (1).
Lorsqu’on poursuit par cette voie, le juge a d’abord
à examiner s’il y a enrichissement du maître ; en second
lieu il ne s'occupe de l’évaluation du pécule que si le
maître n’a pas réellement profité des engagements
contractés par l’esclave ou s’il n’a pas profité de la
totalité, ne s’occupant du pécule que subsidiairement
pour les valeurs qui n’ont pas reçu le même emploi.
Dans le cas où l’évaluation est nécessitée, le juge
doit commencer par faire abstraction des dettes de
l’esclave avec le maître et envers les personnes qui
sont sous la même puissance, parce que dans ce cas
l’obligation est censée avoir été contractée avec le maî-
tre lui-même.
Celte déduction faite, ce qui reste représente la valeur
du pécule. Nous devons faire remarquer ici que dans le
(1) Quant à nous, nous pensons que si, dans la pluralité des cas, les
deux actions étaient réunies, il pourrait pourtant se faire qu’elles fus-
sent quelquefois nécessairement séparées. Ainsi un créancier pourrait
parfaitement avoir intérêt à intenter l’action de in rem verso seule et non
l’action de peculio, afin d’éviter le concours des créanciers du pécule ;
il en était ou pouvait en être de même lorsque l’esclave n’avait pas de
pécule ou qu’il n’en avait plus, ou bien lorsqu’il était mort ou aliéné
depuis une année utile,
— 62 —
cas où c’est un esclave
vicarius
qui est compris dans
le pécule de
l'ordinarius
qui a contracté, on ne doit
pas déduire ce qu’il peut donner au
vicarius,
car cet
esclave est dès lors compté dans le pécule lui-même.
L’esclave
ordinarius
est, en effet, dans ce cas, et
créancier et débiteur, et par voie de conséquence
il n’est ni grossi ni diminué du montant de cette obli-
gation.
III.
Action
quod jussu. — Cette action, comme le
mot l’indique, a lieu quand l’obligation a été contrac-
tée par Tordre du maître; non-seulement dans cette
action le tiers suit la bonne foi de ce dernier, mais il
est censé avoir traité avec lui ; ainsi qu’il résulte d’un
texte d’Ulpien :
Quodam modo cum eo contrahitur,
qui jubet. (
L. l, pr. D., XV, IV.) Cependant il y a une
certaine différence à établir entre le cas où l'on traite
directement avec le maître et celui où Ton n’arrive à
lui qu’indirectement par l’intermédiaire de l’esclave ;
dans la première hypothèse, c’est une action
civile
qui
se produit à. l’occasion du contrat; dans la seconde,
c’est une action
prétorienne.
Quoi qu’il en soit, le tiers a une action contre le
maître pour la totalité de l’engagement. D’ailleurs,
que celui-ci ait donné son
jussus
à l’engagement ou
qu’il Tait ratifié postérieurement, l’effet est le même au
point de vue de l’action, car la ratification équivaut à
un mandat. — Le maître n’est pas tenu
quod jussu
lorsqu’il s’est porté simplement fidéjusseur de son
esclave, ainsi que l’affirme Ulpien (1). Le pupille, le
(1) L. 1, § 5, D., XV, IV.
— 63 —
fou, le prodigue, à raison de leur incapacité, ne s’obli- -
gent pas
quod jussu
en donnant à leur esclave l’ordre
de contracter, mais il en est différemment s’ils ont
l’autorisation du tuteur ou du curateur. En ce qui
concerne l’ordre d’emprunter donné par le pupille avec
l'autorité du tuteur, celui-ci n’est tenu
quod jussu
que
si in rem ejus versum est.
Il est bien entendu que le maître n’est obligé que
dans les limites des ordres donnés à l’esclave.
Si nous faisons l’hypothèse d’un maître empruntant
une somme d’argent et ordonnant qu'elle soit versée
entre les mains de l’esclave, ce n’est pas l’action
quod
jussu
qui est accordée, mais bien une simple
con-
dictio
, comme si c’était le maître qui eût reçu cet
argent (L. 1, § 6, D., XV, IV.) Cependant, à s’en
tenir à la lettre de la loi 5, § 2, D., XV, III
,
ce serait
l’action de
in rem verso
et non l’action
quod jussu
qui
serait donnée au créancier; mais ce texte s’explique si
l’on considère qu’il a d’abord l’action
quod jussu
et
ensuite l’action
in rem verso.
Qu’est-il besoin, en
effet, pour la ratification du maître de l’action
in rem
verso ?
IV.
Action exercitoire et institoire
— L’action
exercitoire relative aux affaires maritimes est accordée
contre le maître armateur d’un navire auquel il a pré-
posé son esclave, au tiers qui a contracté avec le pré-
posé dans la limite de ses attributions.
L’action institoire relative aux affaires terrestres est
donnée contre le maître qui a préposé son esclave à
une opération de commerce; cette action a été étendue
à toute opération isolée, même non commerciale ; d’où
— 64 —
l’action quasi-institoire donnée contre le mandant au
tiers ayant traité avec le mandataire.
Il existe entre ces deux actions des différences im-
portantes : 1°
l
e magister navis
peut, dans le cours de
la navigation, se substituer un tiers, même à l’insu
et malgré la défense du maître, et cela, soit pour
une opération seulement, soit pour toute la série des
opérations, et l’action exercitoire est alors accordée
contre
Xexercilor,
à l’occasion des engagements pris par
le substitué du
magisler navis,
tout comme s’il avait
traité avec le
magisler
lui-même, tandis que
l
'ins-
titor
ne peut pas se substituer quelqu’un, que de la
volonté et du consentement du maître, de telle sorte
que l’action institoire ne saurait être exercée contre ce
dernier pour les obligations contractées par le substitué
de
l'institor.
2° Lorsqu’on contracte avec un
magisler navis
es-
clave, on peut intenter l’action même contre le maître
de
l'exercitor ;
tandis que celui qui traite avec
Xins-
titor
ne peut poursuivre que le préposant lui-même;
d'où la conséquence logique que si l’on suppose le
préposant esclave, cette action s’évanouit.
Il peut se faire qu’il y ait plusieurs préposants; dans
ce cas, les tiers créanciers auront une action
in soli-
dum
contre eux , résultant de leur contrat avec le
préposé. (L. 11, § 25, D., XIV, II
,
de Exerc. act.)
C’est là une règle commune aux deux actions.
L
’institor
oblige son maître
in solidum
lorsqu'il
contracte avec un tiers dans les limites des pouvoirs
qui lui ont été confiés; et, sur ce point, lorsque le
maître place un esclave à la tête d’un commerce, il est
— 65 —
censé donné pouvoir de faire tous les actes d’admi-
nistration; s’il n’entend lui permettre qu’une cer-
taine catégorie d’actes, il faut qu’il le dise expressé-
ment.
L’action institoire a pour effet de soumettre le maître
à toutes les actions spéciales auxquelles peut donner
naissance le contrat passé par
l'institor.
L’action institoire est perpétuelle et se donne même
contre l’héritier.
V.
Action tributaire.
— L’action
tributoire
est
donnée au créancier d’un esclave qui a employé tout
ou partie de son pécule en entreprises commerciales
avec le consentement du maître; celui-ci créancier à un
titre quelconque figure au marc le franc dans la réparti-
tion. L’intérêt de cette action est considérable, car elle
n’admet pas le privilège du maître et ne souffre pas
les déductions qui ont lieu dans l’action
de peculio.
Le
préteur accorde à ce dernier le droit de faire lui-même
la répartition; mais en l’autorisant il édicte une sanc-
tion pour le cas où il ne remplirait pas ses obligations.
Si donc les créanciers ont à se plaindre du partage,
les créanciers pourront le poursuivre ; c’est par l’ac-
tion
tributaire
qu’ils exerceront leur droit. Mais afin
que cette action puisse être utile, il faut que le maître
se soit rendu coupable de dol ; les Institutes, en omet-
tant cette condition, commettent une erreur. La loi 7,
§ 2, D., XIV, IV, nous indique la nécessité de celle
condition par ces mots :
Quæ actio doluvn malum
coercet domini.
Celte même loi énumère les diverses espèces de dol
qui donnent lieu à l’action en ayant pour effet de
a
5
—
66
—
diminuer ou de supprimer la part des créanciers ou de
l’un d’eux.
Le droit des créanciers qui poursuivent par l’action
tributoire porte, non pas sur le pécule tout entier, mais
sur cette portion qu’on appelle la
merx peculiaris
(la
part affectée au commerce). Le pécule sera donc le
gage des créanciers jusqu a concurrence de cette part.
Les jurisconsultes romains ne s’étaient pas attachés
à cette idée que le commerce a un besoin particulier
de crédit; il leur avait paru juste do faire participer le
maître aux risques commerciaux qu’il avait dû prévoir.
D’où le concours auquel il était soumis, la liquidation
dont il était chargé, l’action tributoire destinée à l’em-
pêcher de commettre un dol dans cette liquidation,
notamment pour se soustraire aux conséquences du
concours.
L’action tributoire est donnée à perpétuité, même
après la mort de l’esclave, contre le maître et contre
son héritier ; mais il n’est tenu que jusqu’à concur-
rence de ce qui lui est parvenu de la
merx pecu-
liaris.
Le créancier a le choix entre l’action tributoire et
l’action
de peculio ;
mais il ne peut intenter l’un et
l’autre à la fois, sauf le cas où il a contracté avec l’es-
clave pour son commerce et à l’occasion du pécule qui
ne fait pas partie de la
merx peculiaris.
L’action tri-
butoire n’est pas toujours préférable; ainsi le maître
a-t-il une créance? dans ce cas les créanciers auront
avantage à choisir cette action, car le maître n’a pas
de droit de préférence; mais si le maître n’est pas
créancier, ils auront intérêt à poursuivre par l’action
— 67 —
de peculio,
car dans cette hypothèse ils pourront se
faire payer sur tout le pécule.
VI.
Choix accordé aux créanciers entre les actions
de
peculio, de in rem verso, quod jussu,
exercitoire,
institoire, tributoire.
— D'une manière générale les
créanciers qui peuvent intenter l’une des actions
quod
jussu, excrcitoire
et
institoire
peuvent aussi choisir
l'action
de peculio
ou
de in rem verso
suivant leurs
intérêts.
Quelle est celle qui leur sera préférable? Evidemment
les trois premières parce que dans l’exercice de ces
actions ils agissent contre le maître pour le tout, tandis
que dans l’action
de peculio
ils seront primés par lui,
et dans Faction
de in rem verso
ils n’auront recours
que
quatenus dominas locupletior factus fuerit.
Quid
du concours entre l'action
tributoire
et les ac-
tions
exercitoire
et
institoire
? Ne s’appliquant pas
aux mêmes hypothèses , elles ne pourront jamais con-
courir entre elles.
Quid
du choix entre Faction
quod jussu
et l
'action
tributoire?
Les créanciers ont tout intérêt à choisir
l’action
quod jussu,
parce que dans l’action tributoire
ils viennent en concours avec le maître sur le pécule ou
sur une fraction seulement, n’obtenant dans ce dernier
cas qu’un simple dividende.
Lorsqu’on a le choix de Faction
de in rem verso
d’une part, et des actions
quod jussu, exercitoire
et
institoire
de l’autre, c’est toujours à la première de ces
actions qu’il faudra recourir dans l’hypothèse où le
créancier a fourni des valeurs employées par l’esclave
aux affaires du maître. Dans le cas contraire, le choix
—
68
—
entre l’action
de peculio
et l’action
tributoire
dépend
des circonstances que les textes expliquent suffisamment
et dont nous avons donné quelques espèces.
VII. — Indépendamment des actions indirectes dont
nous venons de parler, les créanciers pourront encore
poursuivre le maître par l’action civile qu’on nomme
condictio.
(Ulp., fr. 19, § 2; Paul, fr. 29,
de Rebus
cred. Instit.,
§ 8, 1. IV, VII.) Mais alors à quoi ser-
vent les actions introduites par le préteur? Nous de-
vons tout d’abord faire observer que la
condicüo
est
une action de droit strict, poursuivant l’exécution
d’une obligation unilatérale, accordée en outre aux
créanciers pour agir directement contre le maître, et
non toute action résultant des contrats passés par l’es-
clave
jussu domini
ou par
Yinstilor
ou le
magisler
navis.
Il ne faut donc pas donner au paragrahe 8 des
Institutes une extension qu’il ne saurait avoir : Sans
doute, la jurisprudence étendit cette action, d’abord
limitée aux sommes d’argent, à tous les objets certains,
puis à toutes les obligations indéterminées, même à
celles de faire, mais ce fut toujours comme poursuite
d’une obligation unilatérale de droit strict.
Dans le cas d’enrichissement du maître la
condictio
peut être également intentée par les créanciers qui, en
outre de cette action directe et civile, fondée sur l’en-
richissement même, ont encore à leur choix les actions
prétoriennes
de peculio
ou
de in rem verso.
La jurisprudence admit encore que lorsque l’opé-
ration d’où pouvait résulter une
condiclio
avait été
faite par l’ordre d’une personne quelle qu’elle fût,
cette personne était censée avoir traité directement et
— 69 —
se trouvait dès lors munie de la
condictio.
(L. 9, 2,
D. XII, I.).
Mais, pour les actions
empti
ou
vendili, locati
ou
conducti, pro socio, prœscriptis verbis
et toutes
autres semblables, il est impossible que les effets de
bonne foi qui en dérivent puissent être produits par
l’action de droit strict, la
condictio.
On ne peut les
avoir contre le maître et poursuivre l’exécution des
contrats dont elles découlent, qu’avec la modification
prétorienne, qui les transforme en actions
quod jussu,
insliloria, exercitoria, de peculio,
et
de in rem
verso.
Aussi l'utilité de ces actions prétoriennes sub-
siste encore, et leur usage se maintint après que la
jurisprudence eut étendu les bornes de la
condictio.
Certains jurisconsultes romains, Ulpien entre autres,
avaient prétendu que l’interprétation des prudents,
consacrant plus tard les principes établis par le Droit
prétorien, avait autorisé directement ce que le préteur
aurait autorisé indirectement. Nous ne nous rendrons
pas à cette explication, et nous préférons trouver la rai-
son de l’existence de la
condictio
en ce que celui qui
contracte avec l’esclave par ordre du maître suit la foi
de ce dernier, que dès lors il y a à son égard
credilum.
La
condictio
n’a été appliquée aux cas dont il s’agit
que plus tard, et par un développement progressif de
jurisprudence, de telle sorte que pour ce cas particu-
lier l’exception prétorienne a existé plus ancienne-
ment que l’action civile.
— 70 —
SECTION VI.
Incapacités diverses de l’esclave.—Exceptions.
Il résulte de tout ce que nous avons pu dire jusqu’à
ce moment que l’esclave peut bien figurer dans cer-
tains actes juridiques, tels que l’achat, la vente, etc.
Mais les droits qui en découlent ne restent pas même
un instant de raison sur sa tête. Comme nous l’avons
déjà dit (c’est un point sur lequel il faut insister, car il
est de la plus grande importance), l’esclave est
le porte-
voix
du maître (l’expression nous semble technique)
pour tous les actes dans lesquels il intervient, mais
dont les conséquences juridiques se résument active-
ment et passivement en la personne de ce dernier.
§ 1. —
Incapacité de l’esclave de figurer dans une
instance.
—
Exceptions.
Les actes de l’esclave ne créant aucun droit pour ou
contre lui, il ne saurait être question d’action à son
égard, car l’action n’est autre chose que la sanction
d'un droit préexistant. Cependant des exceptions ont
été admises à cette incapacité de l’esclave de figurer
dans une instance judiciaire :
1° Lorsque l’esclave étant troublé, en l’absence de
son maître, dans la possession d’une chose qu’il détient
au nom de celui-ci ; dans ce cas il s’adressera au ma-
gistrat, qui devra faire droit à sa demande et faire ces-
ser le trouble.
— 71 —
2° Lorsqu’il prétend avoir droit à la liberté ; il
pourra alors intenter une demande contre le maître.
(L. 24, D., XL,
XII.)
5° Lorsque l'héritier institué par son maître ne fait
pas adition d’hérédité; il actionnera celui-ci devant le
magistrat pour l’y contraindre.
Ces exceptions, comme on peut le remarquer, font
une fois de plus ressortir
la personnalité
de l’esclave.
II. — Voilà pour les
judicia privata ; mais que
faut-il décider en ce qui concerne le droit crimi-
nel?
— Il est un principe admis, c’est que l’esclave
peut lui-même se défendre devant le magistrat.
Et dans le cas où il ne pourrait ou ne voudrait pas
agir personnellement pour sa défense, il pourra em-
prunter le secours d’un
causiticus,
ainsi qu'en dispose
une constitution d’Alexandre. (L. 2, C. IX II.)
III. —
Quid de l’esclave accusateur?
En principe
il doit être puni de mort; mais il peut intenter l’accu-
sation dans les cas suivants :
1° De la loi Julia
majestatis
(1.
1
,
D., XLVIII, v)
(lèse-majestè) ;
2° De la loi Cornélia
de Falsis
(fausse monnaie),
(l. 9, pr., D., XLVIII, IX) ;
3° De la loi Julia de
Annonâ
(accaparement de den-
rées)
(1.
1, D., XLVIII,
XII) ;
4° De la loi Julia
de Peculatu
(soustraction des de-
niers publics) (Inst.,
de public. judic.,
§ 9) ;
5° De suppression de testament lorsqu’il prétend
que la liberté lui était donnée (1. 7, D.,
de leg.,
Cornel.).
— 72 —
§ 2. —
Incapacité de témoigner en justice.
Exceptions.
En principe, les esclaves ne peuvent être témoins pas
plus que demandeurs ou défendeurs dans une action.
Cependant dans quelques cas le magistral reçoit scs
déclarations ; mais elles n’ont de valeur que si elles
sont faites sous l’empire de la douleur
(quœstio)
,
d'après certaines règles et sous certaines conditions
qu’Ulpien nous fait connaître. C’est là un moyen de
preuve aussi détestable que cruel.
Quid
si un témoin qui a fait sa déposition et donné
sa signature est reconnu pour être un esclave?
Il semble naturel de décider que si l’instance est
terminée il n’y a plus à y revenir. Si, au contraire,
l’instance est
in pendenti,
il faut annuler la déposi-
tion du témoin et replacer les choses en l’état où elles
seraient si le témoignage ne fût pas intervenu.
§ 3. —
Incapacité pour les esclaves de remplir
les fonctions publiques.
—
Exceptions.
I. — La règle générale est qu’ils ne peuvent exer-
cer aucune fonction publique, sauf les deux exceptions
suivantes :
1° Ils peuvent être chargés de l’administration de
l'actus republicœ ;
2° Ils peuvent être exécuteurs publics.
Les fonctions militaires ou religieuses leur sont abso-
lument interdites.
— 73 —
Reste à savoir si les fonctions que le maître peut
leur permettre d’exercer ne les relèvent point de l'in-
capacité générale dont ils sont frappés.
Il résulte d’un texte du Code (1. 4, § 6, VI, IV)
qu’un esclave, avec l’autorisation du maître peut par-
venir à quelques fonctions publiques. Il faut entendre
celte disposition en ce sens que le maître en permet-
tant à l’esclave «
clignitalem habere
» perd son droit
de propriété sur lui et que celui-ci devient libre et
ingénu ; dans ce cas ce n’est donc pas un esclave,
mais bien un ancien esclave «
qui dignitatem habet.
»
II.— Que faut-il décider enfin relativement aux
actes faits par un esclave qui, en se faisant passer pour
libre, brigue, obtient et exerce une magistrature. « La
fameuse loi
Barbarius Philippus
vise cette espèce et
nous indique la solution. Elle valide, ainsi que la ju-
risprudence, les actes faits pendant cette magistrature;
la raison principale résulte de cette règle formulée par
un grand nombre de textes :
Circa factum communis
facit jus;
c'eût été d’ailleurs violer ouvertement les
premiers principes de l’équité en rendant les tiers de
bonne foi responsables d’une erreur qu’ils n'ont pu
éviter.
Cette décision, du reste, ne fait que confirmer la
règle en ce que, si les fonctions publiques avaient été
accessibles aux esclaves, il n’aurait pas été besoin de
discuter ni connaître le sort des actes faits en qualité
des magistrats. On se serait borné à constater leur
parfaite validité et c’eût été tout.
— 74 —
CHAPITRE II
EFFETS DE LA PUISSANCE DOMINICALE SUR LA PERSONNE
DE L'ESCLAVE
Si la condition juridique des esclaves est si précaire,
combien leur destinée nous paraîtra plus misérable
et plus digne de pitié, si nous considérons que dès le
principe la loi sanctionnait de son pouvoir les droits
absolus qui permettait au maître de disposer de la
liberté et de la vie même de son semblable.
Le principe fondamental en cette matière est l’égalité
de tous les citoyens romains; ils ont les mêmes droits,
les mêmes devoirs, les mêmes privilèges; chacun dès
lors a la souveraineté pleine et entière sur les choses
de son patrimoine. Égaux entre eux, le droit de l’un
limite le droit de l’autre et défend chacun contre la
prétention d’autrui ; la loi, du reste, apporte son action
efficace : Quand la lutte s’engage, elle intervient
pour régler les conditions, les formes, en juger la rai-
son et en sanctionner les résultats.
L’esclave, dans une certaine mesure, et surtout aux
premiers temps de Rome, est une propriété dont rien,
sauf la volonté du maître, ne saurait changer la nature.
Et sur ce point se présentent quelques différences
avec le fils de famille. — Il semble au premier abord
que la puissance du maître sur celui-ci est plus consi-
dérable, plus étendue que sur l’esclave.
1° Prenons, en effet, l'exemple d’un esclave vendu
— 75 —
et affranchi ; il acquiert la liberté pleine et entière,
sauf les droits de patronage; le fils de famille, au
contraire, vendu et affranchi, retombe jusqu'à trois
fois sous la puissance du père, et cela parce qu’il reste
au père un droit naturel qui fait revivre son droit
civil chaque fois que le pouvoir du maître a terminé
le sien.
2° Le fils, quand il passe dans une autre famille
par adoption, subit la
capitis diminutio.
— l/esclave,
lui, n’a point d’état (
Caput
). Dès lors, il ne saurait
subir ni
maxima,
ni
media,
ni
vninima capitis
diminutio.
Nous ferons cependant observer que le passage de
l’esclave dans une famille laissait quelquefois des tra-
ces analogues à l’adoption; il est un simple indice
d’origine qui ne procure, soit au maître, soit à l’es-
clave, aucun droit particulier.
Ces différences, jusqu’à un certain point, pourraient
prouver que la puissance est plus durable, mais on ne
peut en induire qu'elle soit moins étendue
SECTION PREMIÈRE
Droits du maître sur la personne de l’esclave.
Adoucissements apportés à son pouvoir.
§ 1. —
Droits rigoureux du maître d’après la loi
des Douze-Tables.
I. La puissance dominicale est issue du droit des
gens et, pour ce motif, accordée même à un pérégrin ;
de plus elle découle aussi de la loi.
—
76
—
II. En nous plaçant au point de vue du droit rigou-
reux de la loi des Douze-Tables et nous inspirant de
l’esprit du Droit romain à cette époque, nous pouvons
affirmer qu'à l’origine l’esclave était considéré bien
plutôt comme une chose que comme une personne
dans ses rapports avec le maître; le maître avait, en
effet, sur lui
l
e plenum jus quiritium, le dominium
dans tout ce qu’il a d’absolu ; en un mot,
l
e jus utendi
fruendi et abulendi que la loi lui reconnaît sur la
chose; nous allons voir les applications de cette
donnée.
III. Le maître dispose de la personne de l’esclave,
et, comme conséquence, la loi lui accorde le droit de
vie et de mort. Ce droit rigoureux, exorbitant, lui est
en effet concédé par la loi des Douze-Tables. Nous
devons cependant faire remarquer ici que le législa-
teur, en consacrant un droit si excessif, n’avait pas eu
pour but de justifier l’arbitraire et la cruauté du maître,
mais bien de lui permettre d’exercer sa puissance
d’après le caractère qu’elle lui reconnaissait, c’est-
à-dire d’une manière absolue.
IV. Quoi qu’il en soit, du jour surtout où les con-
quêtes eurent accru d’une façon considérable le nombre
de ces malheureux et que la corruption et l’immoralité
la plus odieuse se furent répandues dans la société, le
sort des esclaves fut des plus misérables. Des maîtres
à l’envi les torturaient; qui ne connaît la barbarie
cruelle de ce chevalier romain, Védius Pollion, qui par
simple caprice faisait jeter son esclave en pâture à ses
murènes! (Pline, IX, 39.) Le fait n’est pas isolé, et
l’histoire nous renvoie l'écho de mille cruautés de tout
—
77
—
genre inventées par les farouches instincts de ces
tyrans, dont le seul plaisir était de se repaître de la
vue du sang.
§2. — Adoucissements au pouvoir rigoureux
du maître.
I. Tant de rigueurs et de vexations avaient éveillé la
pitié dans l'âme des philosophes et par ailleurs (comme
le dit Accarias lui-même), «de pareils abus inquiétaient
le patriotisme de ceux qui n’avaient pas perdu le sou-
venir des guerres civiles (1). » Cicéron et Sénèque font
entendre leur voix dans leurs écrits immortels. Ce der-
nier va jusqu’à ruiner le principe même de l’esclavage
en développant la théorie reproduite dans nos temps
modernes pour la traite des noirs et qui est fondée sur
les plus simples notions de la justice et de la morale.
II. Sous leur influence, un courant d’idées houvelles
s’était produit, et l’application en fut immédiate: les
empereurs, en effet, se hâtèrent d’émettre plusieurs
décisions, toutes de faveur pour les esclaves. C’est ainsi
qu'Auguste, par la loi Petronia, défendit aux maîtres
de les condamner aux bêtes; que Claude accordait
la liberté à l’esclave abandonné pour infirmité;
qu’Adrien condamnait à cinq ans de rélégation une
femme qui, sans motif, avait maltraité son ancilla
(1. 2, D., I, VI), et défendait, en outre, d’employer la
peine de mort sans la sententia du magistrat. Marc-
Aurèle, de son côté, décida que cette clause ut cum
(1) Précis de Droit romain, t. I, part. I ; III, p. 79.
—
78
—
bestiis pugnarent serait nulle pour toute vente où elle
serait contenue. Nous avons sur la matière deux cons-
titutions très-importantes d’Antonin le Pieux; cet em-
pereur assimile le meurtre sans cause d’un esclave au
meurtre de l’esclave d’autrui. Or, le meurtrier de l’es-
clave d’autrui était réputé meurtrier du maître lui-
même, d’après ce texte du Digeste : L. 3, § 5, ad leg.
Corn. XLVIII, VIII. Pour les humiles, la peine in-
fligée était la mort; pour les honesti, la déportation
et la confiscation des biens. Une seconde constitution
est relative aux mauvais traitements sine causâ que
peut subir l’esclave de la part du maître. Dans ce cas,
il sera obligé de le vendre bonis conditionibus et de
lui donner le prix. Le maître reprenait toute la vigueur
de son pouvoir quand l’esclave était surpris en flagrant
délit d’adultère avec la fille, la femme de son maître,
ou bien quand il l’avait attaqué. Nous retrouvons le
texte de ces deux constitutions soit au Digeste, soit
même aux Institutes (1).
Constantin est loin d’être en progrès sur les autres
empereurs, car, par une bizarre interprétation des
constitutions d’Antonin, il va jusqu’à déclarer que le
maître qui avait tué son esclave ne serait vraiment
réputé meurtrier qu’autant qu'il l’aurait tué sur le
coup. Une pareille décision ouvre le champ à toutes
les vexations et justifie en quelque sorte l’arbitraire du
maître. En l’année 374, les empereurs Valentinien et
Valens décident que si le maître fait exposer les en-
fants de ses esclaves, il perd tous ses droits sur les
(1) Inst. I, VIII, § 2 ;
l.
I, § 1, D., I,
VII.
—
79
—
malheureux qu’il a abandonnés à la charité publique.
Enfin, Justinien déclare que non-seulement il est de
l’intérêt des maîtres eux-mêmes de se montrer humains
envers les esclaves, mais encore il y a aussi un intérêt
public engagé, en ce sens que l’esclave étant générale-
ment regardé comme une chose, l’État est toujours
intéressé à ce que le propriétaire en use convenable-
ment. Gaïus lui-même nous dit, à propos des règles
posées par Antonin le Pieux : « Et utrumque recte
fit ; male enim nostro jure ali non debemus : quâ
ratione et prodigis interdicitur bonorum suorum
administratio (1). »
§ 3. — Influence des philosophes et du christianisme
sur la condition des races serviles.
I. Tels furent les adoucissements successivement
apportés au sort des esclaves ; assurément les progrès
réalisés étaient considérables; sans doute, sous Justi-
nien, l'esclavage avait perdu son caractère de cruauté
native, mais la condition servile était encore des plus
tristes; le christianisme, en faisant pénétrer l'idée
d’égalité dans les masses, et par son esprit de douceur
et d’apaisement, contribua pour une large part à l’amé-
lioration physique et morale de la race servile.
II. Toutefois, malgré l’influence que nous devons
reconnaître au christianisme, nous devons cependant,
pour être justes, faire la part qui revient aux philo-
sophes qui, avant la venue du Christ, avaient déjà
(1) Gaïus, Inst., Comment. I, § 53.
—
80
—
reproduit ces idées d’égalité universelle dont nous par-
lions tout à l'heure. Comme nous l’avons fait remar-
quer précédemment, Pline, Cicéron, Sénèque et bien
d’autres auteurs encore avaient déjà ruiné par leur
théorie le fondement même de l’esclavage.
III. Certains critiques, prenant l’autre extrême,
ont accusé l’Église d’indifférence, de mollesse, décla-
rant qu’elle n’a rien transformé pour le bien de la
société en ces temps-là; à ces adversaires ignorants ou
de mauvaise foi on peut aisément répondre que l’Église,
au temps de Justinien, n’était pas organisée comme
elle l’est de nos jours? Possédait-elle ces moyens d’im-
mense influence qu’elle a acquise par dix-neuf siècles
de persévérants efforts? N’était-elle pas bien plutôt la
communion de quelques fidèles, souvent persécutés,
toujours surveillés et soupçonnés par l'État et la
société elle-même? Comment donc peut-on lui repro-
cher ce qu’elle n’a pu faire?
IV. Quoi qu’il en soit de ces questions débattues
bien à tort, pensons-nous, nous devons affirmer que
l’Église, autant qu’il était en son pouvoir, a travaillé
à l’émancipation des races serviles. Nous devons recon-
naître que non-seulement par ses actes, tels que rachat
des captifs par exemple, mais encore et surtout par la
prédication de ses maximes sublimes sur la charité
chrétienne et l’égalité des hommes devant Dieu, elle
contribua à l’œuvre qu’on a si justement appelée
« l’œuvre de justice et de réparation sociale. »
—
81
—
SECTION II
Grimes et délits commis par des tiers
contre les esclaves.
Nous avons vu jusqu a présent comment la législa-
tion romaine protégeait l’esclave contre le maître; nous
allons maintenant examiner comment elle le protégeait
contre les tiers.
Il est évident qu’il ne pouvait être question pour
l’esclave d’obtenir lui-même en justice une réparation,
quelle qu’elle fût, car la loi lui refuse formellement
le droit d’introduire une action judiciaire. Il fallait
cependant le protéger. Mais, de même que le maître
acquiert seul le droit de faire valoir les obligations
contractées par les tiers vis-à-vis de son esclave, de
même il est seul investi du droit d’exiger la réparation
des crimes et délits dont l’esclave aura à souffrir. »
§
1
.
La loi Aquilia a pour objet la réparation des dom-
mages causés sans droit et par suite d'une faute quel-
conque. Elle comprend trois chefs :
Premier chef. — Meurtre d’un esclave ou (d’un
quadrupède vivant en troupe.)
Le meurtre d'un esclave commis sans droit et hors
le cas de légitime défense par un autre que par le pro-
priétaire entraîne la condamnation à payer la plus
haute valeur que l’esclave ait eue pendant l’année, en
a
6
—
82
—
tenant compte de tout le préjudice causé au maître;
c'est ce qui donnait à la loi Aquilia un caractère pénal.
Il faut que le meurtre ait été commis par suite d’une
faute ou d’un dol. IL n’est tenu aucun compte du
degré de la faute; et la simple négligence ou omission
n’engendre pas la responsabilité aquilienne, qui ne
peut naître que d’un acte.
Le maître avait deux actions, dans le cas de meur-
tre, contre celui qui s’en était rendu coupable : l’action
résultant de la loi Aquilia et l’action résultant de la
loi Cornelia, de Sicariis. D’après Ulpien, l’exercice de
l’une n’empêchait pas l’exercice de l’autre. D’autres
jurisconsultes, au contraire, disposaient que, si le
maître a intenté l’une des actions, il ne pourra plus
intenter l’autre. Ces auteurs s’appuient sur la loi 4,
de Publias judiciis. On peut leur répondre qu'en
effet, en matière d’injure, l’exercice de l’action privée
éteint l’action publique, mais parce qu'elle poursuit
par deux actions le môme but : la réparation du dom-
mage. Il n’en est plus ainsi en ce qui concerne l’action
privée de la loi Aquilia et l’action publique de la loi
Cornelia : la première tend à la réparation du dom-
mage pécuniaire que le maître éprouve par suite de la
mort de son esclave, tandis que la seconde a pour but
la vengeance publique du meurtre commis. Il n’y a
donc pas lieu de raisonner d’un cas à l’autre, puisque
les cas sont différents.
Quant à l’argument tiré d’une loi de Paul (1. 4.
D. XLVIII, I.), voici ce qu’il faut répondre; le passage
sur lequel s'appuie l’opinion adverse est le suivant :
Interdum evenit ut præjudicium judicio publico
—
83
—
fiat sicut in aclione legis Aquiliœ ... ; il n’implique
en rien qu’on ne puisse agir par l’action privée; il
faut en déduire que celui qui doit connaître de l’action
publique est tenu de se conformer à la décision de fait
qui a été rendue par le juge chargé de statuer sur l’ac-
tion civile. Dans notre Droit actuel, une controverse
s’est élevée précisément sur le point de savoir si la
chose jugée au criminel a une influence sur l’action
civile relativement aux faits sur lesquels le jugement
du tribunal criminel a statué.
Deuxième chef. — Les dispositions qu’il vise ne
sont pas relatives à notre matière.
Troisième chef. — La blessure faite à un esclave
entraîne condamnation à une somme égale à sa plus
haute valeur dans les trente jours qui précèdent le délit.
Quid quand l’esclave meurt des blessures qu’il a
reçues ?
Le maître qui avait intenté l’action de la loi Aquilia
de vulnerato, avait encore une action de occiso
(1.
46. D. IX,
II.)
;
mais il n’obtenait, par cette se-
conde action, que ce qu’il aurait obtenu s’il avait
agi dès le commencement de occiso. (1. 1, 27, § 5,
D. IX, II.)
§
2
.
L’action de la loi Aquilia est également accordée
dans le cas d’injure faite à l’esclave, par la raison que
l’injure faite à une personne alieni juris rejaillit sur
tout individu ayant autorité sur la personne injuriée.
L’injure atrox, c’est-à-dire l’injure aggravée à raison
— 84 —
de la nature de l’outrage, du lieu du délit, de la va-
leur de l’esclave, rejaillit seule de l’esclave au maître,
et peut seule motiver l’action d'un affranchi contre son
patron, d’un fils émancipé contre son père.
Si l’esclave injurié est grevé d’usufruit, on présume
que le propriétaire a été injurié plutôt que l’usu-
fruitier.
Si l’esclave injurié est un servus communis, on
peut dire que l’injure rejaillit sur chacun des maîtres,
et ici il faut considérer la qualité de chacun des co-
propriétaires pour apprécier le montant du dommage
qui doit être alloué.
§
3
.
L’action de la loi Aquilia, qui est d’abord donnée au
propriétaire seul, a été, dans la suite, accordée utile-
ment à tout individu directement intéressé (gagiste, etc.).
Cette action, applicable en principe au seul dommage
directement causé corpore et corpori, a été étendu au
dommage indirect causé corpori sed non corpore ou
non corpori neque corpore. On n’était pas d’accord
sur le point de savoir si c’est une action utile ou sim-
plement une action in factum qui était accordée. On
peut dire que l’action utile était donnée pour le cas
de dommage causé autrement que corpore.
L’action indirecte demeurait réservée pour le cas de
dommage corpore. En outre, si ce dommage avait été
fait non corpori (par exemple si, par compassion, j’ai
détaché un esclave, afin de favoriser sa fuite), une
action in factum était donnée contre moi ; mais, si
—
85
—
j’avais rompu ses liens pour me l'approprier, le maître
avait alors l'action de vol.
Si, pour le cas de dommage causé non corpore sed
corpori, le préteur accordait l’action utile prétorienne,
c'était parce qu’il eût ôté injuste que la personne dont
le dol ou la faute avait été la cause de la mort de l’es-
clave échappât à toute responsabilité.
§ 4.
Pour nous résumer, le maître, en vertu do la loi
Aquilia, avait, soit une action directe, soit une action
utile, dans le cas de mort de l’esclave et dans le cas
où le fait délictueux a occasionné des blessures; dans
tous les autres cas, il pouvait intenter l’action d’injure.
Cependant, le préteur n’était pas forcé de la lui accor-
der toutes les fois qu’il avait été injurié ou frappé,
mais seulement lorsque les coups et blessures prenaient
quelque gravité.
Nous venons de voir que l’action de la loi Aquilia et
l’action d’injure accordées au maître lui permettaient,
dans presque toutes les circonstances, d’être rédimé du
préjudice causé; cependant, il pouvait se faire (et la
chose était fréquente à Rome) que des personnes, pour
exploiter la passion ou la sottise des esclaves, leur
donnaient de mauvais conseils et les entraînaient à
des entreprises coupables. Ici, la loi refusait toute
action au maître, c’était un danger ; le préteur le com-
prit et lui accorda l’action de servo corrupto. Il fallait,
pour que cette action pût être exercée utilement, que
les conseils aient été donnés dolo malo ; elle était
—
86
—
toujours accordée in duplum dans le cas de déprécia-
tion que l’esclave a subi par suite de la corruption
dont il a été victime.
Il est facile de remarquer de quelle protection était
entouré l’esclave ; il semble que le législateur ait voulu
relever ici sa personnalité. Permettre, en effet, au
maître de venger la mort de l’esclave, et faire condam-
ner le meurtrier, non pas à une peine pécuniaire, mais
à une peine afflictive; proclamer qu’il n’y a aucune
différence entre le maître d’un esclave et le maître d’un
homme libre, c’était faire un grand pas dans la voie
de l'égalité, c’était relever la classe servile non-seule-
ment à ses propres yeux, mais encore aux yeux même
des citoyens libres en forçant ces derniers à respecter
la vie de l’esclave au même point que celle d’un de
leurs égaux.
SECTION III
Grimes et délits commis par les esclaves.
§
1
.
I. — Primitivement, l’esclave pouvait être mis à
mort sur un simple caprice du maître, ainsi que l’af-
firme la loi des Douze-Tables; mais nous avons vu que
la rigueur de cette loi s'était peu à peu adoucie, et que
sous Justinien ils ne pouvaient plus être condamnés
sans de justes motifs. La loi, du reste, leur reconnais-
—
87
—
sait le droit d’être jugés devant le tribunal, à l’instar
des hommes libres : Si servus reus postulabit, eadem
observanda sunt quœ si liber esset ex senatus-
consulto Cottâ et Messalâ consulibus, dit Vénuléius.
(L. 12, § 3, D., XLVIII, II.) C’est une exception à ce
principe du Droit romain : qu’un esclave ne saurait
ester en justice, exception dont on comprend, du reste,
toute l’équité. Il pouvait donc se défendre ou se faire
défendre, comme nous l’avons vu déjà précédemment.
II. — En principe, d’après la législation de Justi-
nien, un esclave peut être poursuivi par tous les accu-
sateurs par lesquels peuvent être poursuivis des hommes
libres. Cependant, d’une manière générale, on ne pou-
vait exercer contre eux les actions qui aboutissaient à
une peine pécuniaire, car l’esclave n’était pas proprié-
taire ; d’ailleurs, n’ayant légalement ni père ni mère»
il ne pouvait tomber sous les coups de la loi Pompeia.
Dans ces divers cas, il ne restera certainement pas
impuni, et le préfet de la ville lui infligera une peine
extraordinaire. Hormis ces exceptions, il rentre dans
le droit commun criminel. Les peines que l’on pro-
nonçait contre lui étaient à peu près les mêmes que
celles infligées à l'homme libre pour les mêmes crimes
ou délits.
III. - S’il y avait des points d’inégalité, s’il n’était
pas dans une situation identique, toutefois la similitude
dans bien des cas était complète ; on voit par là com-
bien considérables étaient les progrès réalisés par le
Droit romain en ce qui concerne le Droit criminel des
esclaves.
—
88
—
§2. — Actions indirectes résultant d'un délit.
Actions noxales.
I. —Ces actions ont pour but de punir l’esclave à
raison des délits par lui commis; il fallait songer, en
outre, aux droits et intérêts des tiers qu’il était équi-
table de sauvegarder. Comment y parvenir? Pouvait-on
demander la réparation du dommage à l’esclave lui-
même? Mais l’esclave est impuissant à réparer le mal
qu’il a pu faire ; il est incapable d’être propriétaire, et
ne peut dès lors disposer de quoi que ce soit. Ce n’est
donc pas contre lui qu’il faut poursuivre. Nous avons
vu que le maître bénéficie de toutes les acquisitions
faites par l’esclave ; il était juste dès lors qu’en retour
il fut responsable du préjudice causé par lui; si le
législateur n’avait pas admis cette responsabilité, on
voit quels abus se seraient produits, car l’esclave étant
toujours assuré de l’impunité, les tiers lésés dans leurs
droits n’auraient pu recourir contre personne.
II. — Toutefois, si le maître est responsable, il
ne faut pas cependant qu’il subisse, à l’occasion de son
esclave, une perte supérieure à sa valeur; c’était là un
principe fondamental du Droit romain. La consé-
quence immédiate, c’est que le maître pouvait se
libérer en faisant l’abandon de l’esclave. Mais dans le
cas où il ne faisait pas cet abandon, les tiers avaient
contre lui des actions pour se faire indemniser du
préjudice causé; ces actions reçurent le nom de
noxales, du mot noxa, qui signifie l’auteur du fait
nuisible, ou du mot noxia, qui signifie le délit lui-
—
89
—
même ; or, le mot noxa se prend pour noxia, ainsi
qu’il résulte de quelques textes; d’où le nom d’abandon
noxal, d’actions noxales.
III. — L’action noxale est une action pénale, arbi-
traire, tantôt civile, tantôt prétorienne, consistant dans
la poursuite d’une réparation pénale contre un pater-
familias,lorsque celui-ci ne faisait pas l’abandon.
Elles étaient de deux sortes : l’action noxale ordi-
naire, relative au fils et à l’esclave, — et l’action
noxale de pauperie, relative au dommage causé par un
quadrupède; nous ne nous occupons, bien entendu,
que de la première catégorie de ces actions.
Indépendamment de toute idée d’équité dont nous
avons parlé et qui fait le fondement de l’action noxale,
nous ajouterons qu’il était encore raisonnable d’im-
poser au maître l’obligation de réparer le dommage,
afin de l’engager à surveiller de près la conduite de
ceux qui étaient soumis à son pouvoir.
IV. — Nous avons dit que le maître pouvait se
libérer en abandonnant l’esclave sujet du délit; mais
cet abandon pouvait-il être fait en tout état de
cause ?
1° Il peut faire l’abandon avant la lilis conteslalio,
en cédant sou droit sur la victime du délit; il évite
ainsi l’action. (L., 29, D., de Nox. act., IX, IV.)
2° Il le peut encore après la lilis contestatio, mais
avant la sententia, et dans ce cas il n'évitait pas l’action
mais la condamnation. (Inst., § 31, de Nox. act.)
3’ D'après un texte du Digeste, il avait encore
ce droit même après la condamnation. (L. 6, § 1,
D., XLII, I.)
—
90
—
V. — Ces notions préliminaires établies, demandons-
nous si le maître pouvait toujours se libérer par
celle voie? Cette faculté ne lui est pas toujours accor-
dée; ainsi, le maître a-t-il pu empêcher le délit? S’il
ne l’a pas fait, il est tenu in solidum, sur tous ses
biens, de la condamnation prononcée contre lui. Si, au
contraire, il a complétement ignoré le délit, il pourra,
ou indemniser le tiers du préjudice causé, ou faire
l’abandon; cette distinction est fort juste; la simple
énonciation suffit à en montrer l’équité.
VI. Conséquence de l’abandon. — Par l’abandon,
quand il est légalement fait, le maître perd la pleine
propriété de l’esclave, et cependant, grâce à une dispo-
sition prétorienne, il ne tombe pas nécessairement en
la puissance de sa victime; s’il peut trouver assez
d’argent pour indemniser le nouveau maître, il pourra
exiger qu’on lui donne la liberté.
VII. Quels sont les modes par lesquels celui qui
a souffert du délit devient propriétaire de l’esclave
livré noxaliter? — Ces modes sont du Droit civil et
transfèrent la propriété quiritaire. Certains commen-
tateurs pourtant, par une fausse interprétation des
textes, prétendent que la victime du délit a simplement
l’esclave in bonis ; il n’en est rien ; ces textes visent le
cas d’un esclave amené par le demandeur, jussu ma-
gistratûs, en l’absence du maître, et lorsque personne
ne se présente comme défendeur dans cette opération.
VIII. —Voici une espèce qui a bien son importance :
Ce maître a connu le fait délictueux de l’esclave, il
l’a même ordonné, les tiers lésés ont contre lui deux
actions; le maître est tenu, en effet, en son propre
—
91
—
nom et au nom de l’esclave. (L. 2, § 1, D., de Nox.
ad., IX, IV.) Satisfait-il à l’une de ces actions, altera
tollitur, dit Paul. (L. 24, § 2, D., de Nox. ad.) Mais
que faut-il décider s’il aliène l’esclave? Peut-on le pour-
suivre par les deux actions, ou bien le maître ne sera-
t-il plus obligé que in nomine suo? Nous devons tout
d’abord dire comme notion générale qu’en vertu de la
maxime bien connue : Noxa caput sequitur, l’action
compète toujours au tiers contre le maître sous la
puissance duquel il trouve l’esclave au jour de la pour-
suite. Le législateur accorde ainsi à la personne lésée
un certain droit de suite qui garantit sa créance envers
et contre tous.
L’action noxale est donc attachée à la personne de
l’auteur du dommage. Elle se donnait contre le
propriétaire ou le possesseur de l’esclave ; car,
pour être soumis à cette action, il n’est point né-
cessaire d’avoir les droits de propriété, et ce n’est
même qu’en tant que possesseur que le maître pouvait
être poursuivi; il en résulte que ce dernier ne sau-
rait l’être quand l’esclave est eu fuite. (§ 37, Paul,
Sent., II,
XXXI
.)
D’après Ulpien, le maître reste tenu tant in nomine
suo que in nomine servi, malgré l’aliénation et l’af-
franchissement de ce dernier, de telle sorte que
l’action noxale pourra être intentée même contre l’an-
cien propriétaire. (L. 2, § 1, D., de Nox. ad.)
D’après Paul, le tiers lésé peut agir in solidum con-
tre l’ancien propriétaire, et noxaiiter contre le second.
Il aura intérêt à choisir l’action in solidum si tant
est qu'il puisse prouver la complicité du maître ; sinon
—
92
—
il fera bien d’user de l’action noxale, parce qu’ainsi il
obtiendra moins, c’est probable, mais il sera toujours
sûr de recevoir l’esclave en abandon noxal. (L. 4, § 3,
D., de Nox. ad.)
Mais peut-il intenter les deux actions alterna-
tivement ou même simultanément?
Pomponius soutient la négative; cependant, il semble
que si le tiers lésé ne peut pas être payé intégrale-
ment, il pourra se retourner contre l’autre et obtenir
le montant intégral de la condamnation.
Quid si l’esclave a commis plusieurs délits? Le
maître sera-t-il obligé autant de fois qu’il y a de faits
délictueux?
Il faut, comme précédemment, distinguer si le
maître a ou non connu leur existence; s’il les a connus
ou ordonnés, il peut être poursuivi in solidum pour
chacun d’eux. Si, au contraire, il les a ignorés, il pourra
faire l’abandon noxal et, dès lors, il ne sera plus
inquiété; s’il préfère payer le montant de la condam-
nation, il continuera d’être obligé pour tous les autres
délits jusqu’à ce qu'il ait fait l’abandon ou qu’il ait
acquitté toute les obligations successives.
Dans le cas où sa volonté est de livrer l’esclave, la
personne qui aura la préférence sera donc celle qui,
la première, a obtenu la sentence du magistrat : Melior
est causa occupantis, dit Ulpien. (L. 14, pr. D., de
Nox. ad.)
IX. Quid si un même délit a été commis par plu-
sieurs esclaves? — Suivant la rigueur des principes
il faut décider que dans ce cas le maître sera obligé
de faire l’abandon de chacun d’eux ou de payer le
—
93
—
montant de la condamnation autant de fois qu’il y a
de coupables.
Dans le cas de vol, il existe une dérogation dont
nous parle Julien. Il suffit en effet, dans ce cas, pour
que le maître soit libéré, qu’il paye trois fois la valeur
de la chose volée. (L. 2, D., XLVII,
IV
.)
X Quid si l’esclave a commis un délit contre son
maître? — Conformément à la doctrine sabinienne,
il ne peut y avoir d’action dans ce cas, par la raison
que la personnalité de l’esclave s’absorbant dans la
sienne il serait censé se donner une action contre lui-
même, ce qui est impossible et absurde.
XI. Que faut-il enfin décider si un esclave appar-
tenant à Primus et ayant commis un délit envers
Secundus vient à tomber sous la puissance de ce der-
nier? L’action primordiale de Secundus s’évanouit :
quia in eum casum deducla sit in quod consistere
non potuit. S’il vient à sortir de sa puissance,
Secundus n’en pourra pas agir davantage.
Cette solution n’était pas approuvée par les Procu-
liens. Pour eux, l’action existait à l’état latent, et dès
que l’esclave sorti de la puissance du maître était
passé à un autre, elle reprenait sa vie et son cours
régulier. (Gaïus, c.
IV
, § 78.)
Nous ferons observer, en terminant, que d’une ma-
nière générale nous avons raisonné en supposant que
l’abandon noxal était fait après la condamnation pro-
noncée contre le maître.
—
94
—
SECTION IV
Devoirs de l’esclave.
Parmi les devoirs dont l’esclave est tenu vis-à-vis
du maître, il faut placer en première ligne :
1° L’obéissance à ses ordres quand ils ne sont pas
contraires au droit. — L’esclave n’est pas tenu d’obéir
aveuglément et d’une manière absolue aux caprices du
maître; ainsi, lorsque le maître veut le forcer à com-
mettre un délit, ou s’il lui ordonne un travail au-
dessus de ses forces, ou bien s’il veut le prostituer :
dans toutes ces hypothèses, l’esclave pourra s’opposer
à ses volontés.
En dehors de ces cas, il lui est entièrement soumis,
et s’il n’exécute pas ses ordres la castigatios sera son
châtiment.
2° Obligation de demeurer dams le lieu désigné
par le maître. — S’il s’éloigne pendant quelque temps
et sans sa permission, il commet une faute légère dont
la répression est laissée à ce dernier. — S’il s’enfuit
sans esprit de retour, il commet, suivant les propres
termes de Dioclétien, le vol de sa propre personne.
Voici les conséquences :
1° Toute personne qui recèle un esclave fugitif se
rend elle-même coupable de vol et peut être pour-
suivie par l’action furti, car on suppose qu'elle a
voulu le soustraire au maître.
2° L’esclave fugitif est incapable d’acquérir la liberté
—
95
—
par prescription, puisqu’il est nécessairement de mau.
vaise foi.
Celui qui a recelé l'esclave sans intention fraudu-
leuse est puni d’une amende.
L’action de corrupto est aussi donnée au maître
contre celui qui a conseillé la fuite à son esclave.
Enfin, lorsque le tiers a recélé l’esclave après lui
avoir conseillé de fuir, la loi Fabia reçoit son appli-
cation.
3° Les esclaves sont tenus de défendre leurs maî-
tres contre tous les périls qu’ils sont en état de pré-
voir et de combattre. C’est au magistrat d’apprécier
si les efforts tentés par l’esclave, dans tel ou tel cas
donné, ont ôté suffisants pour le mettre à l’abri de
toute condamnation.
4° Enfin, d’une manière générale, ils sont tenus de
cette multitude de devoirs qu’il est impossible d’ana-
lyser ici et dont l’accomplissement est nécessité par
les rapports caractéristiques de supérieur à inférieur.
ANCIEN DROIT FRANÇAIS
De la condition des serfs dans l’ancien Droit
français.
L’étude du servage exigerait pour l’approfondir des
volumes entiers. Les questions qui s'y rattachent, soit
directement, soit indirectement, sont, en effet, nom-
breuses, importantes et du plus haut intérêt; aussi
n’est-ce pas sans un certain regret que nous nous
voyons obligé de réduire notre cadre sur la matière.
Avant de parler de la condition des serfs, nous
croyons, pour être plus complet, devoir traiter aussi
sommairement que possible les deux questions sui-
vantes : Comment s’est transformé l’esclavage au
Bas-Empire et comment, par suite, le servage de la
glèbe a-t-il pris la place de l’ancienne servitude
personnelle?
Nous verrons, par les considérations que nous avons
—
97
—
à établir sur ce point, que celte dernière institution
est à la fois d’origine romaine, gauloise et germanique.
CHAPITRE PREMIER
TRANSITION ENTRE L’ESCLAVAGE A ROME ET LE SERVAGE
DANS NOTRE ANCIEN DROIT
SECTION PREMIÈRE
Transformation de l’esclavage en colonat
(Sous le Bas Empire.)
8 1
-
Nous avons déjà parlé dans la première partie de
notre thèse de cette catégorie d’individus dont la con-
dition était mixte, qui, par certains côtés, pouvaient
être assimilés aux hommes libres et par d’autres aux
esclaves; c’étaient les agricolœ ou coloni. Leur ori-
gine, d’après certains auteurs, remonterait au temps de
Constantin, un peu avant le règne de cet empereur.
La raison de celte nouvelle institution est facile à
concevoir.
Dès le principe les esclaves étaient surtout employés
à la culture de la terre; sous l’empire, il en était en-
core ainsi. Mais il arriva un moment où, par suite
d’invasions sans cesse renaissantes, les campagnes se
trouvèrent à peu près dépeuplées ; car l’un des effets de
a
7
—
98
—
la guerre fut de grever d’impôts énormes les malheu-
reux cultivateurs, qui se virent obligés d’abandonner
leurs champs pour échapper à une situation aussi into-
lérable. Dans une pareille extrémité, les propriétaires
du sol comprirent que le seul moyen de recouvrer
la prospérité perdue par cet abandon universel était
de ramener par une vive impulsion à l’agriculture
cette multitude d’esclaves qui encombraient les villes
et devenaient un danger sérieux pour l’État. Pour
mieux y parvenir, ils résolurent de leur accorder la
liberté à la condition qu’asservis à la terre ils pave-
raient l’impôt à l’État, et à eux-mêmes une certaine
redevance (vectigal). C’est ainsi que l’esclave changea
de condition ; mais sa nouvelle position, quoique pré-
férable à la première, était en bien des points aussi
rigoureuse.
Ce ne fut pas tout ; les petits propriétaires, qui vivaient
du produit de leur fonds, se virent ruinés à leur tour et
tombèrent dans un état de misère absolu. Aussi, dès
qu’on vint leur offrir, avec les moyens d’exploitation,
des terres à cultiver, se hâtèrent-ils d’accepter pour
sortir au plus tôt de leur triste dénûment. Ils formèrent
à leur tour le colonat libre, en ce sens qu’ils étaient
libérés du service domestique, mais ils n’en restaient
pas moins assujettis à perpétuité à la culture du
sol. Le colonat était établi et s’étendit rapidement;
on pouvait être colon, soit de naissance, soit en vertu,
ou d’une décision de l'autorité, ou d’une convention,
ou de la prescription; les naissances surtout aidèrent
puissamment à cette extension.
—
99
—
§
2
.
Les colons étaient divisés en deux classes : la pre-
mière comprenait les adscriplii, censiti ou tributarii ;
la seconde, les inquilini ou liberi coloni. Nous avons
ailleurs indiqué les traits communs qui les caractéri-
saient; ils étaient, avons-nous dit, attachés à la terre
à perpétuelle demeure, et quand la terre était vendue,
par voie de conséquence ils étaient vendus avec elle,
comme un accessoire de la chose principale
Mais les adscriplii coloni, tout au moins au point
de vue de leur origine, différaient des inquilini : les
premiers étaient probablement des esclaves primitifs
qui avaient été transformés en colons sous l’influence
des besoins agricoles; ils forment, peut-on dire, le co-
lonat forcé ; les seconds étaient, au contraire, les pe-
tits propriétaires, les petits agriculteurs ruinés dont
nous avons parlé et qui, pour échapper à leur détresse,
avaient accepté d’être asservis à la terre (servi terrœ.)
Dès le principe du colonat, leur situation juridi-
que était aussi différente. Les inquilini pouvaient
être propriétaires moyennant le payement d’une rede-
vance en denrées et quelquefois en argent; tandis que
les adscriplii ne pouvaient rien avoir pour eux-mêmes.
Peu à peu ces deux conditions tendirent à n’en
plus former qu’une, les maîtres du sol ayant fini par
permettre à leurs colons adscriplii de percevoir les
fruits de la terre moyennant une redevance qu'ils leur
payaient.
En fait donc, sinon en droit, il n’y avait plus à dis-
—
100
—
tinguer, sous le Bas-Empire, ces deux classes de colons.
Le colonat qui, dès les premiers siècles de notre ère,
n’avait pas encore pris place dans la législation, avait
été officiellement reconnu par l’empereur Marc-Aurèle,
et à l’époque du Bas-Empire il était définitivement
constitué.
g
3
.
Telle est, d’après certains savants modernes, l’ori-
gine, la raison d’être de cette institution. — D’après
une autre opinion, soutenue en particulier par M. Gi-
raud (1), le colonat n’aurait été qu’un des types prin-
cipaux de la servitude antique. Nous n’avons pas l’au-
torité nécessaire pour apprécier une question aussi
importante et prendre un parti définitif pour l’une ou
l’autre des théories admises.
Nous croyons, toutefois, que l'opinion de M. Giraud
est mieux fondée, en ce sens qu’elle est plus conforme
aux données historiques et à l’organisation agricole des
premiers temps de Rome. C’est aussi ce que décide
M. Guizot quand il nous dit que « l’existence d’une
telle classe, la condition des colons, est un fait ancien,
débris d’une organisation sociale primitive, naturelle,
que n’avaient enfantée ni la conquête ni une oppres-
sion savante, et qui s’est maintenue, en cela du moins,
à travers les destinées diverses du territoire (2).
(1) Histoire du Droit français au moyen âge, t. I, pp. 148-184.
(2) Cours d’histoire de la civilisation en France, t. IV, p. 247.
—
101
—
SECTION II
Transformation du colonat et de l’esclavage en servage
Quoi qu’il en soit, nous retrouvons dans la Gaule,
à l'époque des invasions des barbares, le colonat romain
à côté de l’esclavage personnel, qui avait continué de
subsister.
Les Germains, en venant établir leur domination sur
le territoire de l’Empire, se trouvèrent en présence de
ces deux institutions : l’esclavage d’un côté et le colo-
nat de l’autre; il est probable qu’ils ne se firent jamais
une idée exacte des différences profondes qui distin-
guaient les esclaves des colons : « Ils durent, comme
le remarque encore M. Guizot, confondre les deux
classes dans leurs actions comme dans leurs idées (1). »
§ 1. — Transformation du colonat en servage.
La servitude en vigueur chez les Germains était la
servitude réelle. Leurs esclaves s’appelaient læti; ils
tenaient une position intermédiaire entre les hommes
libres et les esclaves proprement dits; ils étaient, dans
une certaine mesure, capables de contracter, de pos-
séder des biens; mais, pour devenir hommes libres,
ils devaient se faire affranchir; leur condition était à
peu près analogue à celle de la plèbe gauloise, dont
nous parle César, et qui a été, avec les læti, une des
sources du servage. Il est à croire que la servitude
(1) Cours d’histoire de la civilisation en France, t. IV, p. 262.
—
102
—
réelle des Germains ne dut pas tarder à se confondre
avec le colonat, qui, lui-même (il est à peine besoin
de le dire), était un esclavage réel, pour former cette
institution caractéristique qui reçut le nom de servage;
toutefois, ce n’est guère que vers le neuvième siècle
que le colonat prit définitivement cette appellation.
II. — Jusque-là les colons continuèrent de vivre à côté
des esclaves proprement dits : mêlés, confondus, en
apparence seulement, mais non en réalité. Si plusieurs
auteurs, des savants même, ont eu l’erreur de croire à la
parfaite similitude de leur situation, des jurisconsultes
éminents à leur tour, Ducange entre autres, ont cons-
taté, démontré que cette similitude n’existait pas; ils
ont établi par des raisons excellentes que leur condi-
tion différait en plusieurs points, et qu’il en avait été
ainsi jusqu’au neuvième siècle. Une différence essen-
tielle, par exemple, consistait en ce que le colon pou-
vait être propriétaire. Ainsi, quand il retirait de la
terre plus qu’il n’en fallait pour payer sa redevance,
l’excédant lui appartenait. Toutefois, il ne pouvait
l’aliéner sans le consentement de son maître. — L’es-
clave, lui, ne pouvait acquérir les droits de propriété. —
Le colon, en outre, pouvait se marier, et son mariage
avec une personne libre ôtait parfaitement valable. — Il
n’en était pas ainsi pour l’esclave. — Le colon, enfin,
était dispensé de toute obligation autre que celle de
cultiver le sol, et, d’après une Constitution de Valenti-
nien, il pouvait même sembler ingénu (licet condi-
tione videantur ingenui). (L. 1, C. J., de Col. Tra-
cen, XI, LI). Sur ce point, la situation de l’esclave
ôtait encore différente.
— 103 —
III. — Mais si depuis les invasions (395) jusqu’au
neuvième siècle, ces deux institutions s'étaient parfaite-
ment distinguées l’une de l’autre, elles ne restèrent
cependant pas, pendant cet intervalle de cinq siècles
environ, identiques à elles-mêmes.
Dès le principe, d’abord, et sous l’influence des
mœurs brutales des premiers barbares, la situation des
esclaves et des colons s’était aggravée; et l’on put
craindre un moment que la société ne fût ramenée à
cet état de barbarie que la civilisation romaine avait
eu l’honneur d’abandonner.
Le christianisme, heureusement, à travers les diffi-
cultés matérielles et morales de toutes sortes avait eu
le temps de s’asseoir et de prendre racine. Ce fut lui
qui, dans la période qui suivit les invasions, prit en
main la cause de l’humanité outragée dans la personne
des esclaves et travailla, de toutes ses forces, à l’œuvre de
justice et de réparation sociale. Nous ne saurions mieux
faire que de citer ici les propres termes par lesquels
s’exprime M. Dejust quand il parle de l’action de
l'Église à cette époque.
« Divulguer, dit-il, et prêcher avec persévérance la
doctrine de l’égalité des hommes devant Dieu ; préparer
l’application pratique de celte doctrine en élevant pro-
gressivement le niveau intellectuel et moral de la classe
servile et en s’efforçant d’effacer les distinctions que les
lois et les mœurs avaient tracées entre les hommes
libres et les esclaves, rendre la condition de ces der-
niers moins pénible et moins dure en leur accordant
aide et protection contre la tyrannie des maîtres; en-
fin tarir, le plus promptement possible, les sources de
—
104
—
l’esclavage en rachetant autant de captifs que ses res-
sources lui permettaient de le faire : telle a été l’œu-
vre de l’Église. Il s’en faut, comme on le voit, que
cette œuvre ait manqué de grandeur. Si l'Église n’a
pas aboli l’esclavage (ce qui lui était impossible à cette
époque), elle en a du moins rendu l’abolition ou la
transformation possible. » (L'Esclavage à Rome, II,
ch. III.)
§2. — Transformation de la servitude personnelle
encore existante en servage.
Les propriétés territoriales, vers les septième, hui-
tième, neuvième et dixième siècles, étaient divisées en
deux catégories bien distinctes : les bénéfices et les
biens allodiaux (alleux).
I. — Les bénéfices étaient inaliénables. Le bénéfi-
ciaire n’avait donc pas le droit de vendre, encore moins
de donner l’esclave qui était fixé sur la terre ; l’esclave,
qui vivait sur un bénéfice, faisait partie intégrante de
la terre, dont il ne pouvait être détaché. Comme pour
l'ancien colon, son sort était lié à celui du domaine
qu’il cultivait : tel avait été, en ce qui concerne les es-
claves, le résultat produit par l’érection en bénéfices
d’une portion importante des territoires d’Europe. Ce
fut l’une des causes de la transformation de l’ancien
esclavage en servage de la glèbe. Tous les esclaves éta-
blis sur les terres concédées devinrent du même coup
inaliénables, et cessèrent d’être esclaves du maître pour
devenir servi terrœ.
II. — Mais sur les propriétés des biens allodiaux il
—
105
—
pouvait, aussi y avoir des esclaves ; or ces biens n étaient
pas inaliénables; comment, dès lors, la transformation
pût-elle s’opérer? Les propriétés allodiales étaient en
quelque sorte englobées dans les bénéfices, et les
grands seigneurs ne se firent pas faute d’exercer toutes
sortes de vexations sur les petits propriétaires, les pe-
tits cultivateurs, qui furent obligés, pour y échapper,
de se jeter entre les mains de leur oppresseur; une con-
vention intervint, qui régla leurs rapports; en échange
de la protection que les seigneurs leur promettaient,
ils durent s’engager à ne pas amoindrir, diminuer
leur domaine sans leur consentement. Celte assimila-
tion de la terre s’étendit aux choses qui accédaient,
telles que les esclaves ; et dès lors ils devinrent inalié-
nables comme les terres et attachés à perpétuité au sol
(servi terrœ).
La transformation de la servitude personnelle en
servitude réelle étant ainsi expliquée, examinons main-
tenant les traits caractéristiques de leur condition juri-
dique. Et d’abord, on distinguait les serfs de meubles,
d’immeubles, de corps (ou mainmortables) ; ces der-
niers étaient les véritables serfs. D’une manière géné-
rale, ils étaient frappés des mêmes incapacités; ils ne
jouissaient ni des droits politiques, ni des droits civils :
ainsi, ils ne pouvaient ni ester en justice, ni témoigner ;
ils ne pouvaient non plus être faits chevaliers, ni prê-
tres; ils étaient également incapables de se marier
sans consentement; les droits de propriété leur étaient
aussi enlevés, et ils n’avaient qu’une possession pré-
caire sur certains biens; ils étaient enfin taillables et
corvéables à merci. Ces traits généraux, que nous
—
106
—
nous conlentons d’indiquer, nous allons les retrouver
tout à l’heure, en comparant la situation des serfs avec
celle des esclaves romains.
CHAPITRE II
CONDITION DES SERFS
SECTION PREMIÈRE
Aperçu général sur la matière.
§ 1.
La situation des serfs, comme il est aisé de le voir,
bien que préférable à celle des esclaves par certains
côtés, n'était cependant guère plus enviable sous beau-
coup d’autres. Mais il n’en fut ainsi que pendant une
très courte partie de l’existence du servage; c'est ce que
nous nous hâtons de dire, avec d’autant plus de raison
que l’on croit généralement, dans le vulgaire surtout,
à l’éternelle misère des serfs dans notre ancienne
France; sans doute leur sort était loin d’être enviable;
mais généralement, à partir du douzième siècle, leur
condition devint de moins en moins rigoureuse.
§
2
Pour apprécier, du reste, sainement une pareille ins-
titution, il faut se placer au point de vue des mœurs
—
107
—
des temps où elle était
en
vigueur, et considérer d’ail-
leurs les gradations établies dans la marche générale
de tout peuple.
Le monde civilisé romain avait été profondément
troublé par les invasions des barbares; un état de
choses nouveau s’était produit avec les perturbations
politiques sociales sans cesse renaissantes; mais dès
que les chefs des divers peuples vainqueurs se furent
établis dans les provinces romaines, on put croire que
désormais une ère de paix et de tranquillité allait
régner dans le monde; il n’en fut rien : aux crises
sociales succédèrent des crises intestines. A la disso-
lution de l’empire de Charlemagne, les grands sei-
gneurs entrèrent en lutte directe avec le pouvoir cen-
tral, et la guerre fut partout à l’état normal. La société,
sous tant d’efforts contraires, devint de moins en moins
policée; la force, le courage héroïquement brutal
furent les seules lois de ces époques troublées.
Les
mœurs avaient naturellement acquis cette ru-
desse caractéristique des nations qui se forment et
tendent vers l’unité. Les hommes, par une consé-
quence inévitable, en subissaient l’influence, et ceux
qui étaient au dernier degré de l’échelle sociale, les
serfs, en un mot, devaient plus que tout autres en
ressentir le terrible contre-coup; dès lors, si leur con-
dition fut un moment si misérable, ne faut-il pas en
attribuer la faute non aux maîtres d’alors, mais bien à
l’influence fatale de l’état de choses existant?
C’est, en effet, comme nous l’indiquions tout à
l’heure, une loi nécessaire de tout peuple en forma-
tion qu’il y ait entre les hommes des différences de
—
108
—
castes profondément inégales, et ce n’est que lors-
qu’une nation a posé ses premières assises et que son
unité commence à paraître que ces différences se modi-
fient tout en s’harmonisant. Ainsi en a-t-il été dans
notre vieille France.
§ 3.
Du reste, l’institution du servage était soumise à une
très-grande diversité de manière d’être. Les Coutumes,
en effet, ne s’accordaient pas du tout sur les principes
qui réglaient la condition des enfants nés de personnes
soumises au servage. Tandis que quelques-unes d’entre
elles restèrent fidèles à la loi romaine et déclarèrent
que l’enfant né dans le mariage suivrait la condition
du père, les autres empruntèrent au Droit canonique
une disposition plus favorable à la liberté, et recon-
nurent à la femme libre qui épousait un serf le droit
de conférer la liberté à ses enfants. De même, les
règles juridiques variaient beaucoup, en tant qu'il
s’agissait de régler le droit de propriété sur les enfants
nés de serfs appartenant à des maîtres différents. La
coutume la plus générale voulait que ces enfants fus-
sent également partagés entre les deux maîtres.
—
109
—
SECTION II
Étude de la condition des serfs du neuvième
au douzième siècle.
Nous nous plaçons, bien entendu, pour apprécier
la condition des serfs, à l’époque où l’institution du
servage était le plus en vigueur, c’est-à-dire du neu-
vième au douzième siècle.
§ 1.
Voici comment Beaumanoir, dans un passage carac-
téristique, nous peint leur situation : « U uns des sers
« sunt si souget à lor seignor, que lor sires por penre
« quanques ils ont à mort et à vie et les cors tenir en
« prison, toutes les fois qu’il lor plest, soit à tort soit à
« droit, qu’il n’en est tenus à respondre fors à Dieu. »
(Coutumes de Beauvoisis, II, p. 233, éd. Beugnot.)
Ce qu'un Coutumier anglais commente en ces termes :
« Les sers ne peuvent rien purchasser fors qu’à l’œps
« (ad opus) de leur seigneur; ne savent le vêpre de
« quoi il serviront le matin , ni nul certaineté de ser-
« vise. Ceux peuvent les seigneurs firger (corriger) em-
« prisonner battre et châtier à volonté sauve à eux la
« vie et les membres entiers. Ceux-ci ne peuvent suivre
« ni dédire leur seigneur tant comme il trouvent de
« quoi vivre, ni à nul ne loist les recevoir sans le gré
«de leur seigneur; ceux-ci ne peuvent avoir nulle
« manière d’action sans leur seigneur, fors qu’en félo-
« nie, et si ces sers tiennent fief de leur seigneur est
—
110
—
« à entendre qu’ils le tiennent de jour en jour à la
« volonté des seigneurs, ni par nulle certaineté de
« servise. » (Le Miroir de justice.)
I. — On voit, si l’on en croit ces Coutumiers,
combien était rigoureuse la condition de la classe
servile. Assurément, chez les Romains, au temps de
Constantin, les esclaves n’étaient pas plus mal traités,
peut-être l’étaient-ils moins, car plusieurs Constitu-
tions impériales avaient enlevé aux maîtres le droit de
violenter l’esclave sine causa, tandis que dans notre
ancien Droit ils pouvaient torturer les serfs de toutes
façons, sauf à en répondre à Dieu. Comme on peut
aisément l’imaginer, ce droit exorbitant fut de beau-
coup réduit du jour où le pouvoir central eut pris
de l’extension et de l’influence, du jour enfin où la
royauté, définitivement établie dans son unité, put
faire la loi, même aux plus grands seigneurs, et couvrir
ainsi de sa puissante protection le faible et l’opprimé.
il. — En ce qui concerne les biens, les droits du
seigneur sur son serf sont ceux du maître romain sur
l’esclave.
Tout ce que le serf possède appartient au seigneur;
toutes les acquisitions qu’il peut faire reviennent de
droit à ce dernier. Le fief, comme le pécule, ne cons-
titue qu’une concession temporaire et révocable à la
volonté de celui qui l'a concédée. « Les sers le tien-
nent de jour en jour à la volonté du seigneur. » (Beau-
manoir, loc. cit., p. 233.)
III. —Nous pouvons poursuivre, car les points de
ressemblance entre les deux conditions sont très-nom-
breux :
—
111
—
1° Les serfs n'avaient point le droit de poursuivre
leur seigneur en justice; de même, en Droit romain,
l’esclave ne pouvait actionner son maître; nous avons
exposé quelques rares exceptions qui ne font, du reste,
que confirmer la règle.
2° Les serfs ne pouvaient pas prendre du service
militaire; sur ce point, leur incapacité était absolue,
d’autant plus absolue, pouvons-nous dire, que le mé-
tier des armes était à peu près le seul auquel les nobles
croyaient pouvoir s’adonner sans déroger à leur rang ;
cette carrière, ils la regardaient comme la plus digne,
la plus élevée des fonctions publiques; on comprend,
dès lors, avec quel soin jaloux la classe servile en
avait été exclue.
Ainsi en était-il en Droit romain ; « les esclaves
n’étaient pas reçus dans la milice et, si par hasard, il
s’en trouvait quelqu’un, il était puni des peines les plus
sévères. » (Loisel, LXXIX, Institutes coutumières.)
3° Le serf ne peut être prêtre sans le congé de son
seigneur. (Ch.
VIII
, art. 17, Cout, du Nivernais.)
Toutefois, nous ferons observer avec Loisel que si le
serf entrait dans le sacerdoce sans le consentement de
son maître, il demeurait toujours prêtre, parce que le
caractère est ineffaçable, au lieu qu’il était dégradé
des autres ordres, à l’exception du diaconat, où il pou-
vait demeurer, en substituant à son maître une per-
sonne en sa place. (Loisel, règle LXXIX, l. 1, t. I.)
Les mêmes principes régissaient les esclaves à Rome,
en ce qui concerne les aptitudes aux fonctions ecclé-
siastiques.
—
112
—
4° Les serfs ne pouvaient pas témoigner en justice;
les esclaves ne le pouvaient pas davantage.
Toutefois, il résulte d’un passage de Perreciot sur
l’état civil des personnes (1. I, ch. vu), que ce droit
fut accordé aux serfs vers la fin du onzième siècle.
5° D’après nos Coutumes, les serfs ne pouvaient
quitter la terre à laquelle ils étaient attachés sous
peine d’y être ramenés par la force, ainsi qu’il résulte
de celte règle des Institutes coutumières de Loisel :
« Le seigneur a droit de suite et formariage sur ses
serfs. » Mais c’était là le droit le plus ancien, et qui ne
s’appliquait qu’aux serfs de corps. La servitude de
corps était celle qui s’attachait à la personne, indépen-
damment de toute possession, et qui était caractérisée
d’une manière aussi originale qu’énergique par Co-
quille (Inst. au Dr. Fr., des Serv. pers.) : « Les serfs
du Nivernais, disait-il, portent avec eux leur servi-
tude attachée à leurs os, qui ne peut tomber pour
secouer. »
Les ordonnances vinrent tempérer la rigueur de ce
droit, et voici, dès lors, l’interprétation qu’il faut donner
à la règle précédente :
Désormais, le seigneur n’aura que la voie de la saisie
des héritages mainmortables pour le contraindre à
revenir. D’ailleurs, d’après Loisel, quand on dit qu’il a
le droit de suite sur les serfs, cela ne signifie autre
chose, sinon que le seigneur peut les poursuivre en
quelque lieu qu’il soit, pour être payé de la taille
qu’ils lui doivent. Inst. cout. LXXXII, 1. I, t. I).
Quant aux serfs d'héritage ils sont francs cl ces-
sent d’être de poursuite, en renonçant à leurs merx
—
113
—
ou héritages mainmortables, avec les formalités re-
quises par les Coutumes; mais s’ils viennent à s’ab-
senter sans avoir renoncé, le seigneur reprend son
droit de poursuite.
Ainsi en était-il des esclaves romains nommés ad-
scriptii coloni. Ils étaient tellement attachés à la terre,
qu’ils semblaient ne faire qu’un avec elle et n’en pou-
vaient, dès lors, être séparés. La loi 6, au Code XI,
XLVII,
nous apprend, en outre, que s’ils venaient à
fuir, les gouverneurs de province étaient tenus de les
faire arrêter et de les renvoyer à leurs maîtres.
« Sers ou mainmortables ne peuvent tester et ne
succèdent les uns aux autres, sinon tant qu’ils sont
demeurans en commun. » Ainsi s’exprime Loisel dans
ses Institutes Coutumières (I.
XXIV,
I. 1, t. 1). Nous
devons tout d’abord faire remarquer que cette règle
vise seulement les biens qui tombent en morte-main.
On distinguait les mainmortes de meubles et les
mainmortables d’héritages ou d’immeubles ; le main-
mortable de meubles ne pouvait en disposer par testa-
ment, pas plus que le mainmortable d’héritages pour
ces héritages mêmes.
Toutefois, ainsi qu’il résulte des derniers termes de
la règle précitée, il existe une exception en faveur des
serfs communs, lesquels peuvent tester au profit les
uns des autres sans le consentement de leurs seigneurs.
Ce droit leur a été accordé afin de les engager à demeu-
rer ensemble et d’obtenir ainsi, pour la culture des
champs, le nombre de bras nécessaires; telle est la
raison économique de cette exception; au point de vue
juridique, la raison en est en ce que les serfs, demeu-
a
S
—
114
—
rant en commun, possèdent en quelque sorte solidai-
rement, de façon que si l’un d’eux vient à décéder, la
portion de biens à laquelle il a droit appartient aux
survivants par une espèce de droit d’accroissement.
Mais dès que les serfs sont divisés ou séparés, la
communauté cesse d’exister et, dès lors, ils perdent
le droit de disposer par testament; s’ils veulent se
reconstituer en communauté, il faudra que le seigneur
donne son consentement. La règle LXXV des Inst. cou-
tumières de Loisel dispose à cet égard de la façon qui
suit : « Car un parti, tout est parti, et le chanteau
(pain) part le vilain » ; c’est-à-dire que les serfs sont
partis ou divisés quand ils vivent de pain séparé ou de
pain qui n’est pas commun.
Les esclaves comme les serfs étaient incapables de
tester. N’ayant pas les droits de propriété ils ne pou-
vaient en principe disposer ni par donation, ni par
testament ; les esclaves publics pourtant avaient le
droit de disposer par acte de dernière volonté de la
moitié de leur pécule; mais c’était là une exception
toute de faveur.
§
2
.
Nous pourrions signaler encore d’autres points d’assi-
milation, mais ceux que nous avons indiqués peuvent
nous suffire, car ils marquent surabondamment le point
de départ des dissemblances que nous nous contente-
rons d’établir par le principe qui leur sert de base.
Ces dissemblances étaient profondes, surtout si l'on
considère plutôt le fond que la forme du servage.
—
115
—
Nous avons vu, en parlant des adoucissements succes-
sifs apportés à la puissance dominicale à Rome, quelle
avait été l’influence de plusieurs jurisconsultes et du
christianisme en particulier. Cette influence n’avait,
cessé de s’accroître du jour où pour le bien de l’huma-
nité, elle eut le bonheur de naître, et, si nous trans-
portant du Droit romain nous venons à notre ancien
Droit, nous sommes obligé de constater que, grâce à
elle, le principe fondamental de l’esclavage avait
disparu pour jamais. En reconnaissant dans le serf
un homme qui a droit à la naturèle francise, la
législation s’obligeait par cela même à lui accorder
toutes les capacités qui n’étaient pas en opposition
avec le pouvoir du seigneur. Ainsi, par exemple,
fut-il permis aux serfs de contracter mariage, sauf
(jusqu’au douzième siècle tout au moins) à demander
le consentement du seigneur.
Nous devons remarquer, en outre, comme différence
capitale (dont les autres ne sont à vrai dire que les
conséquences), que le servage n’était considéré par la
législation que comme un pur fait, tandis que la légis-
lation romaine considérait, au contraire, l’esclavage
comme une institution basée sur le droit ; on comprend,
dès lors, que la doctrine de notre moyen âge devait
nécessairement aboutir à l’abolition du servage. C’est
effectivement ce qui arriva, comme nous allons le
voir.
—
116
—
SECTION III
Aperçu général de la condition des serfs à partir
du douzième siècle.
Tout ce que nous avons dit de la condition des serfs
jusqu'à ce moment a trait à la situation qui leur était
faite du neuvième au onzième siècle environ.
§ 1.
A partir de celte époque de grands progrès se réali-
sent. Le servage proprement dit a déjà disparu dans la
plupart des provinces et à la veille de disparaître dans
les autres; bientôt ce qui put rester de cette institu-
tion s’absorba dans cette autre institution que nous
avons appelée la mainmorte, qui n’est autre chose
qu'une sorte de servitude personnelle considérablement
adoucie, dans laquelle entrait toujours la considération
d’une possession, d’un bien meuble ou immeuble, et
d’une résidence ou d’un domicile.
Les mainmortables constituaient dans le très-ancien
Droit des communautés agricoles ayant un chef qui
les représentait. Ces communautés, qui se formaient
par la réunion des serfs pendant un an et jour, pré-
sentaient un grand intérêt pratique. Les terres étaient
mieux cultivées, et les seigneurs y trouvaient l’avantage
de pouvoir exercer une surveillance plus efficace;
car celte surveillance ils l’exerçaient à la fois sur tous
ceux qui faisaient partie de la communauté.
Les dispositions des Coutumes relatives aux droits
de mainmorte variaient extraordinairement, et de
—
117
—
plus ces droits différaient même entre eux dans la
même Coutume, suivant les titres des seigneurs, fort
divers entre eux. On voit, dès lors, combien il était
difficile, malgré certains caractères communs qui les
unissaient, de définir d’une manière précise la con-
dition des mainmortables vers le commencement de
l’année 1300.
§
2
.
Quoi qu’il en soit de cette diversité de condition
dans la classe servile, nous devons citer ici tout au
moins les principaux passages de la fameuse ordon-
nance de Louis le Hulin (1315), par laquelle ce roi
relève la classe servile de l’abaissement dans lequel elle
avait vécu jusqu'alors :
« Comme, selon le droit de nature, chacun doit
« naistre franc, et par aucuns usages ou coutumes,
« qui de grant ancienneté ont été introduites et gardées
« jusques cy en nostre royaume, et par aventure pour
« le meffet de leurs prédécesseurs, moult de nostre
« commun peuple, soient enchéris en lieu de servitudes
« et de diverses consitions, qui moult nous déplaît.
« Nous considérants que nostre royaume est dit et
« nommé le royaume des Francs et voullants que la
« chose en vérité soit accordant au nom et que la
« condition des gents ammende de nous en la venu
« de nostre nouvel gouvernement : par délibération...
« avons ordonné et ordonnons... que telles servitudes
« soient ramenées à franchises... à bonnes et conve-
« nables conditions... Et nous promettons en bonne
—
118
—
« foy que pour nous et nos successeurs ratifierons et
« approuverons, teindrons et ferons tenir et garder...»
Ainsi donc, d’après cette ordonnance, Louis le
Hutin proclamait que la liberté est le droit universel.
Une seconde ordonnance de 1358 vint confirmer les
dispositions contenues dans la première, et rendre
l’affranchissement obligatoire. Ce fut là un immense
progrès réalisé, et qui aurait à coup sûr amené le
prompt nivellement des castes au point de vue
de l’égalité devant la loi, si des obstacles puissants
n’étaient venus ralentir le mouvement qui emportait la
société vers une ère de civilisation nouvelle. — Aussi,
au quinzième siècle, fallait-il encore distinguer les
serfs aubains et les serfs d’origine.
Les premiers étaient les aubains, qui étaient venus
s’établir sur les terres d’une seigneurie et qui y avaient
demeurées un an et jour. Ils devenaient serfs par le
seul fait de ce séjour.
Les serfs d’origine, au contraire, étaient ceux nés
dans la seigneurie même. En général, ils suivaient la
condition de la mère en vertu de la maxime : Partus
ventrem sequitur; toutefois, dans certaines pro-
vinces, ils suivaient la condition du père, et dans le
Nivernais et le Bourbonnais, par exemple, la condition
pire : «En servage, le pire emporte le bon», disait
cette dernière Coutume (ch.
XVIII
, art. 208 ; Cout. de
Nivernais, ch.
VIII,
art. 22). A partir du quinzième
siècle, les progrès se continuèrent, malgré les diffi-
cultés qui venaient sans cesse les entraver. Mais quand
les causes qui s’opposaient à l’abolition complète de
la servitude eurent disparu; quand le seigneur n’eut
—
119
—
plus intérêt à retenir les serfs sous sa puissance, mais
à l’émanciper pour les rendre imposables ; quand les
serfs, à leur tour, virent qu’ils pouvaient devenir véri-
tablement libres, sans tomber dans le vilainage, dont
la condition était presque aussi rigoureuse que celle
du servage, alors, sous l’empire du même besoin de
concéder la liberté et de la recevoir, la classe servile
fut définitivement émancipée.
§ 3.
Toutefois, si désormais en fait il n’existait plus en
France d’hommes conditionnés, néanmoins ce ne fut
qu'en 1789 que toute trace de cette institution finit
par disparaître. Louis XVI, par le célèbre édit du
mois d’août 1779, fut le premier qui édicta le principe
de l’égalité de tous les Français devant la loi, en
abolissant dans ses domaines tous les droits fonciers
ou personnels qui pouvaient exister encore, et en leur
accordant ainsi le droit d’user des mêmes actions et
des mêmes prérogatives qui compètent aux personnes
libres.
L’Assemblée constituante, en proclamant ce prin-
cipe, n’a fait dès lors que reproduire une idée dont
Louis XVI avait été l'heureux inspirateur.
DROIT CIVIL FRANÇAIS
Incapacités absolues de disposer par donation
ou par testament.
(Cod. Civ., lib. III. tit. II, chap. II.)
INTRODUCTION
§ 1
Le droit de propriété comprend, dans son étendue,
le droit de disposer de sa chose à titre onéreux et aussi
celui d'en disposer à titre gratuit. C’est ce dernier
droit qui fera l'objet de notre étude. Il présente, à
divers points de vue, un grand intérêt, soit qu’on envi-
sage le côté purement théorique, soit qu’on le consi-
dère dans son application et ses effets.
Celte faculté de disposer librement de ses biens est
l’une des prérogatives les plus belles qui soient accor-
dées à l’homme. Pouvoir, par des donations, récom-
—121—
penser le dévouement, les services fidèles, les soins
généreux, secourir la misère des déshérités de la for-
tune, donner enfin à ceux qu’on aime un gage qui
perpétue la reconnaissance avec le souvenir du bien-
fait reçu : tel est l’usage qu’on peut faire pendant la
vie de ce droit laissé à l’homme de faire de son bien
l’emploi qu’il juge convenable.
La faculté de disposer par testament est aussi un
droit des plus consolants qui permet au testateur de
donner, pour le temps où il ne sera plus, cette fortune
dont il usa, pour se procurer en même temps que les
jouissances honnêtes de la vie la douce satisfaction de
faire du bien aux autres.
La seule joie que puisse goûter un père mourant
n’est-elle pas de se dire qu’après lui il laisse d’autres
soi-même, des continuateurs de sa personne? N’est-
elle pas de penser que ses héritiers, ses enfants, en qui
l’on se voit revivre, jouiront de ces biens que lui ont
laissé ses pères et qu’il transmet fidèlement à son tour.
§
2
Cette double faculté est donc précieuse à plus d’un
litre; mais à quel droit se rattache-t-elle? En ce qui
concerne la donation, point de difficulté possible ; elle
est du droit des gens, du droit naturel; c’est là une
vérité que l’histoire et la philosophie ont consacrée.
Quant au testament, son origine a divisé l’opinion des
auteurs. Leibnitz, donnant à sa pensée la plus haute
expression possible, fait dériver l’origine du testament
de l'immortalité de l'âme. — Cicéron et après lui Cujas,
—
122
—
tout en tenant compte de ce principe éternel, s’atta-
chent davantage aux sentiments humains et trouvent
la raison de tester « dans l’affection de l’homme pour
ses proches, et dans le devoir que la nature lui im-
pose de pourvoir au bien-être de sa famille. » (Com. ad
D., qui test. fac. poss., t. I, p. 103, éd. de Paris.)
Celte dernière opinion nous semble se justifier par
toutes sortes de considérations; s’il est vrai que le tes-
tament emprunte sa forme à la loi positive, comme
tous les autres actes, il n’est pas moins certain qu’il
provient par son essence du droit naturel au même
titre que les donations à titre gratuit. Pour nous, cette
faculté de disposer par testament nous paraît d'autant
plus précieuse qu'elle tient, par son origine, à des prin-
cipes éternels de morale et de religion et, par ses effets,
à la réalisation du vœu le plus cher d’un mourant,
comme nous le disions tout à l’heure.
§ 3
I. — Mais ici, comme en bien d'autres cas, le dan-
ger peut provenir de l’exagération même du bien ; si,
dans les contrats à titre onéreux, l’homme est sauve-
gardé dans ses intérêts, parce qu’il reçoit l’équivalent
de ce qu’il donne, il n’en est pas de même pour les
contrats à titre gratuit. Car comment se défendre
contre la captation, l’obsession des tiers intéressés, et
surtout contre les entraînements du cœur et la séduc-
tion redoutable des passions? Aussi le législateur a-t-il
dû, dans l’intérêt môme du disposant et de ceux appe-
lés à lui succéder, établir un système de protection
—
123
—
tout particulier, afin que nul ne soit lésé dans la légi-
timité de ses droits.
II. —Il nous serait facile de prouver avec quelle sol-
licitude et quelle sage prévoyance les Romains avaient
réglé la matière des libéralités entre-vifs et testamen-
taires; nos législateurs modernes s’en sont peut-être
plus préoccupés encore que les jurisconsultes romains
eux-mêmes; tout en tenant compte des sentiments de
générosité qui peuvent animer le disposant, en les en-
courageant même, si rien ne vient s’y opposer, si des
intérêts d’un ordre supérieur n’y mettent obstacle, ils
ont établi certaines prohibitions dans l’intérêt de la
famille et de l’Etat. Ces prohibitions proviennent de
l’àge, de la position et du caractère de certaines per-
sonnes qui peuvent être, selon les cas, ou incapables de
disposer ou incapables de recevoir.
III. —En principe pourtant, et suivant l’esprit de
l’article 902, la capacité est la règle, et l’incapacité
l’exception ; c’est là un principe fondamental de notre
Droit moderne; il faut donc, pour qu’il y ait des inca-
pacités, quelles soient expressément prévues par la
loi. Les incapacités ne sauraient se supppléer, et les
considérations les plus sérieuses et les plus fortes tom-
bent devant le texte formel de l’article suivant :
« Toutes personnes peuvent disposer et recevoir, soit
par donation entre-vifs, soit par testament, excepté
1
celles que la loi déclare incapables. » (Art. 902.)
—
124
—
§
4
Ainsi qu’il résulte de ce dernier alinéa, des incapa-
cités peuvent se produire ; mais quelles en seront les
modalités? Il y a des incapacités de disposer et de re-
cevoir; les incapacités de disposer sont absolues ou
relatives : absolues, lorsque ceux qui en sont frappés
ne peuvent disposer de leurs biens au profit de qui que
ce soit; relatives, lorsque ceux qui en sont frappés,
bien que capables en général, ne peuvent donner ou
léguer à certaines personnes. Les incapacités absolues
de disposer sont les seules dont il sera question dans
le cours de celle thèse.
TITRE PREMIER
PERSONNES INCAPABLES DE DISPOSER PAR DONATION
ET PAR TESTAMENT
CHAPITRE PREMIER
DES INSENSÉS
On désigne, sous cette dénomination d''insensés,
toutes personnes qui, par suite d’altération plus ou
moins profonde des facultés intellectuelles, sont dans
l’incapacité d’apprécier la portée des actes humains.
Dans une première section, nous parlerons des insen-
sés interdits; dans une seconde, des insensés non-
interdits.
SECTION PREMIERE
Insensés interdits.
Le majeur qui est dans un état habituel d’imbé-
cillité, de démence ou de fureur doit être interdit,
même lorsque cet étal présente des intervalles lucides.
(Art. 489.)
—
126
—
Avant d’entrer dans le cœur du sujet, nous croyons
utile de nous demander ce qu’on entend par « étal
habituel d’imbécillité, de démence ou de fureur, »
dont parle la loi :
L'imbécillité est cette faiblesse d’esprit qui rend
l’homme incapable de concevoir ni de former aucune
idée, si ce n’est ordinairement pour ses besoins physi-
ques; c’est un état continu.
La démence est une perturbation des facultés de
l’homme. Ses idées sont multiples et incohérentes;
l’usage de la raison lui est enlevé ; cet état peut ne pas
être continu et présente des intervalles lucides.
La fureur est la démence poussée à l’excès ; elle ins-
pire à l’homme qui en est atteint des actes dangereux
pour lui-même et pour les autres; la fureur, par sa
nature, ne saurait être continue; elle a nécessairement
des moments de calme.
Ces notions établies, nous allons définir le vrai ca-
ractère des dispositions entre-vifs et testamentaires. Il
faut comprendre sous cette dénomination toute dispo-
sition de biens à titre gratuit, soit qu’elle s’opère par
un contrat entre le donateur et le donataire acceptant
qui saisit actuellement et irrévocablement celui-ci de
l’objet donné, soit qu'elle se manifeste par un acte
unilatéral de dernière volonté essentiellement révo-
cable de la part du testateur jusqu’à sa mort et qui
ne reçoit d’effet qu’à cette époque, deux genres de libé-
ralités soumises d'ailleurs aux restrictions, conditions
et formes que la loi détermine.
Quid des dispositions entre-vifs ou testamen-
taires lorsque l'interdiction est antérieure ?
—
127
—
L’article 502 règle la situation de l’interdit; en voici
les termes : « L’interdiction ou la nomination d’un
conseil aura son effet du jour du jugement. Tous
actes passés postérieurement par l’interdit ou sans
l’assistance du conseil seront nuls de droit. Cet
article, quoique exprimé en des termes formels, a
cependant donné lieu, comme nous allons le voir, à
des explications contraires de la part de jurisconsultes
éminents. Il résulte du premier alinéa que l’interdit
est privé de l’exercice de ses droits du jour du juge-
ment, avant même qu’il en ait reçu la signification, et
cela quand même il en aurait été appelé; car, d’après
l’article 805, l’appel n’est suspensif que pour la nomi-
nation du luteur. Que conclure de ce jugement rela-
tivement à la capacité de l’individu? C’est qu’il se
borne à la constater et non à la produire ; cet article
établit donc celte présomption : que l’interdit ne peut
faire de dispositions valables, même pendant les inter-
valles lucides, nulle preuve n'étant admise contre les
présomptions légales lorsque sur leur fondement la loi
annule certains actes.
Venons maintenant à la véritable difficulté de la
matière;
La donation ou le testament fait par l’interdit depuis
son interdiction sont-ils nuls de droit, ainsi qu’il résulte
de l'article 502?
I. — M. Grenier se résout pour l’affirmative; voici
comment il s’exprime dans son Traité des Donations,
t. I, n° 104. « La loi, dit-il, ayant voulu la nullité de
la donation ou du testament lorsqu’il serait prouvé
que l’auteur de la disposition n’avait pas l’esprit sain
—
128
—
au moment où il l’a faite, il en résulte bien évidem-
ment que l’interdit ne peut ni donner entre-vifs ni
tester. L’existence seule du jugement d’interdiction
constate l’incapacité; aussi, suivant l’article 502, tous
actes passés postérieurement à l’interdiction sont nuls
de droit.
Cette opinion a été adoptée par un grand nombre
d’auteurs, tels que Toullier, Duranton, Zachariæ et
plusieurs autres. (Toullier, t. V, n° 57; Duranlon,
t. VIIII, nos 154-163 ; Zachariæ, t. V, p. 14, note 4.)
C'est la doctrine qui tend à prévaloir; l’article 502,
du reste, est aussi formel que possible. A ne consulter
que les termes de cet article, il semble qu'il ne puisse
naître une solution autre que celle dont nous parlons.
II.—Cependant, il s’est trouvé des jurisconsultes qui
ont soutenu (d’accord, du reste, avec les données du
Droit romain et de notre ancien Droit) une doctrine
opposée, du moins eu ce qui concerne les testaments.
D’après les principes du Droit romain et sous l’empire
de notre ancienne jurisprudence, il était admis qu’un
insensé pouvait tester valablement dans un intervalle
lucide, et que si les intéressés ne prouvaient pas la
prétention contraire, c’est-à-dire que le disposant était
en état de démence au moment de la confection de
l’acte, le testament produisait tout son effet. C’est ce
que nous apprend Joly de Fleury dans ses plai-
doyers lors des arrêts des 11 mai 1703 et 10 juin 1704 ;
de Lamoignon dans ses arrêtés, et le chancelier
d’Aguesseau dans son plaidoyer du 15 mars 1698.
L’autorité juridique de pareils devanciers vient donner
une grande valeur à la doctrine soutenue par Merlin,
—
129
—
Coin-Delisle et plusieurs autres jurisconsultes émi-
nents (Merlin,
Rép., V°
Interdiction,
§ G,
n° 1 ;
Coin-Delisle, art. 901, n° 10.)
III. — Certains auteurs vont plus loin encore et sou-
tiennent que l’interdit peut donner et tester dans un
intervalle lucide. Voici leur raisonnement :
L’article 504, comme nous allons le démontrer tout
à l’heure, ne s’applique point aux donations et aux
testaments, dispositions spécialement régies par l’ar-
ticle 901. D’après les partisans de ce système, il en
serait de même de l’article 502, par la raison que l’ar-
ticle 901 édicte une règle générale, en disant : « Que
pour faire une donation ou un testament, il faut être
sain d’esprit; » que dès lors on est toujours recevable
à prouver l’intégrité d’esprit ou l’intervalle lucide au
moment de la confection do l’acte; si l’article 502,
comme l’article 504, ne vise que les actes à litre oné-
reux, ces mots « seront nuts de droit » ne pourront
s’appliquer qu’à cette catégorie d’actes. Donc, l’acte à
titre gratuit, en principe, reste valable.
Au surplus, est-il possible qu’un individu en état de
fureur, par exemple, ne puisse jouir de quelques inter-
valles lucides? Le simple bon sens nous répond qu’un
pareil état ne peut être continu ; dès lors, ne peut-il
faire, pendant ces temps d’intermission, des disposi-
tions raisonnables? Oui, assurément; il existe, du
reste, bon nombre d’arrêts qui le décident ainsi.
On poursuit encore dans ce sens, et l’on dit :
Un fou peut se marier pendant un intervalle lucide,
et on ne voudrait pas qu'il puisse passer un contrat de
mariage? Il le peut, suivant les partisans de ce sys-
a
9
—
130
—
tème. Or, dans ces contrats, il y a presque toujours
des libéralités que se font les époux; donc, il pourra
disposer par acte entre-vifs; mais les principes qui
régissent les donations régissent aussi les testaments;
donc, l’interdit pourra valablement faire l’un et l’autre
de ces actes.
Enfin, on comprend que l’interdit soit remplacé
dans les actes de la vie ordinaire; mais comment ad-
mettre qu’il puisse l’être pour une donation ou un tes-
tament; lui interdire celte faculté de disposer, c’est lui
enlever la jouissance du droit lui-même; or, l’interdic-
tion n’enlève que l’exercice; donc, il faut permettre à
un fou de faire une donation ou un testament dans
un intervalle lucide.
Ces arguments ont une certaine force; mais voici
comment les partisans de l’opinion contraire y peuvent
répondre :
Les rédacteurs du Code ont voulu (la chose est cer-
taine) interdire la preuve de l’intervalle lucide admise
en Droit romain ; s’ils avaient eu l’intention de l’ad-
mettre, ils se seraient exprimés autrement, ou bien ils
auraient complété leur pensée.
Les articles 502 et 504 n’étant applicables ni aux
donations, ni aux testaments ; il faut, pour soutenir
l’opinion contraire, qu’il y ait parité entre ces deux
articles et l’article 901 ; mais quelle est donc cette parité
de raison qui défende d’invoquer l’article 502? Quel
est, en définitive, le sens de la dérogation de l’arti-
cle 901 ? Le législateur n’a-t-il pas voulu étendre le
cercle des nullités dans un but de défaveur (bien fondé
du reste) contre les actes à titre gratuit? N’a-t-il pas
—
131
—
cherché à multiplier les moyens d'attaque pour arriver
à ce résultat? Telle est bien, selon nous, la véritable
pensée du législateur. Dès lors, et dans ce sens, l'arti-
cle 502 est aussi applicable aux donations et aux tesla-
ments, et l'article 901, quoique spécial à ces actes, ne
saurait en empêcher l’application, car les règles qu’on
y voit établies sont plus larges et plus protectrices
encore.
Du reste, voici comment s’exprime l’article 511 :
« Lorsqu’il sera question du mariage de l’enfant de
l’interdit, la dot ou avancement d’hoirie et les autres
conventions matrimoniales seront réglés par un avis
du conseil de famille, homologué par le tribunal.
Enfin, la Cour de Cassation elle-même, à propos de
l’article 502, refuse d’admettre la preuve de l’intervalle
lucide.
Pour toutes les raisons que nous venons d’indiquer,
il faudrait décider que la donation ou le testament fait
depuis l’interdiction sont nuls de droit, ainsi qu’il ré-
sulte de l’article 502.
IV. — M. Demolombe propose un système intermé-
diaire, qni nous paraît devoir être adopté, car il obvie
à la plupart des inconvénients que présente la rigueur
des deux autres. Ce système est celui admis en Droit
romain et en Droit coutumier.
D’après lui, l’interdit ne peut faire une donation,
mais il pourra lester. La loi, en effet, se montre plus
favorable aux testaments qu’aux donations; ainsi, les
mineurs âgés de seize ans, les majeurs pourvus d’un
conseil judiciaire, les femmes mariées, les prodigues
ont la capacité de disposer par testament, mais non
—
132
—
par donation. Que l’interdit ne puisse faire une dona-
tion, cette prohibition ressort clairement de l’article
511, comme nous l’avons déjà démontré dans une pré-
cédente opinion; mais qu’il ne puisse disposer par tes-
tament, c’est ce qu’on ne saurait prétendre; car dans
cette matière la présomption de l’article 502 ne sau-
rait s’appliquer.
On peut, du reste, argumenter encore de la façon
qui suit : Lorsque l’interdiction n’est ni prononcée, ni
provoquée, ou lorsque le testament a précédé l’inter-
diction, le testateur est présumé sain d’esprit, tant que
les héritiers ne prouvent pas le contraire; mais si au
contraire l’interdiction a été prononcée ou provoquée,
ou s’il s’agit d’un testament fait après l'interdiction, ne
faut-il pas à l’inverse décider qu’assurément, par le
jugement d’interdiction, la présomption d’insanité d’es-
prit s’élève contre lui, et c’est dans cet état qu’il est
présumé avoir fait l’acte? Mais comme après tout un
individu peut être frappé d’interdiction, bien que des
intervalles lucides se produisent, on ne saurait affir-
mer que celte présomption soit absolue; dès lors on
sera recevable à prouver que l’acte a été fait tandis
que le disposant se trouvait dans un de ces intervalles
lucides dont il est question ; sans doute, obliger les
héritiers qui ont obtenu un jugement d’interdiction à
prouver que le testateur n’était pas sain d’esprit au
moment de la confection de l’acte est injuste autant
que déraisonnable. Mais il y aurait une excessive
rigueur, qui ne paraît pas suffisamment justifiée par la
loi, à déclarer nul de plein droit, par cela seul qu’il éma-
nerait d’un interdit, un testament dont les dispositions
—
133
—
seraient sages et qu’on prouverait clairement avoir été
fait à une époque pendant laquelle le testateur aurait
joui d’une intermission considérable et de la plénitude
de sa raison.
V. —En terminant ce qui concerne les interdits, nous
croyons utile de résoudre quelques points particuliers
qui ont leur importance.
Tous les actes qui n’auront pas eu de date certaine
avant le jugement d’interdiction ou de dation d'un
conseil de l’une des manières déterminées par l’arti-
cle 1328, pourront être attaqués dans l’intérêt de l’in-
terdit; mais quoique d’une date antérieure à l’interdic-
tion seront-ils présumés de plein droit postérieurs à
ce jugement? La négative nous semble devoir être
adoptée. La Cour de Cassation avait d’abord admis une
solution absolument contraire et déclarait nuls, d’une
manière générale, tous actes dépourvus d’une date cer-
taine. (Arrêt du 9 juillet 1806) Mais dans un autre
arrêt du 8 mars I836 (Dalloz, 1ere partie, p. 177), elle
revint sur sa première décision, jugeant avec raison
qu’une pareille s du lion était beaucoup trop rigoureuse,
vu le nombre des créanciers qui, après tout, pouvaient
être et étaient réellement de bonne foi, et négligeaient
de donner une date certaine aux actes qu’ils pas-
saient, ne pouvant prévoir l’interdiction de leur débi-
teur ou la dation d’un conseil.
—
134
—
SECTION II
Insensés non interdits.
Quelle est la condition sine quâ non des disposi-
tions entre-vifs et testamentaires? « Il faut être sain
d’esprit », nous répond l’article 901.
Remarquons tout d’abord qu’on ne saurait être plus
laconique ; le législateur a bien compris pourtant com-
bien seraient nombreuses les questions qui seraient
soulevées à l’occasion de ce principe; mais il est resté
volontairement silencieux et a laissé aux tribunaux le
soin d’apprécier les différentes espèces qui peuvent se
présenter et qui sont visées par l’article précité.
Les difficultés proviennent de ce que l’état mental
d’un individu peut affecter autant de degrés que de
nuances diverses : il peut être troublé accidentelle-
ment de loin en loin, ou d’une manière périodique; il
peut l’être plus souvent encore ou enfin d’une manière
continue, complète.
Les causes d’un tel état peuvent être ou physiques
ou morales; il sera donc utile de les examiner atten-
tivement.
§ 1. — Insensés considérés en eux-mêmes
(imbécillité, démence, fureur.)
I. — La première question qui doit être tout d’abord
résolue avant toutes les autres est celle de savoir si
l’article 901 est véritablement une dérogation à l’arti-
—
135
—
cle 504. Ce dernier article s’exprime, en effet, de la
façon qui suit : Après la mort d’un individu, les
actes par lui faits ne pourront être attaqués pour
cause de démence qu'autant que son interdiction
aurait été prononcée ou provoquée avant son décès,
à moins que la preuve de la démence ne résulte de
l’acte même qui est attaqué.
Quant à l’article 901, nous venons d’en faire con-
naître la disposition.
Une controverse très-vive s’était élevée sur ce point
entre les jurisconsultes commentateurs du Code.
D'après une première opinion, il faudrait décider
que l’article 504, vu sa généralité, s’applique aux
donations et aux testaments. Voici le raisonnement
qui conduit à cette solution : Aux termes de cet article,
les actes faits par un individu ne pourront être atta-
qués après sa mort, à moins que la preuve de la
démence ne résulte de l’acte même qui est attaqué;
donc, les actes qui ne porteront pas en eux-mêmes la
preuve de la démence, ne pourront être attaqués par
les héritiers de la personne qui les a faits (nous sup-
posons, bien entendu, que l’interdiction n’a été ni
prononcée, ni provoquée avant sa mort). Or, l’arti-
cle 504, que dit-il ? Établit-il une distinction entre les
dispositions entre-vifs et testamentaires et les con-
trats à titre onéreux? Point du tout; il faut donc con-
clure en bonne logique que l’article 504 s’applique
tout aussi bien aux donations et aux testaments qu’aux
contrats à titre onéreux.
Les partisans de cette opinion poursuivent encore :
L’article 901, disent-ils, est ainsi conçu : « Pour faire
—
136
—
une donation ou un testament, il faut être sain d’es-
prit. » Or, s’il est admis qu’il y a dérogation à l’arti-
cle 504, il faut aussi décider que ce dernier article ne
peut pas être appliqué aux contrats à titre onéreux,
car, dans l’énumération des conditions essentielles pour
la validité des conventions faites dans l’article 1108,
on trouve en première ligne : le consentement; il faut
donc consentir, et par voie de conséquence être en
possession de ses facultés intellectuelles, être sain
d'esprit, en un mol, pour faire un contrat valable.
Tel est l’exposé des diverses raisons que font valoir
ceux qui pensent que l’article 901 ne déroge pas à
l’article 504, qu’au contraire ce dernier article vise
les donations et les testaments comme les autres actes.
Les adversaires d’un tel système le réfutent comme
il suit : M. Emmery, disent-ils, qui avait d’abord pro-
posé, comme orateur du gouvernement, l'article 504,
a formellement déclaré à la séance du conseil d’État
du 14 pluviôse an 11 que ledit article ne concernait ni
les donations, ni les testaments. — D’ailleurs, voici
comment s’exprimait le projet du Code sur l’article 901 :
« Pour faire une donation ou un testament, il faut être
sain d’esprit. Ces actes ne peuvent être attaqués pour
cause de démence que dans les cas et de la manière
prescrite par l’article 504. » La seconde partie de cet
article fut rejetée par la plupart des membres du Con-
seil d’État, et, en particulier, par le consul Camba-
cérès, et il n’est aucun d’entre eux qui ait pensé que
cette seconde partie dudit article se trouvait déjà ren-
fermée dans l’article 504 : tous, au contraire, ont
manifesté que cette seconde partie était trop absolue;
—
137
—
que les donations et testaments pouvaient être faits à
une époque très-récente du décès, ce qui ne permettait
pas de provoquer l’interdiction, et qu’il fallait dès lors
accorder aux juges un pouvoir d’appréciation suffisam-
ment étendu pour leur permettre de juger suivant les
circonstances.
La conclusion naturelle était que l’article 504 ne
s’appliquait pas aux donations ni aux testaments, tous
actes spécialement visés par l’article 901.
Un second argument se lire de la combinaison des
articles 503 et 504. — L’article 503 est ainsi conçu :
« Les actes antérieurs à l’interdiction pourront être
annulés si la cause de l’interdiction existait notoire-
ment à l'époque où ces actes ont été faits. »
El d’abord, en ce qui concerne les actes à titre
onéreux, point de doute possible; les tiers qui ont
eu l’imprudence de contracter avec une personne en
démence sont en faute et doivent en subir les consé-
quences. Dès lors, si une vente, par exemple, a été
consentie par un individu notoirement fou, celte vente
pourra être annulée.
Mais quid des actes à titre gratuit? Nous devons
commencer par écarter les testaments dont il ne peut
être question, car qu’importe que le légataire ail su
ou pu savoir que le disposant était eu démence. L’ar-
ticle 504, qui suit l’article 503, s’occupe des mêmes
actes; ils ont été faits sous l'empire de la même idée ;
une corrélation intime doit les unir; les testaments ne
sont donc pas visés dans l’article 504. Mais si les
testaments sont en dehors de cet article, les donations
ne sauraient y être davantage comprises, car les mêmes
— 138 —
règles, les mêmes principes régissent les dispositions
entre-vifs et testamentaires. A la suite du mot « actes»,
il faut sous-entendre « à titre onéreux »; tout prouve,
en effet, que l’article 504 vise cette catégorie d’actes,
tandis que l’article 901 s’applique d’une manière toute
spéciale aux actes à titre gratuit, donations ou testa-
ments.
Cette dernière opinion est admise par la plupart
des auteurs, notamment par MM. Aubry et Rau,
t. V, p. 422; Demolombe, t. I, n° 355; Demante,
t. V, n° 17. MM. Merlin, Bigot-Préameneu et Joubert,
orateurs du gouvernement, s’étaient, du reste, pro-
noncés en faveur de cette solution au moment même
de la rédaction du Code, en désaccord en cela avec
M. Maleville, dont l’opinion était que l’article 504 res-
tait dans toute sa généralité, et qu’il s’appliquait aussi
bien aux donations et aux testaments qu’aux actes à
titre onéreu x.
La jurisprudence s’est fixée unanimement dans le
sens que nous indiquons, et il faut décider qu’il sera
toujours possible de prouver la démence à l’époque de
la donation ou du testament. (Cass., 26 fév. 1838 ;
Dalloz, I, p. 125, Requête, 26 juill. 1842 ; Dalloz,
I, p. 384.)
Ici se place naturellement une distinction que nous
ne saurions omettre, vu son importance; nous voulons
parler d’une double différence qui existe entre les actes
faits par une personne en état habituel d'imbécillité,
de démence ou de fureur, et les actes faits par une
personne frappée d’interdiction. Dans le premier cas,
que doit prouver le demandeur? R doit établir que le
—
139
—
disposant était privé de l’usage de ses facultés intellec-
tuelles au moment de la confection de l’acte ou tout au
moins qu’il en était ainsi, soit avant, soit après. Le
défendeur, de son côté, pourra faire tomber la préten-
tion du demandeur en prouvant que l’acte a été fait
dans un intervalle lucide. Dans le second cas, la pré-
somption d’insanité existant contre l’interdit, tous les
actes par lui faits seront nuls de droit, sans que le
défendeur puisse dès lors prouver l’intervalle lucide;
toutefois il n’en est ainsi, d’après nous, que relative-
ment aux donations. Cette distinction n’est pas uni-
versellement admise, et certains auteurs la critiquent,
mais à tort, selon nous.
II. Examinons maintenant comment se fera la
preuve. — D'une manière générale, elle peut se faire
par tous moyens; elle pourra être recherchée ailleurs
que dans le testament, surtout si celui-ci contient par
lui-même des indices de démence. Elle peut être faite
par témoins, indépendamment d’un commencement de
preuve par écrit; si nous consultons les travaux pré-
paratoires du Code, nous trouvons que Tronchet con-
cluait à la nécessité d’un commencement de preuve par
écrit, joint au témoignage; mais les autres rédacteurs
du Code ne furent point de cet avis. D’ailleurs, il n’est
pas nécessaire que le disposant ait été demens au
moment de la confection de l’acte, comme nous le
disions tout à l’heure ; il suffit que soit avant, soit
après, il soit reconnu avoir été dans un état habituel
de démence ou de folie pour que le tribunal annule le
testament, alors même que ce testament ne contient
pas de dispositions bizarres; il faut aussi que le de-
—
140
—
mandeur en annulation pour cause de démence s’ap-
puie sur des faits précis, circonstanciés et nettement
articulés (Troplong, l. Il, p. 471, insiste d’une ma-
nière toute particulière sur ce point), sinon les héritiers
sont déclarés irrecevables dans leur demande.
De plus, les magistrats, dans les questions de cette
nature, ne doivent admettre comme concluants que
des faits contenant une démonstration complète; du
moins quand il s’agit d’une incapacité, ils ne sauraient
procéder par induction, car l’incapacité dans les actes
juridiques est l’exception dans notre Droit; c’est là,
comme nous l’avons déjà dit, un principe fondamental
auquel on ne peut déroger qu’avec une extrême réserve.
Observation. — L’article 504 n'étant applicable ni
aux donations, ni aux testaments, on pourrait demander
l’annulation, pour cause de démence, d’une donation
entre-vifs, alors même qu’un jugement irrévocable au-
rait rejeté une demande en interdiction formée contre
le donateur.
III. Qui doit prouver l’imbécillité, la démence
ou la fureur? — Le demandeur en nullilé, car la per-
sonne non frappée d’interdiction est présumée saine
d’esprit.
Que faut-il décider dans le cas particulier où le
notaire a déclaré que le disposant était sain d’esprit,
alors qu’il ne l’était pas ? Les héritiers seront-ils
admis à faire le contraire? Nous répondons par l’af-
firmative. La raison en est en ce que le notaire, par
la déclaration qu’il fait de la sanité d’esprit du testa-
teur, ne fait qu’exprimer une opinion personnelle,
notant pas juge de l’état mental de la personne à
— 141 —
laquelle il prête son ministère. En la combattant, on
n’attaque en rien la foi due à l’acte; c’est ce qui ré-
sulte du rapport de M. Joubert. (Locré, l. XI, p. 439.)
La doctrine et la jurisprudence confirment, du reste,
cette solution.
Mais si le disposant a lui-même dicté ses disposi-
tions, entendu la lecture et a déclaré y persister sui-
vant les formalités voulues par la loi, à propos du tes-
tament authentique, par exemple, les héritiers ne
seront pas recevables à prouver, sans inscription de
faux, que le disposant était dans un état complet d’im-
bécillité ou de démence. Celte décision s'explique aisé-
ment, si nous considérons qu’en admettant le contraire
on se met en opposition directe avec les faits matériels
qui sont relatifs à la confection et aux solennités du
testament, et que le notaire-rédacteur a qualité pour
constater.
§
2
.
Jusqu’à présent nous avons raisonné en faisant abs-
traction de l’interdiction qui peut survenir postérieu-
rement aux actes faits par le demens. Quel sera donc
maintenant l’effet de cette déchéance sur la validité ou
l’efficacité des donations ou testaments antérieurs?
I. Les héritiers sont-ils admis à prouver qu’au
moment de l’acte le disposant était en état d'imbé-
cillité, de démence ou de fureur ? — Évidemment
oui, ainsi que le veut l’article 505, ainsi conçu : « Les
actes antérieurs à l’interdiction pourront être annulés
si la cause de l’interdiction existait notoirement à
—
142
—
l’époque où ces actes ont été faits. » Mais où la diffi-
culté peut naître, c’est sur le point de savoir s’il est
nécessaire, pour que l’annulation soit prononcée, que
la cause de l’interdiction existe notoirement à l'époque
où les actes sont faits, comme semble l’indiquer l’ar-
ticle 503 in fine? Nous devons répondre négative-
ment. Nous avons ailleurs démontré que ni l’article 503,
ni l’article 504 ne s’appliquent aux donations et aux
testaments. Cet article 503 est relatif aux actes con-
sentis par un individu fou en réalité, mais qui ne le
paraît point au dehors et qui trompe ainsi par de
fausses apparences la crédulité des tiers. Le mot actes
y est évidemment synonyme de contrat, ainsi que
nous l’avons déjà dit. On ne peut donc en étendre l’ap-
plication aux donations et aux testaments en ce qui
concerne les donataires ou héritiers dont la condition
ne peut changer, qu’ils connaissent ou non l’état de
démence du donateur ou du testateur. Cette solution
est confirmée par la majorité des auteurs et une juris-
prudence constante.
II. Si le donateur était en possession de toutes ses
facultés au moment où il a fait un acte de disposition
à titre gratuit, l’interdiction qui surviendrait posté-
rieurement n’aura point d’effet rétroactif, et la dona-
tion restera valable. A première vue, il semble qu’une
pareille solution n’est pas conforme aux principes, et il
en serait bien ainsi si l’on considère que le testament,
par exemple, qui est régi par les mêmes règles, ne
produisant effet que du jour de la mort de son auteur,
doit être annulé parce que le testateur meurt en état
d'interdiction. Cependant, tous les auteurs décident
—
143
—
que dans ce cas le testament sera valable, parce que,
disent-ils, la volonté du testateur était fixée au mo-
ment où la démence s’est déclarée. La jurisprudence
en cette matière est parfaitement d’accord avec la doc-
trine. Il a été jugé, en effet, par plusieurs arrêts, que
le testament fait par une personne interdite, avant son
interdiction, doit être validé de piano et sans qu’il
soit besoin d’ordonner une enquête pour constater l’état
normal du testateur à l’époque de la confection de
l’acte, lorsque le jugement qui a prononcé l’interdic-
tion ne contient aucune disposition rétroactive et qu’il
résulte, soit du testament, soit de plusieurs actes passés
par le testateur à la même époque, qu’il jouissait alors
de la plénitude de sa raison. (Poitiers, 18 flor. an IX.)
§ 3. — Personnes incapables par suite de causes
physiques.
I. Sourds-muets. — Si nous consultons les textes
du Droit romain, ils nous diront que le testament par
signe n’était pas admis; cependant, les lois romaines
validaient ceux faits par des soldats sourds-muets.
Dans notre ancien Droit, la prohibition du Droit
romain ôtait reproduite, mais elle était absolue, en ce
sens que les soldats eux-mêmes, tout comme les autres,
étaient frappés des mêmes déchéances. Voici comment
s’exprime Ricard à ce sujet pour expliquer le fonde-
ment de cette incapacité [de Donat., n° 131) : « Quoi-
« que la nature, dit-il, ait fait paraître quelques pro-
« diges dans des particuliers qui avaient apporté cette
« disgrâce en naissant, de les rendre excellents dans la
—
144
—
« peinture et quelques autres arts difficiles à conce-
« voir, néanmoins, on n’en a pas vu jusqu’à présent
« qui aient pu se rendre capables de témoigner leurs
« sentiments par écrit, parce que pour y parvenir il
« serait nécessaire d’avoir des notions qui supposent
« la science de la langue, et qui ne peuvent se cornmu-
« niquer que par le discours ou par l’ouïe; et, quoi
« qu’il en soit, il est impossible qu’ils aient connais-
« sauce des lois et qu’ils soient suffisamment instruits
« dans la vie civile pour être capables de la disposition
« de leurs biens. J’estime, dit-il encore, qu’il est abso-
« solument nécessaire que le donateur puisse faire
« concevoir son intention par une voie indubitable
« qui se restreint à la parole et à l’écriture , tous
« autres moyens étant trop incertains pour servir de
« fondement à une disposition importante. » Pothier
(n° 10, Don.) soutient la même théorie.
Les sourds-muets, dans notre ancien Droit, étaient
donc absolument incapables de disposer par donation
ou par testament.
Que dit le Code sur cette question ? Le Code reste, à
peu de chose près, complètement silencieux; un seul
article, l’article 936, nous parle des sourds-muets en
ce qui concerne la capacité de recevoir. Mais que
faudra-t-il décider relativement à la capacité active de
donner ou de tester? D’après certains commentateurs,
il y a lieu d’établir une distinction entre le sourd-
muet qui sait écrire et celui qui ne sait pas. Dans la
première hypothèse, nous ne croyons pas que le seul
fait d’être sourd-muet de naissance soit suffisant pour
se voir enlever la faculté de donner et de tester vala-
—
145
—
blement ; cette solution semble ressortir implicitement
des articles 936 et 979. Quelques auteurs cependant,
notamment M. Solon, dans son Traité des Nullités
t. I, n° 54, n’admettent point celle solution. Dans le
second cas, l'incapacité est certaine : il ne peut, en
effet, ni tester en la forme olographe, puisqu'il ne sait
pas écrire; ni en la forme mystique, puisqu’il doit
tout au moins signer et qu’il ne sait pas, et que, d’ail-
leurs, il n’entend pas; ni en la forme authentique,
puisqu’il est muet.
D’un autre côté, il résulte de l’article 936 que le
sourd-muet, quand il ne sait pas écrire, ne peut ac-
cepter une donation sans l’assistance d’un curateur
spécial.
On s’explique aisément la disposition de cet article,
si l’on considère que, d’une part, la loi exige la signa-
ture du donataire à la fin de l’acte de donation ; or,
si le sourd-muet ne sait pas écrire ni signer, l’accep-
tation ne réunissant pas les conditions voulues, la
donation ne saurait produire aucun effet; d’autre part,
comment le donateur, en restant toujours dans la
même hypothèse, peut-il s’assurer du consentement
du donataire, s’il ne connaît point le langage des
signes? Un interprète est donc nécessaire ; aussi la loi
exige-t-elle un curateur spécial.
Mais puisqu’il en est ainsi, d’après l’article 936, en
ce qui concerne la capacité passive de recevoir, com-
ment comprendre, relativement à la capacité active de
disposer, la validité d’une donation faite par un sourd-
muet illettré, puisqu’on ne peut connaître sa véritable
intention autrement que par des signes? Il semble
a
10
—
146
—
qu’ici la loi doit se montrer plus rigoureuse, car il
s’agit d’un acte de dépouillement actuel et irrévocable,
d’autant mieux que le notaire ne pouvant rédiger l’acte
de donation que sur la foi d’un interprète, il pourra
se faire que dans cet échange d’idées, la véritable in-
tention du sourd-muet soit altérée, faussée même;
dans ces conditions une donation ne saurait être vala-
ble, car la loi veut que l’intention du donateur se ma-
nifeste clairement, d’une manière certaine, évidente.
Par un à fortiori, les partisans de cette opinion
donnent la même solution en ce qui concerne les tes-
taments. La loi exige pour leur validité que la volonté
du testateur apparaisse clairement et directement ; le
langage des signes est beaucoup trop imparfait pour
qu’on en puisse déduire d’une manière non équivoque
l’expression primitive de la volonté du disposant. Cette
opinion se trouve partagée par un bon nombre d’au-
teurs, notamment par MM. Merlin (.Rép., V° Sourds-
muets, n° 4); Grenier (des Don., n° 2) et Marcadé,
sur l’article 936, n° 2.
Mais quelques arrêts, en particulier un arrêt de la
Cour de Liège (12 mai 1809), d’accord, du reste, avec
quelques auteurs, entre autres M. Solon (Traité des
Nullités, t. I, n° 54), vont beaucoup plus loin dans le
sens des incapacités, et décident que le sourd-muet,
sût-il même écrire, est absolument incapable de faire
une donation. Par opposition, plusieurs jurisconsultes
éminents, tels que MM. Coin-Delisle (art. 136, n° 7),
Yazeille (art. 901, n° 11), Troplong (t. II, n° 539),
étendent la capacité des sourds-muets au cas où ils
seront complétement illettrés.
—
147
—
Nous allons voir ce qu’il faut penser aujourd’hui de
ces questions aussi importantes que pleines d’intérêt.
Nous devons tout d’abord tenir compte des admira-
bles progrès qui ont été réalisés pour l’éducation et
l’instruction des sourds-muets; il suffit d’entrer dans
un établissement où sont élevés ces déshérités de la
nature pour se faire une idée exacte de tout ce que
peut le dévouement et l’intelligence des maîtres qui se
sont voués à une pareille œuvre.
Grâce à eux, les sourds-muets renaissent en quelque
sorte à la vie civile, à laquelle ils ne pouvaient point
participer auparavant.
Nul ne saurait nier qu’ils ne soient capables d’expri-
mer leur volonté d’une manière claire, certaine, et
de manifester, par suite, leur consentement, tout
comme le pourrait faire une autre personne. On ne
voit donc plus pourquoi on ne validerait point une
donation, par exemple, faite en présence de témoins
parfaitement habitués au langage des sourds-muets.
Ces témoins communiqueraient au notaire la pensée
exprimée en signes par le donateur et reproduiraient
ensuite aux yeux de ce dernier les dispositions cons-
tatées par écrit, afin de s’assurer si l’acte a bien tra-
duit sa pensée.
D’ailleurs, si nous consultons les travaux prépara-
toires du Code, nous trouvons, en ce qui concerne le
mariage, que les sourds-muets pourront valablement
se marier toutes les fois qu’ils seront susceptibles de
manifester utilement leur volonté (Locré, t. IV, II,
p. 319) ; c’est encore ce qu’atteste un procès-verbal du
Conseil d’État du 27 fructidor an IX, où nous lisons
—
148
—
« que le discernement des signes qui peut faire juger si
le sourd-muet a ou non consenti, doit être laissé à
l’arbitraire des tribunaux. »
Or, si nous admettons qu’il peut contracter mariage,
en vertu de la maxime : Habilis ad nuptias, habi-
iis ad pacta nuptialia, il faut décider qu’il pourra
consentir toutes les conventions dont ce contrat est
susceptible; ainsi donc, toutes les libéralités qu’il
aura faites à son conjoint seront valables, pourvu
qu’il soit assisté dans le contrat des personnes dont
le consentement est nécessaire pour la validité du
mariage.
L’article 936, duquel argumentent ceux qui n’admet-
tent la capacité que pour ceux-là seuls qui savent
écrire, est loin d’avoir l’importance qu’on veut bien
lui donner. De ce que le sourd-muet qui ne sait pas
écrire est incapable de faire acte d'acceptation, il ne
faut pas en conclure qu’il ne puisse faire une disposi-
tion entre-vifs.
L’article 936 a été rédigé sous l’empire de l’idée qui
faisait conclure à l’incapacité des sourds-muets par
l’impossibilité où ils étaient de pouvoir s’exprimer;
mais aujourd'hui, celte impossibilité n’existant plus,
nous devons interpréter tout autrement les dispositions
de cet article, et décider qu’il n’a plus sa raison d’être
vu le degré d’instruction auquel sont arrivés les sourds-
muets; qu’en tout cas il n’établit pas une règle de
capacité, mais qu’il a seulement pour but de protéger
les sourds-muets qui, incapables de manifester claire-
ment leur volonté, auraient été hors d'état de recueillir
les libéralités qui leur auraient été faites.
—
149
—
Relativement aux testaments, nous concluons encore
à la validité de ceux faits par les sourds-muets. Nul
doute ne peut s’élever en ce qui concerne les testa-
ments olographes ou mystiques; mais que décider du
testament par acte authentique? Ainsi qu’il résulte
des formalités exigées par la loi, il faut que le testa-
teur dicte lui-même et que sa dictée soit reproduite
par le notaire. Les témoins devront donc connaître le
langage des signes ; mais comme nous l’avons déjà fait
observer, dans cet échange, dans celte communication
d’idées, il peut se glisser des altérations qui dénatu-
rent les dernières volontés du testateur. Malgré cet
inconvénient (qui, pour nous, n’en est pas un, car on
parle aujourd’hui par signes avec autant de clarté que
de vive voix), nous admettons en tout point la validité
du testament authentique fait par un sourd-muet, ne
serait-ce que dans un but de compensation pour des
souffrances morales qui doivent nous inspirer un grand
intérêt.
II. Personnes atteintes par la maladie, l’ivresse.
— Les considérations que nous établirons dans la
section suivante sur les personnes à qui des senti-
ments de colère, de jalousie, de vengeance, etc., ôtent
toute liberté d’esprit, s’appliquent également aux per-
sonnes atteintes par la maladie ou tombées dans
l’ivresse et qui, dans de pareils états, font des dispo-
sitions à litre gratuit. Il nous suffit, dès lors, d’énoncer
les principes généraux de la matière.
On ne peut nier que parfois des souffrances aiguës
n’oblitèrent tellement les facultés intellectuelles que
l’on doit regarder comme entaché d’insanité tout acte
—
150
—
fait par un individu dans cet état morbide. Il en est
de même de l’ivresse. — Une donation, un testament
fait dans un de ces moments d’absence pourra donc
être annulé; mais les intéressés devront prouver qu’au
moment où la disposition a été écrite, le testateur ou
le donateur avait totalement perdu l’usage de la raison.
S’il est évident qu’on ne peut faire la preuve du
délire contre une personne qui a dicté elle-même ses
dispositions, qui en a entendu la lecture et déclaré y
persister, il faut toutefois, pour qu'un tel testament
soit inattaquable, que l’existence de ces formalités ait
été constaté par écrit par le notaire.
§ 4. — Personnes incapables par suite de causes
morales.
I. Personnes sous l’empire de passions violentes,
colère, jalousie, vengeance, haine, etc. — 1° Les
passions ont sur nos facultés une influence des plus
considérables; la colère, la jalousie et d’autres pas-
sions produisent malheureusement beaucoup trop sou-
vent des écarts de raison momentanés si l’on veut bien,
mais pendant lesquels on accomplit des actes dont
on a l’amer repentir aussitôt que l’on se trouve en pos-
session de soi.
La haine surtout semble anéantir dans le cœur de
l’homme tous les sentiments même naturels, et jette
aussi la perturbation dans les facultés intellectuelles.
Cette passion paraît souvent ne pouvoir s’éteindre que
par l’exécution, l’accomplissement de projets criminels,
médités parfois depuis de longues années. Que faut-il
—
151
—
penser des dispositions écrites par un individu qui est
sous l’empire de l’une de ces passions dont nous venons
de parler? Si l’ancienne législation romaine et les Cou-
tumes, comme le dit fort bien M. Dalloz (Répert.
jurispr., Disposit. entre-vifs et test., p. 238), avaient
encore parmi nous leur vigueur, ce serait ici le lieu de
parler de l’exhérédation, de ses causes et de ses effets,
des moyens de la faire annuler, de ces actions ab irato,
dont l’ancienne jurisprudence présente un si déplora-
ble abus, et auxquels ont mis fin nos législateurs mo-
dernes. Nous ne saurions mieux faire que de citer ici
les paroles que prononçait Bigot-Préameneu devant le
Corps législatif. « La loi, dit-il, garde le silence sur le
défaut de liberté qui peut résulter de la suggestion et
de la captation, et sur le vice d’une volonté détermi-
née par la colère et par la haine. Ceux qui ont entre-
pris de faire annuler les dispositions par de semblables
motifs n’ont presque jamais réussi à trouver des preu-
ves suffisantes pour faire rejeter des titres positifs, et
peut-être vaudrait-il mieux, pour l’intérêt général, que
cette source de procès ruineux et scandaleux fût tarie,
en déclarant que ces causes de nullité ne seront pas
admises? Mais alors la fraude et les passions auraient
cru avoir dans la loi même un litre d’impunité. Les
circonstances peuvent être telles que la volonté de
celui qui a disposé n’ait pas été libre ou qu’il ait été
entièrement dominé par une passion injuste. C’est la
sagesse des tribunaux qui pourra seule apprécier ces
faits et tenir la balance entre la foi due aux actes et
l'intérêt des familles. Ils empêcheront quelles ne
soient dépouillées par les gens avides qui subjuguent
— 152 —
les mourants ou par l’effet d’une haine que la rai-
son et la nature condamnent. » (Locré, t. II, XIV,
p. 10.)
2° La jurisprudence a suivi en tout point la doctrine
soutenue par l’illustre orateur; les tribunaux ont eu
maintes fois des cas semblables à juger, et toujours ils
ont écarté la demande en nullité intentée contre les
dispositions faites par un individu sous l’empire d’une
passion, sauf cependant lorsque l’exaltation a été telle
qu'elle a complètement aveuglé la raison du disposant,
auquel cas iis ont fait application de l’article 901.
(Colmar, 18 août 1841 ; Liège, 18 mars 1843; Agen,
7 mai 1851.)
La réduction d’un légitimaire à sa portion réservée,
des expressions dures et ironiques ne sont pas des mo-
tifs suffisants pour faire annuler un testament ou une
donation. (Lyon, 25 juin 1816; Angers, 17 août 1824.)
On voit cependant par là que l'action ab irato, qui
n’est pas expressément conservée par le Code, ne
doit être admise que lorsqu’il résulte des dispositions
elles-mêmes quelles ont été écrites sous l’inspiration
d’une colère ou d’une haine tellement violente que le
disposant n’a point su ce qu’il faisait en accomplissant
l’acte. On pourra, du reste, d’autant mieux exercer
cette action qu’il rfy avait point d’inimitié entre le tes-
tateur et l’héritier légitime.
Mais elle ne saurait être intentée dans le cas, par
exemple, où un père, qui a eu un procès avec son
gendre pour des intérêts pécuniaires, ne fait aucune
disposition en faveur de ce dernier et de sa femme,
tandis qu’il avantage ses autres enfants. C’est ce qui
—
153
—
a été jugé par un vieil arrêt de la Cour de cassation
du 3 floréal an XII.
II. Et reur, dol, fraude, violence, captation, sug-
gestion. — Il ne suffit pas, pour être capable de dis-
poser, d’être en possession de scs facultés ; il faut, en
outre, que l'esprit soit dégagé des influences extérieures
qui lui enlèvent sa liberté.
1° Nous ne nons étendrons pas sur l’erreur, le dol
et, d'une manière générale, les causes qui vicient les
contrats, annulent également les testaments; les dona-
tions sont des contrats, et dès lors elles sont régies
par les dispositions générales des obligations conven-
tionnelles. Qu'il nous suffise de savoir qu’en ce qui
concerne l’erreur en particulier, il faut, pour qu’il y ait
annulabilité, qu'elle ait été la cause déterminante de
la disposition.
2° Quelle doctrine devons-nous admettre en ce qui
concerne la suggestion et la captation? Et, d’abord,
qu’entend-on par ces mots?
La suggestion consiste à user de l’influence que l’on
a sur l'esprit d’une personne pour lui inspirer des réso-
lutions qu'elle n’aurait pas prises elle-même; la cap-
tation consiste à s'attirer la bienveillance d’une per-
sonne et, après y être parvenu, d’obtenir d’elle des
avantages dont la cause unique est dans l’attachement
qu’on a su lui inspirer.
En Droit romain, la suggestion et la captation
n’étaient considérées comme des causes de nullités
que lorsqu'elles prenaient le caractère de manœuvres
frauduleuses. Un titre du Digeste et du Code : Si quis
aliquem testari prohibueril vel coegerit, nous in-
—
154
—
dique combien la loi romaine était sévère pour ceux
qui entravaient par une contrainte physique ou morale
la liberté de tester.
D’après la fameuse ordonnance de 1735, le caractère
de fraude semble ne pas être exigé, et la captation et
la suggestion suffisent sans une autre aggravation pour
motiver pleinement l’annulabilité du testament; l’ar-
ticle 47 de cette ordonnance, après avoir déterminé la
sanction des diverses inobservances de la loi, dispose,
en effet, ainsi qu’il suit : « Sans préjudice des autres
moyens tirés de la suggestion et de la captation des-
dits actes. » On avait vu dès lors se produire des
scandales et des abus de toutes sortes : la mémoire du
plus honnête était indignement outragée, la moralité
du plus vertueux attaquée dans des procès odieux et
injustes. (Ricard, part. II, ch. I.
—
Furgole, ch. v,
sect. III.)
Pour remédier à un pareil état de choses, les rédac-
teurs décidèrent de ne point admettre les intéressés
à prouver que la disposition n’a été faite que par
haine, suggestion ou captation. Mais l’un d’entre
eux lit observer qu’une pareille disposition , si elle
obviait à un inconvénient, à un danger, en créait
un autre en donnant libre carrière à ceux qui vou-
laient se servir de la suggestion et de la captation
pour arriver à s’emparer de l’esprit du testateur et se
faire ainsi attribuer des biens auxquels ils n’avaient
aucune espèce de droit. Dès lors on tomba d’accord
pour effacer cet article du Gode, et on décida que les
tribunaux auraient pleins pouvoirs pour juger quand
est-ce qu’il y a ou non suggestion et captation. Mais
—
155
—
les juges ne doivent prononcer la nullité d’un testa-
ment qu’avec une extrême réserve; ils doivent avant
tout s’assurer que les intrigues ont tellement boule-
versé son intelligence, son cœur, quelles ont inspiré
au disposant des volontés toutes différentes de celles
qu’il aurait eues s'il avait été livré à ses propres inspi-
rations.
Dans ce cas, comme lorsqu’il est question des dona-
tions, c’est par les principes sur le dol et sur la fraude
qu’il faut apprécier l’influence que peut avoir soit la
suggestion, soit la captation, sur le sort des dispositions
gratuites, ainsi que le font observer MM. Toullier, t.V,
n° 713; Grenier, t. I, n° 143, dont la doctrine est
appuyée par la jurisprudence de plusieurs arrêts.
(C. Cass. Req., 4 mars 1824; Colmar, 18 août 1841;
Liége, 18 mars 1843.)
Cependant, certains auteurs avaient prétendu qu’une
donation ne pouvait être annulée pour cause de cap-
tation et de séduction, et voici les raisons qu’ils eu
donnaient : Le donateur qui fait une libéralité tout
en dépouillant ses héritiers se dépouille aussi lui-
même; or, la simple raison suffit pour démontrer que
l’homme, suivant l’inclination de sa nature, est peu
porté à se dépouiller de son vivant en faveur d’une tierce
personne, quels que soient souvent les services rendus.
A cela nous pouvons répondre que s’il est vrai qu’un
donateur se dépouille difficilement pour un tiers, ce-
pendant il peut parfaitement se faire que par ruse,
séduction, détours frauduleux, on parvienne à se rendre
tellement maître de la pensée d’une personne qu’on lui
fera faire aisément des donations auxquelles elle n’au-
—
156
—
rait point consenti sans ces sourdes menées, et cela
avec d’autant plus de facilité que l’esprit du donateur
sera plus faible, plus ignorant et peu sagace. Toutefois,
nous devons reconnaître, pour rester dans la vérité,
qu’une séduction aura plus d’effet sur un testateur, qui
ne dispose que pour le temps où il ne sera plus, que
sur un donateur qui se dépouille actuellement d’une
manière irrévocable, se privant ainsi de ce qui peut
embellir son existence et lui procurer les agréments de
la vie.
Jusqu'ici nous avons parlé du testament d’une ma-
nière générale; mais en sera-t-il du testament olographe
comme de tout autre testament? Il semble que non,
car la confection de l’acte émane tout entière du tes-
tateur et laisse dès lors bien moins de prise à la séduc-
tion. Quoi qu’il en soit, nous devons décider, comme au
cas des donations, que la possibilité existe et peut être
même fréquente; dès lors la nécessité de la preuve de
la captation doit être admise, pourvu toutefois qu’elle
prenne le caractère de fraude dont nous avons parlé.
La doctrine décide, avec la majorité des arrêts,
que les faits de captation ou de suggestion allégués
contre un testament ne sont à vrai dire que des faits de
dol et de fraude (Toullier, t. V, p. 713 ; Marcadé, sur
l’art. 901, n° 4; Troplong, t. Il, n
05
489 et suiv. —
Cass., Req. 4 mars 1824); dès lors la preuve en doit
être admise comme elle l’est pour tous les autres actes,
et cela malgré le silence du Gode, qui ne dit pas
d’une façon formelle si les faits de séduction sont
admis contre les testaments.
Les tribunaux pourront donc admettre qu’un indi-
—
157
—
vidu a été par dol ou violence empêché de tester. Dans
ce cas, celui qui a mis obstacle aux dispositions testa-
mentaires doit être condamné à des dommages-inté-
rêts envers la personne en faveur de laquelle le défunt
aura disposé. Cependant, la Cour de Cassation n’appuie
pas cette doctrine, et se trouve ainsi en désaccord
avec les solutions admises par la plupart des auteurs.
(C. Cass. 29 avril 1824.)
CHAPITRE III
PERSONNES QUI, PAR SUITE D'UNE CONDAMNATION, SONT
EN ÉTAT D’INTERDICTION LÉGALE.
§
1
.
Dans tous les temps et dans toutes les législations,
la privation des droits civils a été attachée comme
peine à certaines condamnations qui, par leur gravité,
ne permettent pas d’admettre le coupable à participer
aux prérogatives accordées aux autres citoyens.
En droit romain, comme dans notre ancien droit,
ceux qui étaient condamnés à la peine capitale ou au
bannissement perpétuel étaient frappés de mort civile.
La mort civile, d’après la définition qu’en donne
M. Mourlon (t. I, titre II), est une fiction légale, en
vertu de laquelle un homme vivant était, quant à cer-
tains droits, réputé mort aux yeux de la société. On
sent combien était rigoureuse une pareille déchéance.
— 158 —
Le malheureux, frappé par une telle condamnation,
était, à vrai dire, séquestré du reste des humains, en
un mot, de la vie elle-même ; ils ne conservaient d’au-
tres droits que certains droits naturels, le droit aux
aliments, par exemple. Une controverse s’était élevée
entre certains auteurs sur le point de savoir s’il ne
fallait pas ranger parmi les droits naturels les libéra-
lités entre-vifs qui dérivent du droit des gens.
M. Merlin, procureur général à la Cour de Cassation,
au moment où cette controverse agitait l’opinion des
jurisconsultes, la reproduisit, et son talent alla jus-
qu’à faire décider par la Cour souveraine (req. 1
er
août
1811) que les morts civilement pouvaient faire une
donation ; M. Duranton le soutint également (t. I,
n° 262) ; mais la plupart des auteurs, suivant l’opinion
de Ricard, adoptèrent une doctrine absolument op-
posée, d’accord, d’ailleurs, avec la plupart des anciens
Parlements. (Ricard, chap. III, sect. IV, n° 236.)
Malgré toutes les bonnes raisons exposées par
M. Merlin {Quest., V° Testant., § 3 bis), il serait diffi-
cile de ne pas se prononcer pour la négative. On ne
conçoit pas, en effet, qu’un mort civilement puisse
jouir d’une des plus belles prérogatives du droit de
propriété, le droit de disposer un acte entre-vifs. Du
reste, cette opinion est confirmée d'une maniére ex-
presse par l’article 25, 3
e
alinéa. R y est dit : « Il (le
mort civilement) ne peut ni disposer de ses biens en
tout ou en partie, soit par donation entre-vifs, soit
par testament ; ni recevoir à ce titre, si ce n’est pour
cause d’aliments. »
—
159
—
§
2.
Tel a été l’état de la doctrine jusqu a la loi du 8 fé-
vrier 1850. Cette loi dispose que la mort civile ne
résulterait plus, à l’avenir, des condamnations à la
déportation. Enfin, la loi du 31 mai 1854 a compléte-
ment aboli la mort civile, et l’a remplacée par une
triple incapacité de disposer par donation ou testament
et de recevoir à ce titre, si ce n’est pour cause d’ali-
ments. Elle édicte également la nullité du testament
fait même en temps de capacité.
E — Comme on le voit, l’incapacité de disposer et
de recevoir par donation ou par testament est main-
tenue dans la loi de 1854 : le motif en est en ce que
l’incapacité qui frappe le condamné à une peine afflic-
tive perpétuelle est fondée sur des raisons d’ordre
public, d’intérêt général ; c’est, comme le fait remar-
quer fort bien M. Demolombe, une indignité plutôt
qu'une incapacité proprement dite (t. I, p. 216).
Toutefois, ainsi qu’il résulte de l’article 4, le gou-
vernement pourra relever le condamné de tout ou
partie des incapacités prononcées par l’article 3 de
celte même loi ; dans ce cas, il pourra, suivant la
décision de l’autorité, disposer par donation ou par
testament.
Nous avons dit que le testament fait par le con-
damné est nul, alors même qu’il a été fait en temps
de capacité. (Loi 1854, art. 3.) Celle nullité s’expli-
que aisément ; pour tester valablement, il faut être en
pleine possession de ses droits au moment de la con-
—
160
—
fection de l’acte; il faut, de plus, que le testateur ait la
capacité de droit au moment du décès. Or, au moment
où commence l'exécution de la condamnation, la dé-
chéance édictée par la loi commence aussi; il est donc
incapable au moment de sa mort; dès lors, le testa-
ment sera nul.
Mais il en est tout autrement des donations. Celles
faites en temps de capacité, c'est-à-dire avant toute
condamnation, restent valables, parce que la capacité
s’apprécie au jour du contrat, et qu’à ce moment-là le
donateur n’a encore encouru aucune déchéance, et
que, d’autre part, l’incapacité résultant de la condam-
nation ne saurait rétroagir.
II. — Jusqu’à présent nous nous sommes placé
dans l’hypothèse où un individu est condamné con-
tradictoirement par un arrêt définitif; mais quid s’il
est condamné par contumace? Les mêmes règles sont-
elles applicables? Elles ne le sont qu’après les cinq
années qui suivent l’exécution par effigie. (Loi du
31 mai 1854, art. 3, 3
e
alinéa.)
Que faudra-t-il décider s'il s’agit de condamnation
aux travaux forcés
à
temps, à la détention ou à la
réclusion ? D’après l’article 29 du Code Pénal, ils
sont eu état d’interdiction par le fait même de la con-
damnation. Mais seront-ils atteints par les mêmes
incapacités que les condamnés à une peine afflictive
perpétuelle? Évidemment non. La plupart des auteurs,
cependant, parmi lesquels nous citerons Boitard (Préc.
de proc. civ., p. 134, n
os
87 et 88), Troplong (t. II,
n° 525), Duranton
(t.
VIII, n° 181), soutiennent que
l’interdiction légale édictée dans l’article 29 du Code
—
161
—
Criminel renferme une incapacité générale. D’autres
jurisconsultes, appuyés par une jurisprudence cons-
tante, admettent l'opinion opposée (Ricard, des Donat.
part. I, ch. III, sect. IV, n
os
233 et suiv. — Merlin,
V° Test. 31 bis. — Hélie et Chauveau, t. I, p. 211 ;
Zachariæ, t. V, p. 20. — Pour la jurispr. Rouen,
18 déc. 1822; Nimes, 16 juin 1835). C’est aussi celle
que nous adoptons. On ne saurait, en effet, placer
sur la même ligne, dans une même situation juri-
dique, les condamnés à temps et les condamnés à
perpétuité. Y a-t-il d’ailleurs un seul texte qui les
frappe d'une pareille incapacité? Du reste, quels sont
les effets de l’interdiction légale? Elle enlève au con-
damné l’exercice de ses droits, par conséquent la ges-
tion et l’administration de ses biens, et le met en
tutelle. Mais quoique interdit, il pourra valablement
reconnaître un enfant naturel, se marier et tester,
comme nous l’avons du reste démontré, car ce sont là
des droits essentiellement personnels, n’admettant
point d’intermédiaire, et dont la jouissance et l’exercice
ne pourront, dès lors, lui être enlevés.
Cette solution puise encore une nouvelle force dans
les principes du Droit romain et de l’ancienne juris-
prudence : il était, en effet, de règle dans les deux
législations, que l’incapacité de tester n’était attachée
qu'à certaines condamnations qui, en anéantissant
l’état du condamné, emportaient la mort civile. (Fur-
gole, ch. VI, sect. II, n° 192. Ricard, des Donat.,
n° 253 et suiv. Pothier, des Donat. et Test., n° 25.)
R n’est pas possible, d’ailleurs, comme le fait ob-
server un auteur recommandable, M. Dalloz (Des
a
\\
—
162
—
dispositions entre-vifs et testamentaires, lit. II,
chap.
II,
sect. I, art. 4), qu’une législation moderne,
marquée au coin des idées de civilisation et d'huma-
nité, ait voulu se montrer plus barbare et plus sévère
que les peuples primitifs, et n’établir aucune diffé-
rence entre deux culpabilités si différentes : l’une, en-
traînant une peine perpétuelle; l’autre, une peine
simplement temporaire.
Sans doute, les partisans de l’opinion opposée font
valoir des arguments d’analogie; mais nous ne sau-
rions les admettre, car l’interdiction légale repose sur
des motifs spéciaux, et tout différents de ceux qui
servent de fondement à l’interdiction judiciaire.
Ainsi donc, d’après nous, la loi de mai 1854 n’a
pas la portée que certains interprètes lui ont donnée,
et il doit demeurer acquis que l’incapacité de tester
n’est encourue que par les condamnés à une peine
afflictive perpétuelle.
—
163
—
TITRE II
PERSONNES ABSOLUMENT INCAPABLES DE DONNER,
MAIS QUI PEUVENT TESTER
CHAPITRE PREMIER
MINEURS AU-DESSUS DE SEIZE ANS
SECTION PREMIÈRE
Notions générales.
Nous ferons, au début de cette matière, une obser-
vation générale qui nous est inspirée par M. Delvin-
court (t. Il, p. 198). Quand le Code dit que le mineur
doit être parvenu à l’âge de seize ans, il faut entendre
seize ans accomplis; sans quoi on ne pourrait pas dire
que le mineur est arrivé à l’âge de seize ans, puisqu’il
n’en aurait que quinze et quelques mois.
I. — Quelle est la raison par laquelle le législateur
accorde à certaines personnes le droit de disposer par
testament et leur refuse la faculté de disposer par
acte entre-vifs? A première vue une pareille distinction
étonne ; elle n’a pourtant rien d’illogique quand on se
—
164
—
rappelle ce qu’est un testament, ce qu’est une dona-
tion : Par la donation le donateur se dépouille ac-
tuellement et irrévocablement de ses biens, tandis que
par le testament le testateur ne se dépouille que d’une
manière révocable et pour l’avenir.
II. — Dès lors on comprend que l’incapacité de
tester emporte toujours l’incapacité de donner, sauf le
cas particulier dont il sera question, et qui est relatif
au mineur au-dessous de seize ans; mais la récipro-
cité n’est point vraie; l’incapacité de donner n’est pas
toujours corrélative de l’incapacité de tester. Donc, les
incapables de disposer par acte entre-vifs doivent être
nécessairement plus nombreux que les incapables de
disposer par testament.
SECTION II
Droit romain. — Ancien droit.
I. — En Droit romain les mineurs qui étaient pu-
bères étaient en principe capables d’aliéner; mais ce
n'était point une capacité complète ; et ce n’est qu a
vingt-cinq ans, comme nous l’avons vu, qu’ils jouis-
saient entièrement de la faculté de disposer suivant
leur volonté.
Quant au testament, leur capacité ne recevait point
de restriction.
Les fils de famille pouvaient seulement disposer de
leur pécule castrense et quasi castrense, comme s’ils
avaient été sui juris; mais en ce qui concerne le
pécule adventice, il ne pouvait constituer aucune es-
—
165
—
pèce de droit sur lui, sauf cependant le cas où le père
n’avait pas l’usufruit légal.
II. — Dans notre ancien Droit on suivait à peu près
les principes de la loi romaine pour tout ce qui était
relatif aux donations ; mais pour ce qui regarde les tes-
taments, les règles établies dans les Coutumes étaient
singulièrement variées.
D’une manière générale, elles n’admettaient point
l’exercice du droit de tester à l’âge concédé par le
Droit romain, et, entre elles, elles différaient encore.
L’article 293 de la Coutume de Paris s’exprime ainsi :
Pour lester des meubles-acquêts et conquêts-immeu-
bles, il faut avoir accompli l'âge de vingt ans;
et pour tester du quint des propres il faut avoir
accompli l’âge de vingt-cinq ans. La Coutume, re-
produisait la même fixation d’âge (vingt ans pour la
libre disposition des meubles et acquêts, et à vingt-
cinq pour la libre disposition des propres et pour la
capacité de faire une donation).
D’autres Coutumes fixaient l’époque de la capacité à
des âges différents ; mais le cadre de notre sujet ne
nous permettant pas d’examiner les diverses distinc-
tions et les diverses règles par lesquelles chaque Cou-
tume essaie de justifier sa solution, nous nous con-
tenterons d’indiquer simplement que les principales
divergences provenaient de ce que les unes, en par-
ticulier pour la capacité de tester, distinguaient entre
les hommes et les femmes, d’autres entre les acquêts
et les propres, d’autres encore entre les meubles et les
immeubles.
—
166
—
SECTION III
Droit actuel.
I. — Le Code, sagement inspiré, a fait cesser toutes
ces oppositions, tous ces systèmes, en édictant une loi
uniforme et générale, sans distinction de biens ni de
personnes.
La distinction déjà établie par les lois romaines,
entre les époques auxquelles on peut donner et tester,
a été reproduite par nos rédacteurs.
IL — En ce qui concerne les donations, ils ont cru
devoir, à raison de l’irrévocabilité et du dévestisse-
ment actuel quelles produisent, reculer jusqu’à vingt
et un ans l’époque à laquelle il sera permis de dis-
poser de cette manière, sauf l’exception de l’article
1398 dont nous avons donné l’explication. Ils étaient
d’autant plus fondés à ne pas augmenter la capacité
du mineur jusqu’à cette époque, qu’ils jugeaient avec
raison qu’avant cet âge son intelligence et son juge-
ment ne sont pas encore suffisamment développés pour
lui permettre un acte d’une aussi grande importance.
Ainsi donc la donation entre-vifs est, en principe, en-
tièrement interdite au mineur :
III. — Quant à la faculté de tester il en est tout
autrement; elle est concédée au mineur jusqu’à con-
currence de la moitié de ses biens, comme il résulte
de l’article 904. En lui accordant ce droit, le législa-
teur a voulu lui donner le moyen de récompenser les
services rendus, les soins dévoués et fidèles, l’affection
enfin dont il a été entouré; et, comme le dit fort bien
— 167 —
M. Mourlon (t. II, p. 271), « parmi les moyens d'at-
teindre ce but il a dû naturellement choisir le moins
compromettant. » Or, comme nous l’avons déjà fait
voir, rien n’est plus dangereux que le droit de donner;
celui de tester n’a plus les mêmes inconvénients, puis-
qu’il laisse au testateur la pleine propriété de ses
biens sur lesquelles aucun droit ne peut naître jus-
qu’après sa mort. C’est la raison par laquelle on ac-
corde au mineur le droit de disposer par testament.
Mais cette faculté est restreinte dans son étendue,
ainsi que nous l’avons pu voir, d’après les termes
mêmes de l’article 904. La raison, comme nous l’avons
déjà exposé, est en ce que le législateur n’a pas jugé
l’esprit et le jugement assez formés pour concéder au
mineur une capacité pleine et entière.
Il lui laisse la libre disposition de la moitié de ce
dont il pourrait disposer, s’il était majeur, et non de la
moitié de la totalité. Il y a là une distinction qui est
importante. Quelle est, en effet, la quotité des biens
dont peut disposer un majeur à sa mort?
De tous, s’il n’y a pas d’héritiers réservataires; s’il
en laisse, il ne peut disposer que de la moitié de la
moitié, de la moitié du tiers ou du quart, c’est-à-dire
du quart, du sixième ou du huitième, suivant les dis-
tinctions établies dans les articles 913 et 915.
En est-il ainsi alors même qu’il meurt majeur
de vingt et un ans ?
Évidemment oui, et nous allons en donner la raison.
Au moment où il a testé, il n’avait point une capacité
—
168
—
entière ; or, pour qu’un testament soit valable, il faut
que le testateur soit capable au moment du décès, bien
entendu, mais aussi au moment de la confection de
l’acte.
Qu’importe, dès lors, qu’il ait une capacité entière
en mourant, s’il n’a qu’une demi-capacité au moment
où il établit ses dispositions'? Le testament ne vaut donc
que dans les limites de l’article 904, car cet article
vise une question de capacité et non de disponibilité.
Quid du mineur émancipé? Est-il soumis
aux mêmes règles?
I.— Il n’y a point de texte qui fasse entre le mineur
émancipé et celui qui ne l’est pas une distinction quel-
conque; aussi faut-il leur accorder les mêmes droits
comme les frapper des mêmes incapacités. (Aubry et
Rau, t. vu, p. 19. —Demolombe,XVIII, 410.) Celte
assimilation se comprend facilement si l’on observe
que le mineur émancipé ne peut l’être qu’à dix-huit
ans, quand il n’a plus ni père ni mère; or, il peut tes-
ter à l’âge de seize ans révolus.
D’ailleurs, M. Delvincourt remarque très-judicieuse-
ment que le mineur orphelin ne reçoit l’émancipation
que de l’avis du Conseil de famille ; or, ce Conseil
n'étant composé que des parents du mineur, pourrait
lui refuser l’émancipation, dans le but de l’empêcher de
disposer. (T. II. Notes, p. 198.)
II. — Nous avons ici à résoudre deux questions qui
présentent un grand intérêt : il s’agit de savoir s’il y
a, quant aux limites de la capacité du mineur,
—
169
—
exception en faveur du mariage et si le mineur
marié peut donner par testament à son conjoint
tout ce qu’il pourrait donner s’il était majeur? Les
considérations que nous avons précédemment établies
à ce sujet et que nous nous contentons de rappeler,
serviront de complément à la la discussion qui suit.
Et d’abord nous avons à examiner si la dérogation
à l’article 903 s’étend ou non aux donations pendant
le mariage.
Les partisans de l’affirmative argumentent des arti-
cles 1091 et 1096, qui ne font point de distinction entre
l’époux majeur et l’époux mineur; d’un autre côté,
ainsi que le décide le premier alinéa de l’article 1096,
les donations sont toujours révocables contrairement à
la règle générale. Dès lors, le donateur ayant toujours
en son pouvoir le bénéfice de la révocabilité ne court
plus les dangers auxquels il est exposé quand il est
soumis au principe contraire; l’empêchement à l’ex-
tension des libéralités, l’irrévocabilité, venant à dispa-
raître, il semble qu’il y a lieu de permettre les dona-
tions entre époux pendant le mariage. On argumente
dans le même sens de l’article 1094, ainsi conçu :
«L’époux pourra, soit par contrat de mariage, soit
pendant le mariage, pour le cas où il ne laisserait point
d’enfants ni descendants, disposer en faveur de l'autre
époux, en propriété, de tout ce dont il pourrait dispo-
ser en faveur d’un étranger, etc... »
Cependant, l’opinion contraire est plus généralement
adoptée, et c’est aussi celle qu’il nous semble préféra-
ble d’admettre. Quel est, en effet, le motif de la déro-
gation à l’article 903? Le législateur tient à favoriser
— 170 —
le mariage en permettant aux époux mineurs d’user
d’une des meilleures prérogatives des époux majeurs,
celle de se faire des libéralités réciproques, libéralités
qui souvent sont les motifs déterminants qui décident
d’un mariage. Mais si cette dérogation a sa raison
d’être, s’explique en ce qui concerne les conventions
matrimoniales, trouve-t-on les mêmes motifs de déci-
der en ce qui concerne les donations pendant le ma-
riage? Nous penchons à ne pas le croire, le législateur
a eu toutes les bonnes raisons de penser combien ce
droit serait funeste aux époux mineurs ; indépendam-
ment des séductions, de l'inexpérience et de la légè-
reté de leur âge, qui suffisent à justifier celte solution,
nous devons ajouter que l’article 1095 est limitatif et
qu’il n’est point possible d’en étendre les dispositions;
la loi, du reste, vise les situations normales, et non les
exceptions; lorsqu’elle parle des époux pendant le ma-,
riage, elle les suppose, bien entendu, dans les condi-
tions exigées par la loi au point de vue de la capacité,
et ce n’est qu’en dehors d’elle qu'elle édicte expressé-
ment ses dispositions.
Ainsi donc, la dérogation à l’article 903 ne s’étend
pas aux donations pendant le mariage.
Mais que faut-il répondre à la première des ques-
tions précitées? Y a-t-il, quant aux limites de la ca-
pacité du mineur, exception en faveur du mariage?
A s’en tenir aux termes de l’article 1094, l’affirma-
tive devrait être adoptée, car, ainsi que nous l’avons fait
remarquer précédemment, cet article ne distingue point
entre les époux majeurs et les époux mineurs, et sem-
ble en cela les autoriser à disposer au profit l’un de
— 171 —
l’autre de tout ce qu’ils pourraient donner à un étran-
ger.
Mais telle n’est pas la solution que nous croyons
devoir admettre. Il suffit, en effet, de combiner les ar-
ticles 903 et 904 pour voir que la forme testamentaire
est la seule manière de disposer qui appartienne au
mineur de plus de seize ans, et encore ne peut-il dis-
poser ainsi que dans les limites indiquées dans l’ar-
ticle 904.
En second lieu, le mineur marié peut-il donner par
testament à son conjoint tout ce qu’il pourrait donner
s’il était majeur?
La solution de cette question se rattache à la précé-
dente, et les raisons de douter comme de décider sont
les mêmes.
Un mineur a disposé de plus de la moitié de ses
biens, il meurt après sa majorité sans avoir révo-
qué son testament, la disposition doit-elle valoir
pour le tout ou pour la moitié seulement ?
Il ne faut pas, dit Merlin (Rép.,V° Test., sect. I, § 6),
confondre les règles concernant la capacité personnelle
de tester avec les règles concernant la disponibilité des
biens, et autant il est certain que, dans l’application
des premières, il faut s’attacher avant tout à l’époque
du testament, autant il est certain que, dans l’applica-
tion des secondes, on ne doit s’arrêter qu’à l’époque du
décès du testateur. Il s’agit donc de savoir si l’arti-
cle 904 vise une question de capacité ou d’incapacité,
ou une question de disponibilité ou d’indisponibilité;
en d’autres termes, il faut se demander si l’article 904
offre les caractères d’un statut personnel ou ceux d'un
— 172 —
statut réel. C’est la difficulté de bien faire cette diffé-
rence qui a donné lieu à une controverse à laquelle ont
pris part des jurisconsultes éminents.
D’après une opinion, l’article 904 serait relatif à la
disponibilité des biens plutôt qu a la capacité de la
personne. Car, dit-on, la faculté de lester est une et
indivisible : on ne saurait admettre, en effet, qu’une
personne soit habile à tester pour une moitié, et ne le
soit pas pour l’autre. On est nécessairement ou capable
ou incapable de tester, comme on est nécessairement ca-
pable ou incapable de s’obliger ; ainsi donc, si le mineur
eût décédé en minorité, son testament devrait être réduit
à la moitié de la portion disponible de ses biens; mais
on suppose qu’il est mort en majorité; or, il est de prin-
cipe (et les articles 921 et 922 du Code Civil viennent
le confirmer) que l'époque du décès du disposant est la
seule époque à considérer pour déterminer si ces dis-
positions doivent être réduites et à quelle quotité elles
doivent l’être; le testament recevra donc son plein et
entier effet.
Il est certain, d’ailleurs, que le droit des héritiers
appelés à succéder n’est fixé qu’au moment de la mort
du testateur; car le testament étant essentiellement
révocable, le testateur peut changer ses dispositions
jusqu’à ses derniers moments; jusqu’au décès il n’y a
donc qu’une simple espérance pour les héritiers. Il est
vrai qu'aux termes de l’article 904 le mineur au-dessus
de seize ans ne peut disposer que de la moitié seule-
ment de ce dont, majeur, il pourrait disposer; mais
cet article, comme nous venons de le voir, vise le cas
où le mineur est décédé en minorité; il en sera tout au-
— 173 —
trement s’il meurt majeur; car alors, étant pleinement
capable, s’il fait une institution universelle de tous ses
biens, son testament devra être valide, car il est censé
l’avoir confirmé en majorité et y avoir apposé le sceau
de ses dernières volontés, par cela seul qu’il ne le ré-
voque point.
Celte opinion, qui a été soutenue par des juriscon-
sultes éminents, a été fortement critiquée par d’autres
auteurs, et voici comment ces derniers argumentent
pour la réfuter.
L’article 904, disent-ils, n’est qu’une dérogation,
qu’une exception ; l’incapacité du mineur est la règle;
la capacité, l’exception ; il s'ensuit qu’il reste dans
l’incapacité absolue de disposer de la moitié des biens
dont, majeur, il pourrait disposer.
L’article 904 est placé sous la rubrique du cha-
pitre II : « De la capacité de disposer ou de recevoir par
donation ou testament », et non dans le chapitre in-
titulé : « De la portion de biens disponibles. » Ce qui
prouve bien qu'il y a là une véritable question de
capacité.
Du reste, les termes mêmes de l’article le prouvent
surabondamment. « Le mineur, y est-il dit, parvenu
à l’âge de seize ans, ne pourra disposer que par tes-
tament. »
D’un autre côté, qu’importe qu’il meure majeur?
Est-il pleinement capable au moment de la confection ?
Non, puisqu’il n’y a qu’une demi-capacité ; donc le
legs universel qu’il aura pu faire ne peut recevoir son
entier effet.
De plus, si nous consultons les travaux prépara-
— 174 —
toires du Code, nous trouvons un nouvel argument à
l’appui de cette opinion. Voici en quels termes étaient
primitivement rédigés les articles 303 et 90-4. « Le
mineur émancipé ne pourra aucunement disposer. »
(Art. 303). — « Le mineur émancipé ne pourra dis-
poser que par testament. » (Art. 904.) La conclusion
s’impose. M. Tronchet, de son côté, s’exprime de la
façon qui suit : « Les donations ne doivent pas être
permises au mineur, parce qu’elles le dépouillent sans
retour; il convient aussi de limiter en lui la faculté
de tester.» Le consul Cambacérès alla encore plus loin
dans cette voie, et la commission à laquelle furent ren-
voyés les deux projets donna satisfaction au vœu ex-
primé par les rédacteurs du Code.
Telle est la solution aujourd’hui admise par la plu-
part des auteurs, et à laquelle la jurisprudence vient
prêter l’appui de son autorité. (Delvincourt, t. II,
p. 199; Merlin, Répert., V° Test., p. 642; Troplong,
n° 591. Bordeaux, 20 mars 1834 ; Req., 25 juin 1824.)
CHAPITRE II
FEMMES
MARIÉES
SECTION PREMIÈRE
Droit romain. — Ancien droit.
I. —Les femmes, dans l’ancien Droit romain, étaient
soumises à une tutelle perpétuelle. Elles sortaient de la
tutelle du père pour entrer sous celle du mari ; cepen-
— 175 —
dant, la puissance qui pesait sur elles ne leur enlevait
pas la participation au Droit civil; aussi, bien quelles
fussent incapables de disposer, pouvaient-elles néan-
moins bénéficier des libéralités à elles faites par dona-
tion ou par testament.
II. — 1° En Droit coutumier la femme était pleine-
ment capable de disposer par testament; c’est là un
Droit personnel qui n’admet point le concours d’un
tiers. Quelques auteurs, pourtant, la déclaraient inca-
pable de tester sans l’autorisation du mari. Certaines
Coutumes lui refusaient également ce droit. Ce sont
les Coutumes de Bourgogne, de Nivernais, d’Artois,
du Bourbonnais, du Quercy; mais ce n’était là, dit
Lebrun, qu’une exception empruntée au Droit romain.
2° Quant aux donations, son incapacité était absolue,
et on comprend aisément qu’il en fût ainsi : on ne
pouvait permettre qu'elle s’appauvrît inconsidérément
au préjudice de la société conjugale et surtout des in-
térêts des enfants, comme le dit fort bien Ricard :
« Chez nous les donations ne peuvent être faites
par les femmes mariées, sans qu’elles soient auto-
risées de leur mari, quand même la donation contien-
drait la clause de rétention d’usufruit, parce qu’il
importe au mari que sa femme ne s’appauvrisse pas
et qu'elle conserve tous ses biens tant que le mariage
durera. » (Traité des Donat., t. 1, chap. III, sect. v,
p. 85.) Cependant, le Parlement de Bordeaux décidait
qu’elle pouvait disposer, par acte à titre gratuit, de ses
biens paraphernaux, sans le consentement du mari.
(Arrêt, 27 juin 1662.)
Sous la Coutume de Bourgogne, comme nous l’avons
— 176 —
indiqué, elle ne pouvait disposer d’aucune façon sans
l’autorisation maritale; elle restait frappée de cette
incapacité, alors même qu'elle était séparée de corps,
et qu'elle avait fixé son domicile dans un pays dont la
Coutume permettait à la femme de tester sans auto-
risation.
Voici comment s’exprime la Coutume de Liége (ch. I) :
L’homme par mariage était, fait maître et seigneur
absolu de tous biens immeubles et meubles, crédit
et actions de la femme, et encore de tous les biens
acquis durant le mariage, et avait puissance d’en
disposer entre-vifs comme des siens propres, sans
aveu ni consentement de la femme.
D’une manière générale, en Droit coutumier, la
femme mariée était incapable de faire une donation ;
il pouvait être fait exception à cette règle générale par
le mari, au moment du contrat de mariage, s’il décla-
rait autoriser la femme à disposer de ses biens comme
elle l’entendrait.
SECTION II
Droit actuel.
I. — Passons à notre Droit actuel. Le Code refuse aux
femmes mariées la capacité qu’elle accorde aux veuves
et aux filles majeures. En voici la raison : Permettre
à la femme de faire une donation; c’est porter atteinte
à la puissance maritale, laquelle ne se comprend plus
si la femme peut user à son gré de sa fortune; c’est
d’ailleurs lui concéder un pouvoir dangereux dont
l’abus se produirait bien vite par suite de son inexpé-
— 177 —
rience et de sa faiblesse naturelle. Comme on le voit,
ce sont les considérations tirées de l’intérêt moral au-
tant que de l'intérêt pécuniaire des époux qui nous
fournissent les motifs de cette incapacité. Il n’en sau-
rait être ainsi des filles majeures et des veuves; dé-
gagées de toute puissance, elles rentrent dans le droit
commun, et leur capacité est entière.
De ce que nous venons de dire, il résulte que si
la femme mariée ne peut disposer par donation sui-
vant son gré, elle jouira cependant de cette faculté du
moment qu’elle sera autorisée du mari ou de justice.
Voici, du reste, comment s’exprime l’article
217. « La
femme, même non commune ou séparée de biens, ne
peut donner, aliéner, hypothéquer, acquérir, à titre
gratuit ou onéreux, sans le concours du mari dans
l’acte ou son consentement par écrit. »
Avec cette autorisation la femme pourra donc ac-
complir tous les actes énumérés dans l’article. Cepen-
dant, nous devons établir une restriction en ce qui
concerne le régime dotal; dans ce régime, sauf toute-
fois les cas exceptionnels prévus dans les articles 1555
et 1556, elle ne peut disposer que de ses parapher-
naux, ainsi qu’il résulte des articles 1554 et 1560.
Quid de la femme autorisée de justice? Sa capacité
est-elle la même?
Dans le régime de communauté légale, comme sous
le régime sans communauté et le régime dotal, le
mari est administrateur et perçoit les revenus des biens
de sa femme. Elle ne pourra, dès-lors, disposer que
a
42
— 178 —
de la nue propriété, tandis qu’avec l’autorisation
du
mari elle aurait pu disposer de la pleine propriété.
D’une manière générale, l’autorisation accordée par le
juge à une femme de faire une donation entre-vifs ne
peut préjudicier aux droits du mari.
Quid de la femme séparée de biens ?
La femme séparée de biens ou mariée sous le régime
dotal, avec des paraphernaux, peut-elle, sans l’auto-
risation du mari ou de justice, disposer par donation
de son mobilier? Nous avons vu quelle était la prohi-
bition contenue dans l’article 217 : « La femme même
non commune, ou séparée de biens, y est-il dit, ne
peut donner
sans le concours du mari dans
l’acte ou son consentement par écrit. » Or, d’après les
termes de l’article 1449, la femme séparée, soit de
corps et de biens, soit de biens seulement, reprend la
libre administration et peut disposer de son mobilier
et l’aliéner, etc.
L’article 217 ne fait point de distinction entre les
meubles et les immeubles; dès lors, comment expli-
quer cette contradiction entre les deux articles? il est
certain tout d’abord que le mot disposer, contenu dans
l’article 1449, n’est pas aussi général qu’il semble
l’être; l’article 906 reproduit spécialement la prohi-
bition de l’article 217, et il n’y a point une dérogation
assez formelle dans l’article 1449 qui ne s’applique, du
reste, qu’aux aliénations à titre onéreux ; il en résulte
que la femme séparée de biens ne peut pas faire une
donation, soit mobilière, soit immobilière, sans l’auto-
— 179 —
risation de mari ou de justice. (Aubry et Rau, t. VII,
§ 648, p. 20.) Le doute provient de ce que la femme
séparée peut aliéner son mobilier, mais à titre oné-
reux. Celte matière présente toutefois des difficultés
que nous n’avons pas à élucider ici.
II. — Quant aux donations faites entre époux pen-
dant le mariage, il est hors de doute que la femme peut
disposer en faveur de son mari. D’après l’article 1096,
ces libéralités sont toujours révocables : le législateur
l’a voulu ainsi, afin d’empêcher l’influence des sèduc-
lions et aussi afin d’inviter les époux à se continuer
de bons procédés pour mériter que la donation ne soit
pas révoquée.
III. — En ce qui concerne le testament, la capacité
de la femme mariée est pleine et entière. On en com-
prend aisément la raison. C’est que la femme, en dis-
posant par testament, ne porte en rien atteinte à la
puissance maritale, puisque ses dispositions testamen-
taires n’auront d’effet, qu’après sa mort, à une époque,
par conséquent, où cette puissance n’existera plus. Nous
devons cependant faire observer que cette faculté n’em-
porte point le droit de faire une institution contrac-
tuelle. (Aubry cl Rau, t. VII, § 648, p. 20.)
—
180
—
CHAPITRE III
INDIVIDUS SOUMIS A UN CONSEIL JUDICIAIRE
SECTION
PREMIÈRE
Des faibles d’esprit
Certaines personnes, sans avoir leurs sens compléte-
ment oblitérés, peuvent néanmoins se trouver dans un
de ces états de faiblesse intellectuelle ou d’ignorance
qui les laisse exposées à des surprises ou à des erreurs
préjudiciables à leurs intérêts. Dans ce cas, il ne peut
y avoir d’interdiction complète et, ainsi que le veut
l’article 4-99, les héritiers qui la demandent seront
rejetés de leur prétention; mais les juges, par mesure de
protection, nommeront un conseil chargé d’assister les
faibles d’esprit et de faire pour eux les actes qu’ils n’ont
pu valablement accomplir eux-mêmes. Ce conseil peut
être nommé à la requête de tous ceux qui peuvent de-
mander l’interdiction, ainsi qu’il résulte de l’article 514.
Quel peut être l’effet de la nomination d’un Conseil
judiciaire sur la capacité de disposer par donation ou
par testament? Il faut établir ici une distinction entre
les donations et les testaments; voici d’abord comment
s’exprime l’article 499 : « En rejetant la demande en
interdiction, les tribunaux pourront néanmoins, si les
circonstances l’exigent, ordonner que le défendeur ne
pourra plaider, emprunter, recevoir un capital mobilier,
—
181
—
ni en donner décharge, aliéner, ni grever ses biens
d’hypothèque, sans l’assistance d’un conseil qui lui
sera nommé par le même jugement. »
I. — Comme on le voit, d’après l’article 499, les
faibles d’esprit ne peuvent aliéner; or, donner c’est
aliéner; d’un autre côté, si l’on donne au mot aliéner
le caractère d’acte à litre onéreux, nous devrons dire
que, puisque le législateur leur défend les aliénations
à titre onéreux, à fortiori leur interdira-t-on les
actes à titre gratuit. Mais le texte est formel, et il ne
peut s’élever aucun doute sur l’interprétation qu’on
peut faire.
Du reste, nous pouvons aisément justifier l’incapa-
cité de disposer entre-vifs dont sont frappés les faibles
d’esprit par une considération que nous avons fait
déjà ressortir en d’autres endroits. Par la donation, un
donateur se dessaisit actuellement et irrévocablement ;
or, il peut parfaitement advenir qu’une personne étant
faible d'esprit ne sache point résister aux obsessions et
aux séductions dont elle est entourée et qu'elle se laisse,
à vrai dire, dépouiller malgré elle; c’est pour prévenir
de pareilles intrigues que la loi, dans un esprit de sage
prévoyance et pour sauvegarder ses intérêts, lui accorde
un Conseil judiciaire. Ainsi donc, les faibles d’esprit
ne peuvent disposer entre-vifs sans l’assistance de leur
Conseil ; ils ne pourraient le faire même par contrat do
mariage et au profit de leurs futurs conjoints. (Aubry
et Rau, t. VII, § 648, p. 20.)
II. — Les mêmes motifs de décider existent-ils en ce
qui concerne les testaments? Evidemment non; le tes-
tament, par sa nature, son essence même, repousse
—
182
—
l’ingérence de tout conseil étranger ; il est l’œuvre
spontanée d’un seul; de plus, il n’est point, comme la
donation, un acte d’appauvrissement actuel et irrévo-
cable, et, en outre, il y a lieu de tenir compte des
dernières volontés d’un mourant, de les respecter et
de ne pas lui enlever enfin la seule consolation qui lui
reste, celle de disposer à son gré de sa fortune pour
ceux qui l’ont servi et aimé, consolation qui pourrait
bien lui être enlevée par les oppositions systématiques
d’un Conseil.
Au surplus, point de textes qui édictent une pareille
incapacité ; dès lors, comme les incapacités ne se sup-
pléent pas et qu’on ne peut argumenter de l’article 499
(cet article étant explicatif et les testaments n’y étant
pas spécialement désignés, on ne saurait les y com-
prendre), il faut décider, avec la majorité des auteurs,
que la seule nomination d’un Conseil ne détruit pas
la faculté de tester.
Nous devons ajouter que la nomination d’un Conseil
ne préjugeant pas la question d’imbécillité absolue, ceux
qui ont demandé la nomination seront encore admis à
prouver qu’avant le jugement le même individu se
trouve dans un état d’imbécillité complète qui le rend
incapable de donner et aussi de tester.
Il en est encore ainsi, alors même que la nomina-
tion du Conseil aurait lieu à la suite du rejet d’une de-
mande en interdiction (Aubry et Rau, t. VII, § 648,
pp. 16 et 20.)
—
183
—
SECTION II
Prodigues.
Les prodigues sont ceux qui, passant la vie dans le
désordre et la dissipation, compromettent leur fortune
par de vaines et folles profusions.
I. — En Droit romain et dans notre ancien Droit, les
prodigues étaient frappés d'interdiction, dont l’effet
était de les rendre incapables d’une façon générale.
Quel était dans les deux législations le motif détermi-
nant d’une pareille prohibition ? Pothier, dans le Traité
des Testaments, ch. III, p. 315, nous le donne. Comme
le prodigue n’est pas privé de l’usage de la raison né-
cessaire pour tester, ce n’était pas la prodigalité par
elle-même, mais l’interdiction qui le privait de la fa-
culté de lester, en le privant du droit de disposer de
ses biens; c'est pourquoi ce n’était que depuis l’inter-
diction qu’il devenait incapable de tester, en quoi il
était différent d’une personne en démence.
II. — Les rédacteurs du Code ont modifié la législa-
tion ancienne sur le prodigue en remplaçant l’inter-
diction par le Conseil judiciaire et en ne refusant pas le
droit de tester, droit parfaitement fondé, du reste. Nous
appliquerons les mêmes distinctions que nous avons
établies pour les faibles d’esprit entre la faculté de
donner et celle de tester; nous avons exposé les raisons
pour lesquelles la libre disposition des biens par testa-
ment leur était laissée; nous n’y reviendrons pas, car
ces raisons sont les mêmes ; eu un mol, toutes les solu-
—
184
—
lions admises pour les faibles d’esprit sont applicables
aux prodigues.
TITRE III
PERSONNES ABSOLUMENT INCAPABLES DE TESTER,
MAIS NON DE DONNER
SECTION PREMIÈRE
Droit romain. — Ancien Droit.
I. — En Droit romain, les individus qui n’avaient
point atteint l’âge de la puberté étaient frappés de
l’incapacité absolue de disposer par donation, et ce
n’est même qu’à vingt-cinq ans qu’ils jouissaient d’une
capacité complète.
Quant à la faculté de tester, les impubères étaient
capables, sinon de faire, du moins d’avoir un testa-
ment; c’est ce qui arrivait quand le père leur avait,
« au moyen de la substitution pupillaire, institué un
héritier dans son propre testament, pour le cas où
cet impubère, devenu sui juris par la mort du chef
de famille, décéderait avant sa puberté. » (Inst. Just.,
1. Il, t. XVI.)
Quant aux personnes alieni juris, elles étaient
—
185
—
déclarées incapables de tester par les lois et les cons-
titutions civiles, et cette incapacité était tellement ab-
solue, que même avec le consentement du paterfa-
milias, elles n’en pouvaient être relevées; elles s'éten-
daient, du reste, à toutes dispositions testamentaires :
aux legs, aux fidéicommis et aux institutions d’héritier.
Mais, ces mêmes motifs de prohibition n’existaient
point en ce qui concernait les donations entre-vifs ou à
cause de mort; aussi, était-il admis quelles pouvaient
disposer de ces deux manières sans le consentement
du père, lorsqu’il s’agissait des biens dont le père
n’avait point l’usufruit.
II. — Telles sont les règles qui ont été reproduites
en Droit coutumier. Furgole (des Donat., n° 14) nous
dit, en effet, que la faculté de tester n’a été accordée
qu’aux pères de famille par la loi des Douze-Tables,
que même elle est de droit public; voilà pourquoi les
particuliers ne peuvent point l’étendre ni y déroger,
et que la faculté de donner vient du Droit des gens;
qu’ainsi tout le monde en est capable, excepté ceux
que la loi en a exclus expressément.
Plusieurs Coutumes ont fait application de ces don-
nées, notamment la Coutume de Thionville, qui déclare
qu’en ce qui concerne l’âge requis pour tester et la
capacité du mineur à cet effet, il faut s’en reférer à la
loi romaine, qui servait de règle dans tous les cas où
la loi municipale était obscure ou muette. C’est ce qui
est établi dans un arrêt de la Cour de Metz du
14 février 1811.
Quelques auteurs avaient prétendu que le testament
du fils de famille, fait du consentement du père, vau-
—
186
—
drait au moins comme donation, à cause de mort, et
faisait valider les dispositions testamentaires; mais la
jurisprudence a repoussé cette opinion.
Dans quelques provinces de Droit écrit, le fils de
famille pouvait disposer en faveur de ses enfants, sans
la participation du père, puis en faveur de « la cause
pie », pourvu que dans ce dernier cas ce fût de son
autorité.
Dans certaines Coutumes, le fils de famille, inca-
pable de faire une disposition quelconque, obtenait ce
droit par le fait même du mariage. C’est ainsi qu’il
existait à Toulouse, à ce que rapporte Dalloz (Répert.
jurispr., V° Disposit. entre-vifs et test., t. III,
chap. II, n° 1939), un statut particulier, d’après lequel
un enfant marié auquel le père avait fait donation eu
faveur du mariage était tenu pour émancipé. Mais ce
n’est là qu’une dérogation toute locale aux principes
généraux d’incapacité dont le mineur est frappé.
SECTION II
Mineurs au-dessous de seize ans.
I. — Le Code Civil, tout en admettant ces principes
d’incapacité du mineur, fait cependant une exception.
Voici, en effet, les termes des articles 1095 et 1598
qui établissent cette dérogation : « Le mineur ne
pourra, par contrat de mariage, donner à l’autre époux,
soit par donation simple, soit par donation réciproque,
qu’avec le consentement et l’assistance de ceux dont le
consentement est requis pour la validité de son ma-
—
187
—
riage, et avec ce consentement il pourra donner tout
ce que la loi permet à l’époux majeur de donner à
l’autre conjoint.» — Art. 1398 : «Le mineur, ha-
bile à contracter mariage, est habile à consentir toutes
les conventions dont ce contrat est susceptible, et les
conventions et donations qu’il y a faites sont valables,
pourvu qu’il ait été assisté dans le contrat des per-
sonnes dont le consentement est nécessaire pour la
validité du mariage. »
Le motif de cette dérogation s'explique par le désir
bien naturel du législateur de faciliter les mariages par
tous les moyens possibles. Voici comment M. Troplong
s’exprime à cet égard : « Le mineur, dit-il, qui s’est
complu dans son mariage, a persisté aussi dans les
pactes qui en ont été la préparation. L’amitié qui a
maintenu le mariage fait maintenir aussi les conven-
tions sous l’influence desquelles il a été fait. » Cet au-
teur appuie sa doctrine d’un arrêt du Parlement de
Paris du 17 juin 1628. (Troplong, t. 11, p. 590.)
Cette exception doit être aussi appliquée aux tilles,
car elles peuvent se marier à quinze ans (art. 144), et
même au-dessous de cet âge, au moyen d’une dis-
pense (art. 145); il s'ensuit qu’une tille mineure est
capable de faire une donation à son futur époux, bien
qu'elle n’ait pas seize ans.
L’article 903 reste applicable, en ce sens que la
femme étant habile à se marier à quinze ans, le légis-
lateur a dû, pour comprendre les mineurs des deux
sexes dans la même disposition, employer les expres-
sions « les mineurs âgés de moins de seize ans. »
Mais il est des auteurs qui refusent d’admettre que
—
188
—
la nullité des conventions puisse être couverte, par
cela seul que la nullité du mariage l’est. (Art. 183.
Conf. Duranton, t. XIV, n° 9. Rodière et M. Pont,
t II, n
os
38 et 162 ; contra Troploug, p. 98.) Toute-
fois, nous devons faire remarquer que ce système n'est
pas aussi absolu qu’il le paraît au premier abord; car
il permet, en effet, de demander la nullité ou l’exé-
cution du contrat, si l’un des époux seulement a l’âge
requis.
MM. Rodière et Pont (toc. cit.) se demandent si la
nullité des conventions serait couverte dans le cas où
le mineur aurait atteint l’âge compétent avant la célé-
bration? D’après ces deux auteurs, il faudrait consi-
dérer la célébration comme une exécution volontaire
du contrat, qui serait par là ratifié.
Ainsi donc, de tout ce que nous venons de dire, il
résulte, qu’en principe le mineur est frappé de l’inca-
pacité de disposer par acte entre-vifs; mais qu’une
exception est admise pour les libéralités faites dans un
contrat de mariage.
II. Que faudra-t-il décider en ce qui concerne
les testaments?— D’après l’article 903, le mineur
âgé de moins de seize ans ne peut aucunement dis-
poser; l'exception, admise pour les donations dans les
articles 1095, 1309 et 1398, ne s’applique point aux
testaments; il faut donc conclure qu’avant cet âge le
mineur est absolument incapable de tester.
Le mineur au-dessous de seize ans est donc la seule
personne à laquelle la loi enlève la capacité de dis-
poser par testament, tout en lui laissant dans certains
cas la faculté de donner. (Art. 1095 ) Cette incapacité
—
189
—
ressort clairement de la combinaison des articles 902
et 903. On considère que la raison du mineur n’est pas
suffisamment développée pour lui permettre l’exercice
d’un droit aussi important ; or, la privation de l’exer-
cice de ce droit est la privation du droit lui-même;
car le droit de tester est essentiellement personnel.
Ainsi donc, le consentement, l’autorisation de ses as-
cendants ou tuteur ne pourrait le relever de cette
incapacité. C’est par là, précisément, que la situation
juridique du mineur, relativement aux testaments,
diffère de celle qui lui est faite en ce qui concerne la
donation ; c’est par là encore qu’est justifiée par un
certain côté, du moins, la dérogation établie en faveur
du mineur au-dessous de seize ans pour les libéralités
faites par contrat de mariage; car l’assistance et le
consentement de ceux que la loi appelle près de lui sont
un sûr garant qu’il ne fera point des donations irré-
fléchies au préjudice de lui-même et de ses descen-
dants; tandis que pour le testament il ne peut en
être ainsi, comme nous venons de le voir.
APPENDICE
§ 1. — Personnes qui sans être interdites sont placées
dans une maison d’aliénés (loi du 30 juin 1838).
Nous avons vu que, relativement aux personnes pri-
vées de leurs facultés intellectuelles, la loi édictait une
incapacité générale par le fait de l’interdiction judi-
ciaire; à la différence de l’interdiction légale, qui est
—
190
—
une peine prononcée contre une certaine catégorie de
condamnés dont nous avons parlé, l'interdiction ju-
diciaire est une mesure de protection particulière en
faveur de ceux qui ne peuvent se protéger eux-mêmes
et sauvegarder leurs intérêts : on leur enlève l’exercice
de leurs droits, mais ils en conservent la jouissance.
Comme on le voit, le législateur a fait son possible
pour ménager les intérêts de l’interdit, de la famille et
de la société; mais il répugne souvent d’en venir aune
mesure si extrême qui, par sa publicité, entoure d’un
trop grand retentissement un malheur que l’on lient
avec raison à laisser ignorer, et peut aggraver par les
longues formalités qu’elle nécessite l’état du malade;
d’un autre côté, les séquestrations arbitraires sont un
danger auquel il fallait à tout prix remédier : la loi
du 30 juin 1858 est venue combler les lacunes et obvier
à tous les inconvénients. Nous n’entrerons pas dans le
développement des dispositions de celte loi : il nous
entraînerait beaucoup trop loin. Nous nous contentons
de reproduire les articles relatifs à la situation juridique
faite aux malades placés dans les établissements dont
elle édicte la création. « Les actes, dit l’article 59, sec-
tion iv, faits par une personne placée dans un établisse-
ment d’aliéné, pendant le temps qu’elle y aura été re-
tenue sans que son interdiction ait été prononcée ni
provoquée, pourront être attaqués, conformément à
l'article 1304 du Code Civil. »
D’après cette disposition, la condition qui lui est faite
par cette loi diffère sur plusieurs points de celle de l’in-
terdit; pour les actes faits par le dernier, leur annu-
lation est obligatoire pour les juges qui ne peuvent se
—
191
—
refuser à la prononcer, sous prétexte que l’acte attaqué
a été fait pendant un intervalle lucide ; tandis que leur
annulation est facultative quand elle est relative à
l’autre catégorie de personnes, et la preuve de la sanité
d’esprit sera parfaitement admise, si l’individu qui a
ses sens oblitérés a pourtant fait une donation ou un
testament pendant un temps d’intermission.
§ 2. — Étrangers
Bien qu’aujourd’hui la double capacité de dispo-
ser par donation ou par testament soit reconnue aux
étrangers et aux religieux, nous croyons devoir en par-
ler sommairement, tout au moins en raison de l’impor-
tance qu’avait autrefois cette matière.
I. — Le testament, dit Pothier (t. VIl, Traité des don.
et lest. art. prélim.), appartient au Droit civil ; la consé-
quence est que ceux-là seuls peuvent tester qui jouissent
de touslesdroits de citoyen ; de là les étrangers ou aubains
dans notre ancien Droit ne pouvaient point tester des
biens qu’ils avaient en France. Des exceptions très-nom-
breuses au principe rigoureux de l'incapacité de tester fu-
rent admises en faveur de ceux qui fréquentaient les foires
de Lyon et de Champagne, qui étaient réputés francs
et régnicoles par un privilège spécial pour leur com-
merce. Les habitants de certains pays tels que ceux de
Milan, de Bourgogne, de Flandre, d’Artois jouissaient
des mêmes prérogatives à cause des prétentions légiti-
mes que le roi avait sur ces terres. La même exception
résultait de concessions spéciales faites par le roi au
profit des sujets de certaines nations qui, par des traités
—
192
—
d’alliance, étaient affranchis en tout ou partie du droit
d’aubaine, tels que les Génois, les Suisses et les éco-
liers fréquentant les universités de France ; les ou-
vriers des Gobelins et des manufactures de tapisserie
de Beauvais ; les mariniers après cinq ans de service
et les militaires après dix ans, à charge de déclarer
qu’ils entendaient toujours demeurer, vivre et mourir
dans le royaume.
Quant au droit de disposer par donation, il leur
était pleinement accordé. Les donations, dit-on, sont
des manières d’acquérir du droit des gens, du droit
naturel ; les étrangers, dès lors, n’en sauraient être
évidemment exclus.
II. — Dans un magnifique élan de générosité et de
confraternité internationale, l’Assemblée constituante,
par une loi des 6-18 août 1790, abolit les droits ré-
galiens d’aubaine et de détraction; elle fut complétée
par les lois des 8-15 avril 1791. Désormais, les étran-
gers étaient pleinement capables de disposer et de rece-
voir par donation et testament.
III. — Malheureusement les peuples ne répondirent
pas à ce beau mouvement d’égalité universelle, et les
Français eurent seuls à souffrir de l’ordre de choses
nouvellement établi. Aussi les rédacteurs du Code s’em-
pressèrent-ils de faire disparaître les inconvénients qui
résultaient d’une pareille situation en admettant un
système de réciprocité diplomatique entre les étrangers
et les Français.
IV. — Telle fut la condition des étrangers jusqu’à
la loi du 1-4 juillet 1819. Le législateur comprit, à
celte époque, combien était ruineuse celte prohibition
—
193
—
portée contre les étrangers, prohibition qui empêchait
la circulation des capitaux en jetant le discrédit le plus
grand dans les relations commerciales et industrielles.
Par la loi de 1819, qui établit entre les Français et
les étrangers une similitude parfaite, ceux-ci eurent
désormais le droit de disposer par donation ou testa-
ment en faveur des personnes, soit françaises, soit
étrangères.
§ 3. — Religieux.
I. —En Droit romain, dès les premiers temps de
l’ère chrétienne jusqu’au quatrième siècle, ceux qui
embrassaient la vie cénobitique ne subissaient point de
déchéances, et ils conservaient tous leurs droits civils
absolument comme tous les autres citoyens; ils avaient
dès lors le droit de disposer par acte à titre gratuit.
Une loi (23 de Sacrosanctis eccl., c. I, II) promul-
guée vers l’an 455 confirma les droits des moines et
des religieux. Mais Justinien, dans la Novelle 5 (auth.
collat, I, v), leur enleva le droit de donner non pas
dans une idée de défaveur, mais bien parce que les
persanes qui se vouaient à la vie du cloître transpor-
taient ordinairement au monastère où elles prenaient
l’habit tous les biens dont elles n’avaient pas jusque-là
disposé.
II. — Dans notre ancien Droit, les religieux étaient
absolument incapables de disposer d’une façon quel-
conque. (Ricard, chap. III, sect. v, n° 310 et suiv.)
Les chevaliers de Rhodes ou de Malte étaient consi-
dérés comme religieux, et par là frappés d’une même
incapacité.
a
13
—
194
—
Les jésuites avaient d’abord voulu s’exempter de
cette prohibition : ils prétendaient que les derniers
vœux seuls étaient obligatoires et les liaient définiti-
vement, que jusque-là ils pouvaient toujours être ren-
voyés par leur supérieur, qu’il y avait dès lors injus-
tice à les dépouiller du droit de disposer dès qu’ils
entraient dans la compagnie. — On tint d’abord compte
de cette prétention et la jurisprudence des Parlements
se prononça en leur faveur.
Mais on revint bientôt sur celte décision, et en 1603
ils furent frappés de l’incapacité absolue de disposer,
du moment où ils prendraient l’habit de l’ordre.
La Révolution de 1789 est venue sur ce point opé-
rer une rénovation. Il résulte, en effet, de la loi
du 13 février 1790, que les religieux, à quelque con-
grégation qu’ils appartiennent, jouissent de tous les
droits civils. Le principe de la matière repose sur cette
idée que lorsqu’un acte de la puissance publique tem-
porelle sécularise des religieux ils deviennent aussitôt
capables de donner et de tester, et de recevoir au même
titre, alors même qu’ils ne seraient pas encore déliés
de leurs vœux par l’autorité spirituelle.
Cependant, nous trouvons encore un vestige de notre
ancien Droit dans l’article5 de la loi du 24 mai 1823,
ainsi conçu : « Nulle personne faisant partie d’un établis-
sement autorisé ne pourra disposer par acte entre-vifs
ou par testament, soit en faveur de cet établissement,
soit au profit de l’un de ses membres, au-delà du quart
de ses biens, à moins que le don ou le legs n’excède pas
la somme de 10,000 francs. Celte prohibition cessera
d’avoir son effet relativement aux membres de l’éta-
—
195
—
bassement, si la donataire ou légataire était héritière
en ligne directe de la donatrice on de la testatrice. »
Cet article est relatif aux membres des congrégations
religieuses de femmes autorisées. Mais cette loi laisse
subsister leur pleine capacité quand il s’agit de dispo-
sitions entre-vifs ou testamentaires faites en faveur de
leur famille ou d’un étranger; cette opinion est confir-
mée dans l’instruction du ministre qui avait préparé et
présenté la loi de 1825, et dans laquelle on lit : « La
loi n’interdit point aux religieuses la libre jouissance
de leurs biens patrimoniaux et autres quelles possè-
dent ou qui pourront leur échoir; ici leurs droits sont
ceux du reste des Français, elles peuvent même dispo-
ser de leurs biens, soit par donation, soit par testa-
ment; il n’est dérogé à leur égard au droit commun que
dans les cas déterminés par l’article 5 de la loi. »
(Art. 12 de l’instr. minist. de 1825, n° 215.)
TITRE IV
A QUEL MOMENT DOIT EXISTER LA CAPACITÉ DE DISPOSER
PAR DONATION ET PAR TESTAMENT ?
Au sujet que nous traitons se rattache d’une ma-
nière très-intime le développement de cette question :
« A quel moment doit exister la capacité de disposer
par donation et par testament ? »
— 196 —
Sur ce point, le Code est complètement silencieux.
On comprend d’autant moins un oubli semblable que
celte question se rattache à la matière la plus impor-
tante de notre Droit : quoi de plus important, en effet,
que les questions de capacité et d’incapacité d’une
personne? Il nous faudra donc les résoudre d’après les
règles admises dans notre ancien Droit et les princi-
pes généraux du Code.
Cet oubli, du reste a ôté signalé par M. Maleville
lui-même, dans son
Analyse raisonnée
(t. Il, p. 372).
« Il y a d’autant plus lieu de s’en étonner, dit-il,
qu’un simple texte aurait suffi pour faire cesser tous
les doutes qui peuvent s’élever à l’occasion des nom-
breux textes du Droit romain et des commentaires plus
ou moins clairs de nos anciens auteurs, qui ne s’ôtaient
jamais accordés sur la détermination exacte des épo-
ques auxquelles la capacité de disposer par acte entre-
vifs ou par testament était exigée. »
§ 1. —
A quel moment doit exister la capacité
de disposer par donation ?
I. — En ce qui concerne la donation, le donateur
doit être capable de transmettre son droit,
au moment
ou s’opère la transmission,
et le donataire capable de
l’acquérir; c’est ce qui résulte de la définition même
de la donation, qui est « un acte par lequel le donateur
se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose
donnée en faveur du donataire qui l’accepte. » Toute la
question est de savoir quel est ce moment. Il faut dis-
tinguer dans la donation trois choses : l
'offre, l'accep-
— 197 -
talion
et la
notification
de l’acceptation. Les deux
premiers actes peuvent être faits d'une manière con-
comitante ou séparée. Dans le cas où la déclaration du
donateur et l’acceptation du donataire sont comprises
dans le même acte, passé devant le même notaire, il
faut que la capacité de donner de l’un et la capacité de
recevoir de l’autre existent au moment de la confection
de l’acte, car la donation produit un effet immédiat et
irrévocable; c’est donc, en conséquence, au moment où
la déclaration du donateur est constatée par écrit que
sa capacité s’apprécie; il en est de la donation condi-
tionnelle comme de la donation pure et simple; cette
donation reste valable alors même que l’une des parties
ait perdu, avant l’événement delà condition, la capacité
de donner ou de recevoir. Quant au donataire, doit-il
être capable au moment de l’offre? La question est dis-
cutée. Certains auteurs, MM. Duranton et Demante,
entre autres, ont prétendu que l’offre faite à une per-
sonne qui n’était pas conçue ou qui était condamnée à
une peine afflictive perpétuelle « peut être, si elle n’a
pas été révoquée, valablement acceptée après que cette
personne à laquelle elle est adressée est conçue ou re-
levée de la peine quelle subissait. » Il en serait de
même pour une personne non saine d’esprit interdite
qui serait également relevée de son interdiction. (Du-
ranton. t. VIH, n° 223; Demante, t. IV, n° 26
bis,
I ;
Marc., art 906.)
MM. Aubry et Rau (t. VII, § 650) n’admettent point
cette solution ; d’après eux, il faut décider que la do-
nation faite à une personne qui n’est pas conçue ouqui
est condamnée à une peine afflictive perpétuelle sera
— 198 -
toujours radicalement nulle en tout état de cause; c’est
aussi l’opinion qu’il nous semble préférable d’adopter.
Comment, en effet, comprendre une offre faite au
néant? «Une telle offre, dit Mourlon (t. Il, p. 287), tombe
dans le vide, elle n’existe pas. Dès lors, il est impos-
sible d’admettre qu’une fois faite elle est présumée
durer, tant qu’elle n’est pas révoquée. Pour qu’elle
continuât de subsister, il faudrait évidemment quelle
eût commencé à exister, et précisément elle n’a eu
aucune existence. »
II. — Le donateur doit également être capable au
moment de l’acceptation par la raison que si le dona-
teur devenait incapable auparavant, la volonté du do-
nateur ne concourrait pas légalement avec celle du
donataire, et dès lors la donation ne pourrait plus être
acceptée.
En ce qui concerne la capacité du donataire, elle
doit aussi exister au moment de l’acceptation car, si
l’acceptation ne suffit point pour opérer la transmis-
sion des biens offerts au donataire, elle est au moins
un des éléments qui concourent à sa perfection. (Mour-
lon, t. II, p. 282.)
III. — Le donateur et le donataire doivent-ils être
capables au moment de la notification? Trois systèmes
différents partagent les auteurs sur cette question.
D’après M. Demante, la notification de l’acceptation
n’est pas une condition vraiment constitutive de la do-
nation. Dos lors, il suffit que le donateur et le dona-
taire soient capables au moment de l’acceptation; et
leur incapacité postérieure laisse subsister la validité
de l’acte. (Demante,
Thémis,
VII, p. 37 et suiv.)
— 199 —
D’après M. Duranton, la notification est, au contraire,,
une condition constitutive, et dès lors si une personne
vient à être interdite ou condamnée à une peine afflic-
tive perpétuelle après l’acceptation, mais avant la no-
tification, l’acte quelle aura fait est complètement nul.
Voici la raison qu’en donne ce jurisconsulte : c’est au
moment de la notification seulement que le donateur
perd le droit de disposer des biens compris dans la
donation ; le donataire doit, par conséquent, être ca-
pable à ce moment d’acquérir le droit que perd le do-
nateur.
M. Mourlon (t. II, p. 281) adopte aussi cette opinion
en ce qui concerne du moins le donateur. Voici com-
ment il raisonne : l’acceptation est soumise à la solen-
nité de la notification lorsqu’elle est faite hors la pré-
sence du donateur; dès lors, tant que la notification
n’est pas faite, le contrat n’est pas encore formé, car
la volonté de l’une des parties n’est pas encore revêtue
de la forme qui doit lui donner la force civile qui lui
manque. Ce qui le prouve, c’est qu’aux termes de l’ar-
ticle 932, l’acceptation non notifiée est considérée comme
inexistante puisque le donateur conserve le droit de
disposer des biens donnés comme il l’entend, sans au-
cune indemnité pour le donataire.
Donc, il faut que le donateur soit capable jusqu’au
moment de la notification. Quant au donataire, M. Mour-
lon n’indique pas de solution. MM. Aubry et Rau
(t. Vil, § 50, pp. 42, 43 et 44) se rangent à l’avis de
M. Duranton, relativement au donateur, mais décla-
rent, en ce qui concerne le donataire, qu’il n’est point
nécessaire qu’il soit capable au moment de la notifica-
—
200
—
tion, car cette formalité est exigée pour assurer à la
donation sa complète efficacité
à l’égard du donateur
seulement.
Le système mixte de MM. Aubry et Rau
nous paraît le plus raisonnable. La règle
media
tempora non nocent
ne s’applique qu’aux testaments,
et non aux donations, comme nous le fait obser-
ver Pothier, sur
la
Coutume d’Orléans.
(Introd. au
titre XV,
Des donations entre-vifs,
sect. III ) Il en
résulte que les parties doivent être capables durant
tout l’intervalle qui sépare les époques auxquelles leur
capacité est nécessaire.
§2. —
A quel moment doit exister la capacité de
disposer par testament ?
La capacité de droit et de fait doit exister au mo-
ment de la confection du testament; il suffit que la
capacité de droit existe au moment du décès. Quant
aux intervalles,
media tempora non nocent.
Telle
est la donnée qui permet de résoudre les diverses es-
pèces suivantes.
I. — Une personne a la capacité de droit et de fait
au moment de
la
confection du testament; le testa-
ment est valable
ab initio;
elle meurt frappée d’in-
terdiction, le testament produira encore son effet; car
ce changement d'état ne peut détruire sa volonté régu-
lièrement, légalement exprimée, et laisse subsister la
capacité de droit.
II. — Si le testament est fait par une personne qui
n’a pas la capacité de droit au moment de la confec-
tion de l’acte,
le
testament sera radicalement nul et
— 201 —
restera tel, alors même que le testateur acquerra pos-
térieurement la capacité qui lui manquait; ainsi, le
testament fait par un mineur au-dessous de seize ans
est et reste radicalement nul, quoique le testateur
meure majeur.
III. — Le testament fait par une personne ayant
la jouissance et l’exercice de ses droits, qui les perd et
les recouvre ensuite, est et reste absolument valable.
IV. — Enfin, le testament fait par une personne
ayant la capacité de droit, mais qui ne l’a plus en
mourant, est nul ; car il ne suffit pas que la capacité
de droit ait existé au moment de la confection de
l’acte, il la faut encore au moment du décès du tes-
tateur.
CONCLUSION
D’une manière générale, les diverses incapacités
dont nous avons parlé dans la dernière partie de notre
thèse, ont été édictées par le législateur dans le but de
protéger, contre elles-mêmes ou contre les tiers, les
personnes qui, à raison des altérations plus ou moins
profondes que peuvent subir leurs facultés intellec-
tuelles, seraient exposées à faire un mauvais emploi
de leur fortune.
D’autre part, en ce qui concerne les condamnés à
une peine afflictive, le fondement de leur incapacité
n’est plus le même : leur indignité et l’incompatibilité
de leur participation aux actes de la vie publique ou
—
202
—
privée avec la peine qui leur est infligée, tel est le
double motif des diverses déchéances auxquelles ils
sont soumis. (Mourlon, t. I, p. 117.)
Mais ces diverses incapacités ne sont qu’une excep-
tion à ce principe fondamental de notre Droit mo-
derne : dans tout ce qui touche à l'état civil d’une
personne, la capacité est la règle, et l'incapacité
l’exception.
POSITIONS
DROIT ROMAIN
I. — Le mariage se formait par le consentement des
époux, à la condition que la femme fût mise,
d’une manière quelconque, à la disposition du
mari.
II.
— Les servitudes ne pouvaient s’établir par pactes
et stipulations.
III. — La
querela inofficiosi testamenti
n’est pas
une véritable pétition d hérédité.
IV. — Le fidéjusseur qui s’obligeait pour une somme
plus forte n'était valablement engagé que dans la
mesure de l’obligation principale.
V. — La
litis contestatio
n’opérait point novation
véritable.
VI. — Le demandeur dans l’action négatoire devait
prouver l’inexistence de la servitude.
ANCIEN DROIT FRANÇAIS
I. — Le Droit coutumier vient du Droit germanique,
transformé en Coutumes territoriales dans le Nord,
et du Droit romain, transformé en Coutumes ter-
ritoriales dans le Midi.
— 204 —
II. — La loi salique fut d’abord orale ; les textes où
se trouvent les gloses malbergiques sont anté-
rieurs à ceux qui ne sont pas glosés.
III. — Les Francs s’établirent en Gaule par voie de
conquête, et non de concession.
DROIT CIVIL
I. — L’enfant naturel reconnu par son père et par sa
mère, de nationalité différente, suit la condition
du père.
IL — L’officier de l’état civil doit inscrire l’enfant
comme étant né de père et mère inconnus toutes
les fois que les déclarants refusent de donner le
nom de la mère; mais, s’ils le déclarent, l’officier
de l’état civil
peut
et
doit
l’inscrire dans l’acte
qu’il dresse.
III. — Ainsi qu’il résulte des termes de l’article 395,
la mère tutrice qui vent se remarier doit, avant
l’acte de mariage, convoquer le conseil de famille,
qui décidera si la tutelle doit lui être conservée;
à défaut de cette convocation, elle perd la tutelle
de plein droit, et son nouveau mari, d’après nous,
reste responsable non-seulement des faits posté-
rieurs, mais encore des faits
antérieurs
au ma-
riage.
IV. — Après trente ans, à compter du jour du décès
du
de cujus,
l’héritier qui n’a pris aucun parti
perd la faculté de renoncer.
V. — Les enfants renonçants ne doivent pas être
comptés pour le calcul de la réserve.
— 205 —
VI. — Le mari peut faire avec le concours de sa
femme les donations d’immeubles prohibées par
l’article 1422 du Code Civil.
VII. — La séparation de patrimoines constitue un
privilège.
PROCÉDURE CIVILE
I. — On peut pratiquer une saisie-arrêt sur soi-même.
IL — Les jugements rendus en pays étrangers ont en
France autorité de chose jugée.
DROIT CRIMINEL
I. — La prescription court contre l’action publique
pendant la démence du prévenu.
II. — La diffamation à l’égard des morts peut servir
de base à l’action publique.
III. — La passion no peut servir d’excuse absolutoire
à l’égard d’un délit.
DROIT COMMERCIAL
I. — À défaut de consentement du mari, la justice ne
peut autoriser la femme à faire le commerce; tou-
tefois, si le mari est interdit ou absent, elle le
pourra, selon les circonstances.
IL — La faillite de la société entraîne de plein droit
celle des associés.
DROIT ADMINISTRATIF
I. — Ce sont les ministres et non les conseils de pré-
fecture qui forment la juridiction de droit com-
mun.
—
206 —
II. — Les conseils de préfecture sont compétents en
matière de travaux publics pour statuer sur les
dommages permanents.
DROIT DES GENS
I. — La guerre est permise quand elle est la sanction
d’un droit.
II. — La guerre est permise non-seulement dans le
cas de légitimé défense, mais encore pour éviter
un plus grand mal.
III. — Les juridictions d’un pays envahi doivent con-
tinuera rendre la justice au nom de leur État.
ÉCONOMIE POLITIQUE
I. — L’existence de la réserve, contrairement à la
liberté absolue de tester, se justifie par des consi-
dérations nombreuses et bien fondées.
U. —Relativement à la transmission des biens, le
partage entre les héritiers est préférable à la con-
centration des biens sur une même tête, ainsique
le comporte le droit d’aînesse.
Cette thèse sera soutenue, en séance publique, le
décembre 1879,
dans une des salles de la Faculté de Droit de Toulouse.
Vu par le président de la Thèse,
Gustave BRESSOLLES.
Vu
PAR LE DOYEN :
DUFOUR.
Vu ET PERMIS D’IMPRIMER :
Le Recteur
,
CHAPPUIS
Les visas exigés par les règlements sont une garantie des principes
et des opinions relatifs à la religion, à l’ordre public et aux bonnes
mœurs (statuts du 9 avril
1
825, art. 41), mais non des opinions juri-
diques, dont la responsabilité est laissée aux candidats.
Le candidat répondra, en outre, aux questions qui lui seront faites
sur les autres matières de l’enseignement.
TABLE DES MATIÈRES
DROIT ROMAIN
CONDITION JURIDIQUE DES ESCLAVES A ROME
INTRODUCTION
7
TITRE I
er
. — Condition de l’esclave au point de vue des
mœurs et de la famille
12
CHAPITRE
I
er
. — Condition
de
l’esclave au point de vue des
mœurs
12
CHAPITRE
IL — Condition de l’esclave au point de vue de
la famille
16
TITRE II. — Condition juridique de l’esclave
19
GÉNÉRALITÉS.
— § 1. Nature de l’esclave
19
§ 2. Division de la matière
21
CHAPITRE
I
er
. — Effets de la puissance dominicale relati-
vement aux biens (acquisition de la propriété et autres
droils réels), — de la possession, de l’hérédité ou d’un
legs, — des droits de créance
22
Section I
re
.
—
Acquisition de la propriété et autres droits
réels
22
Section II. — Acquisition de la possession
26
Section III.
—
Acquisition d’une hérédité, d’un legs
32
§ 1. Acquisition d’une hérédité
32
§ 2. Acquisition d’un legs
35
—
210
—
Section IV. — Acquisition des droits de créance
37
Section V. — Obligations naturelles des esclaves, — du
pécule, — des actions indirectes
41
§ 1. Obligations naturelles
41
§ 2. Du pécule
47
§ 3. Actions indirectes
56
Section VI. — Incapacités diverses de l’esclave. — Excep-
tions
70
§ 1. Incapacité de l’esclave de figurer dans une ins-
tance judiciaire. — Exceptions
70
§ 2. Incapacité de témoigner en justice. — Exceptions.
72
§ 3. Incapacité de remplir des fonctions publiques. —
Exceptions
72
CHAPITRE
II. — Effets de la puissance dominicale sur la
personne de l’esclave
74
Section I
re
. — Droits du maître sur la personne de l’esclave.
— Adoucissements apportés
à
son pouvoir
75
§ 1. Droits rigoureux du maître sous la loi des Douze-
Tables
75
§ 2. Adoucissements à son pouvoir
77
§ 3. Influence des philosophes et du christianisme sur
la condition des races serviles
79
Section II. — Grimes et délits commis par les tiers contre
l’esclave. — Actions du maître contre les tiers
81
Section III. — Crimes et délits commis par les esclaves. (Ac-
tion noxale.)
86
Section IV. — Devoirs de l’esclave
94
ANCIEN DROIT
DE LA CONDITION DES SERFS DANS L’ANCIEN DROIT FRAN-
ÇAIS
96
CHAPITRE
I
er
. — Transition entre l’esclavage à Rome et le
servage dans notre ancien Droit
97
Section I
re
. — Transformation de l’esclavage en colonat...
97
Section II. — Transformation du colonat et de la servitude
personnelle encore existante en servage
101
CHAPITRE
II. — Condition des serfs
106
Section I
re
. — Aperçu général, sur la matière
106
—
211
—
Section II. — Etude de la condition des serfs (neuvième et
douzième siècles.)
109
Section III. — Aperçu général de la condition servile à partir
du douzième siècle
116
DROIT FRANÇAIS ACTUEL
INCAPACITÉS ABSOLUES DE DISPOSÉE PAR DONATION OU PAR
TESTAMENT. — NOTIONS GÉNÉRALES
120
TITRE I
er
. — Personnes incapables de disposer par donation
ou par testament
125
CHAPITRE
I
er
. — Des insensés
125
Section I
re
. — Insensés interdits
125
Section II. — Insensés non interdils
134
§1. Insensés considérés en eux-mêmes (imbécillité,
démence, fureur)
134
§ 2. Insensés considérés relativement à l'interdiction
qui est prononcée postérieurement aux dispositions
entre-vifs et testamentaires (effet de celle déchéance
sur ces actes)
141
§ 3. Personnes incapables par suite de causes phy-
siques (sourds-muets, etc.)
143
§ 4. Personnes incapables par suite de causes mo-
rales (passions violentes, jalousie, haine, erreur,
dol, captation, suggestion)
150
CHAPITRE
II. — Personnes qui, par suite d’une condam-
nation, sont en état d’interdiction légale
157
TITRE II. — Personnes absolument incapables de donner,
mais qui peuvent tester
163
CHAPITRE
I
er
. — Mineurs au-dessus de seize ans
163
Section I
re
. — Notions générales
163
Section II. — Droit romain. — Ancien Droit
164
Section III. — Droit actuel
166
CHAPITRE
II.
—
Femmes mariées
174
Section I
re
— Droit romain. — Ancien Droit
174
Section II. — Droit actuel
176
CHAPITRE
III. — Individus soumis à un conseil judiciaire. 180
—
212
—
Section I
re
. — Des faibles d’esprit
180
Section II. — Des prodigues
183
TITRE III. — Personnes absolument incapables de tester,
mais non de
donner
184
Section I
re
. — Droit romain — Ancien Droit
184
Section II. — Droit actuel
186
Appendice. — § 1. Personnes qui, sans être interdites, sont
placées dans une maison d aliénés
189
§ 2. Étrangers
191
§ 3. Religieux
193
TITRE IV. — A quel moment doit exister la capacité de dis-
poser par donation ou par testament
195
CONCLUSION
201
ERRATA
Page 22, ligne 3, effacer à titre onéreux.
— 59, ligne 13, au lieu de s’éteint, lire devient annale.
— 130, ligne 27, au lieu de défend, lire permet.
Toulouse, lmp. PRIVAT, rue Tripière, 9. — 479
TABLE DES MATIÈRES
DROIT ROMAIN. CONDITION JURIDIQUE DES ESCLAVES A ROME
INTRODUCTION
TITRE Ier. — Condition de l’esclave au point de vue des moeurs et de la famille
CHAPITRE Ier. — Condition de l’esclave au point de vue des moeurs
CHAPITRE II — Condition de l’esclave au point de vue de la famille
TITRE II. — Condition juridique de l’esclave
GÉNÉRALITÉS.
§ 1. Nature de l’esclave
§ 2. Division de la matière
CHAPITRE Ier. — Effets de la puissance dominicale relativement
aux biens (acquisition de la propriété et autres droils réels), — de la possession, de l’hérédité ou d’un legs, — des droits de créance
Section Ire. — Acquisition de la propriété et autres droits réels
Section II. — Acquisition de la possession
Section III. — Acquisition d’une hérédité, d’un legs
§ 1. Acquisition d’une hérédité
§ 2. Acquisition d’un legs
Section IV. — Acquisition des droits de créance
Section V. — Obligations naturelles des esclaves, — du pécule, — des actions indirectes
1. Obligations naturelles
§ 2. Du pécule
§ 3. Actions indirectes
Section VI. — Incapacités diverses de l’esclave. — Exceptions
§ 1. Incapacité de l’esclave de figurer dans une instance judiciaire. — Exceptions
§ 2. Incapacité de témoigner en justice. — Exceptions
§ 3. Incapacité de remplir des fonctions publiques. — Exceptions
CHAPITRE II. — Effets de la puissance dominicale sur la personne de l’esclave
Section Ire. — Droits du maître sur la personne de l’esclave.
— Adoucissements apportés à son pouvoir
§ 1. Droits rigoureux du maître sous la loi des Douze-Tables
§ 2. Adoucissements à son pouvoir
§ 3. Influence des philosophes et du christianisme sur la condition des races serviles
Section II. — Grimes et délits commis par les tiers contre l’esclave. — Actions du maître contre les tiers
Section III. — Crimes et délits commis par les esclaves. (Action noxale.)
Section IV. — Devoirs de l’esclave
ANCIEN DROIT. DE LA CONDITION DES SERFS DANS L’ANCIEN DROIT FRANÇAIS
CHAPITRE Ier. — Transition entre l’esclavage à Rome et le
servage dans notre ancien Droit
Section Ire. — Transformation de l’esclavage en colonat
Section II. — Transformation du colonat et de la servitude
personnelle encore existante en servage
CHAPITRE II. — Condition des serfs
Section Ire. — Aperçu général, sur la matière
Section II. — Etude de la condition des serfs (neuvième et douzième siècles
Section III. — Aperçu général de la condition servile à partir du douzième siècle
DROIT FRANÇAIS ACTUEL. INCAPACITÉS ABSOLUES DE DISPOSÉE PAR DONATION OU PAR TESTAMENT. — NOTIONS GÉNÉRALES
TITRE Ier. — Personnes incapables de disposer par donation ou par testament
CHAPITRE Ier. — Des insensés
Section Ire. — Insensés interdits
Section II. — Insensés non interdils
§1. Insensés considérés en eux-mêmes (imbécillité, démence, fureur)
2. Insensés considérés relativement à l'interdiction
qui est prononcée postérieurement aux dispositions
entre-vifs et testamentaires (effet de celle déchéance
sur ces actes
§ 3. Personnes incapables par suite de causes physiques (sourds-muets, etc.)
§ 4. Personnes incapables par suite de causes morales
(passions violentes, jalousie, haine, erreur, dol, captation, suggestion
CHAPITRE II. — Personnes qui, par suite d’une condamnation, sont en état d’interdiction légale
TITRE II. — Personnes absolument incapables de donner,
mais qui peuvent tester
CHAPITRE Ier. — Mineurs au-dessus de seize ans
Section Ire. — Notions générales
Section II. — Droit romain. — Ancien Droit
Section III. — Droit actuel
CHAPITRE II. — Femmes mariées
Section Ire — Droit romain. — Ancien Droit
Section II. — Droit actuel
CHAPITRE III. — Individus soumis à un conseil judiciaire
Section Ire. — Des faibles d’esprit
Section II. — Des prodigue
TITRE III. — Personnes absolument incapables de tester, mais non de donner
Section Ire. — Droit romain — Ancien Droit
Section II. — Droit actuel
Appendice.
§ 1. Personnes qui, sans être interdites, sont placées dans une maison d aliénés
§ 2. Étrangers
§ 3. Religieux
TITRE IV. — A quel moment doit exister la capacité de disposer
par donation ou par testament
CONCLUSION